l'accidentologie
revu juin 2011

L’ETUDE DES ACCIDENTS – L’ACCIDENTOLOGIE

La pratique de la conduite ne confère pas de compétence dans la compréhension de l'accident qui est assurée par une pratique scientifique multidisciplinaire, l'accidentologie.

Quand une activité est assurée quotidiennement par des millions d’individus, il est difficile de leur faire admettre que sa pratique « normale » ne confère pas une compétence pour parler de l'échec de cette "bonne pratique" engendrant l'accident ». La familiarité avec la conduite transforme chaque titulaire d'un permis de conduire en expert de la sécurité routière et peu de domaines de recherche sont aussi envahis par les idées reçues, les hypothèses et les passions que celui des accidents de la route. Tout le monde "sait" ce qu'il faudrait faire pour réduire le nombre de morts, la pratique de la conduite étant confondue avec la connaissance scientifique de l'accident.

Le terme d'accidentologie a été créé en 1968 par des chercheurs de l'ONSER, l'organisme national de recherche dans le domaine de la sécurité routière qui est devenu l'INRETS (Institut national de recherches et d'études des transports et de leur sécurité) et finalement l'IFSTTAR (Institut Français des Sciences et Technologie des Transports de l'Aménagement et des Réseaux). L'intention était d'individualiser une activité souvent confondue avec la traumatologie. Cette dernière s'intéresse à la phase finale de l’accident, celle qui provoque les lésions, alors que la compréhension de l’accident commence avant l’ouverture de la portière d’une voiture par celui qui va le produire ou le subir. Ces trente dernières années ont été parsemées de remise en question de nos hypothèses ou de nos certitudes, et une telle expérience, pour banale qu’elle soit dans une activité de recherche, fait acquérir une certaine humilité dans l’approche de l’accident de la circulation qui est rarement un événement simple. L'association de facteurs multiples qui agissent les uns sur les autres impose un abord multidisciplinaire, associant des épidémiologistes, des ingénieurs, des psychologues, des biomécaniciens, des juristes, des assureurs, des économistes ou des éducateurs. Quand un spécialiste "pointu" veut mettre en avant sa discipline sans se préoccuper des méthodes et des connaissances des autres, il ne peut approcher la réalité accidentologique et nous avons de multiples exemples de ce type d'erreur. Quand à "l'honnête homme" qui imagine les risques d'accident, il a tendance à privilégier le risque ressenti et les idées reçues, non le risque réel.

Il est difficile d'accepter que la connaissance d'une pratique "normale" ne confère pas automatiquement une connaissance des faits rares qui vont la perturber.

La première difficulté est de faire comprendre que l’accident puisse être fréquent au niveau d’un pays, ce qui lui donne un caractère familier, tout en demeurant exceptionnel dans chacune de nos vies d’individus. Au pire nous subirons quelques accidents sérieux en une cinquantaine d’années de conduite souvent quotidienne. Ce double niveau de perception, d’une part de faits dont nous entendons souvent parler et d’autre part de ceux que nous subissons rarement, contribue à installer cette illusion de connaissance et de compréhension. Si un automobiliste est pris dans un accident en série sur autoroute dans le brouillard, il exprimera sa surprise devant la rapidité de la chaîne d’événements dans laquelle il a été entraîné. Il dira qu’il n’imaginait pas que cela puisse se passer comme cela, avec cette impression d’impuissance totale. Il avait entendu parler de ce type d’accident, mais il n’en avait pas l’expérience. Des dizaines de fois au cours de la période qui a précédé l’accident, il avait levé le pied de l’accélérateur ou freiné en percevant le rapprochement des feux du véhicule qui le précédait, et soudainement sa réponse a cessé d’être adaptée, car le véhicule qui le précédait n'avait pas subi une décélération à la suite d'un freinage "normal", il s’était arrêté brutalement du fait d’un choc contre un autre véhicule.

Cette réaction exprime la difficulté du passage du déroulement habituel d’une activité, qui a conditionné nos modes de réaction, à une rupture qui projette dans l’inconnu. Une relation inhabituelle s’est soudainement instaurée entre un ou plusieurs individus, les engins qui les transportent et l'environnement qui les entoure. La conséquence la plus redoutée est de nature biomécanique, des organes humains vont subir des efforts dépassant leur capacité de résistance. Un trajet ordinaire peut se transformer en drame en quelques secondes, laissant des traces psychologiques et physiques qui mettront des années à s’effacer, ou un handicap définitif, parfois une vie est interrompue.

Notre esprit "cartésien" privilégie l'analyse identifiant des facteurs de risque et  privilégiant finalement l'un d'entre eux qui devient "la" cause de l'accident. Il faut à l'opposé conserver à l'esprit l'association des facteurs pour avoir une compréhension "systémique" du problème.

L'abus d’interprétation le plus commun est de privilégier un des partenaires de l'événement et d'attribuer l'accident au comportement de l'usager, aux défaillances de son véhicule ou à une route mal aménagée. Si les cas les plus simples permettent d'isoler un facteur dont le rôle a été prédominant, les événements associés sont nombreux et leur influence sur la gravité de l'accident parfois si importante qu'il est abusif de se limiter à l'identification d'une cause. Privilégier un point de vue peut être une démarche intéressée, destinée à éviter d'envisager les autres. L'aménageur met en cause le comportement de l'usager, ce dernier se plaint des "points noirs" qui le mettent en danger et le garagiste évoquera le risque lié aux véhicules mal entretenus. Pour comprendre l'accident de la route, il faut éviter de réduire le système à l’une de ses composantes. La meilleure méthode pour s'en convaincre consiste à analyser des accidents réels.

Comprendre les termes techniques indispensables

Les exemples permettent en outre de préciser le sens des mots utilisés par les accidentologistes. Chaque discipline utilise des termes techniques et la compréhension d'un lexique minimum est indispensable à la transmission des connaissances. Une partie de ce site réunit les définitions du vocabulaire spécialisé utile à la compréhension du risque routier. Il faut se méfier des discours n'utilisant pas le minimum de vocabulaire requis par le sujet traité. Ils traduisent une insuffisance de connaissances que l'on tente de remplacer par une approche "intuitive" et du "bon sens", redoutables dans tous les domaines de l'épidémiologie. Il faut tenter de trouver un équilibre entre l’excès de vocabulaire spécialisé qui produit des textes incompréhensibles pour le non spécialiste et la simplification abusive confondant vulgarisation et facilité. La compréhension des accidents exige de faire table rase des idées préconçues et d'accepter l'observation de la réalité comme démarche initiale. Cette méthode n'est pas la seule utile, il est indispensable de l'associer à des études sur l'apprentissage des comportements, sur la physiologie des conducteurs, leur aptitude à percevoir et à réagir, leurs méthodes d'apprentissage, leurs automatismes en fonction de leur expérience. Nous envisagerons par la suite ces faits, mais il faut d'abord décrire la réalité d'accidents précis pour comprendre la diversité et la complexité des situations.

Des exemples pour reconnaître la diversité et acquérir le vocabulaire

Exemple 1 : une jeune femme conduit son enfant à l’école maternelle en voiture, il est placé dans un siège spécial homologué, à l'arrière du véhicule. Elle emprunte une voie départementale où la circulation est réduite et au cours de son trajet se retourne pour vérifier que l’enfant est bien installé. Elle dévie de sa trajectoire, quitte la chaussée et heurte l'angle d'une maison. Elle est ceinturée et n'est pas blessée dans l'accident. Malgré son siège spécialement conçu pour le retenir, l'enfant subit une lésion grave de la colonne cervicale avec une atteinte médullaire.

Bien que deux *usagers soient concernés par cet accident, la procédure et les statistiques administratives le classeront dans les accidents à un seul *impliqué, le terme d’impliqué étant réservé aux usagers qui ont pu jouer un rôle actif dans la survenue de l'accident. Un piéton est un usager qui peut être impliqué dans un accident comme le conducteur d'un véhicule, alors que les passagers sont considérés comme passifs. Une statistique accidentologique qui ne fait pas la distinction entre l'accident, les impliqués et les usagers concernés, est inutilisable.

La "cause" de l'accident semble évidente, cette conductrice a perdu le contrôle de son véhicule par une action involontaire sur son volant quand elle s'est tournée vers son enfant pendant une période trop longue, compte tenu de sa vitesse et de ses capacités de conduite. Trois facteurs sont déjà concernés, la vitesse de son déplacement (*vitesse de circulation), son apprentissage de la conduite, les conditions d'usage d'un siège pour enfant. Nous pouvons imaginer une conduite plus lente, un meilleur apprentissage du risque que fait courir l'abandon du contrôle visuel de la chaussée et le choix d'un siège pour enfant pouvant être placé à l'avant, ce qui facilite leur surveillance (une telle norme existe en France depuis décembre 1991). Ces faits concernent la *sécurité primaire, celle qui prévient la survenue de l'accident.

 Il est également possible d'envisager les facteurs de risque qui ont déterminé la gravité de l'accident. La proximité de la chaussée et d'une maison est la règle en agglomération, elle est plus rare sur une petite route comme celle qui était utilisée par cette jeune femme. Il était possible d'envisager une réduction de sa vitesse par la signalisation, une protection par une *glissière de sécurité ne paraissant pas justifiée dans ce contexte. Ces deux dernières mesures appartiennent à des catégories différentes, limiter la vitesse relève encore de la sécurité primaire, la glissière est un outil de la *sécurité secondaire, elle tente de limiter les conséquences d'un accident, non de l'éviter. L'action sur le véhicule ne semble pas adaptée à la prévention des lésions subies par l'enfant, il n'y a pas eu de déformation importante de l'habitacle susceptible d'avoir joué un rôle dans la production des blessures, à l’opposé l’avant du véhicule s’était normalement déformé sur l’obstacle, contribuant à réduire les efforts exercés par les systèmes de retenue sur les occupants.

 L'action sur le *dispositif de retenue peut être envisagée. Il est beaucoup plus difficile de retenir correctement un enfant qu'un adulte par un système de sangles. La boucle peut se dérégler et prendre une position trop haute sur le thorax, facilitant le passage de l'enfant sous les sangles et sa retenue par le cou. Cette possibilité a incité à rendre obligatoire une cinquième sangle entre les jambes, qui assure un meilleur réglage de l’ensemble et prévient les glissements vers le bas. Il faut également tenir compte du fait que le poids de la tête chez l’enfant, proportionnellement plus important par rapport au reste du corps que chez l'adulte, favorise la survenue de lésions de la colonne cervicale, même en l'absence de glissement sous la sangle ou de choc direct. Il convient de prévenir ces lésions par l’utilisation de systèmes de retenue différents, en particulier de sièges dans lesquels les enfants sont disposés le dos vers l’avant du véhicule. Nous sommes alors dans le domaine de la sécurité secondaire qui consiste à développer les connaissances *biomécaniques sur les *tolérances humaines au choc, et à établir des normes optimales pour les systèmes de protection. Cet accident en apparence très simple pose des problèmes de sécurité primaire et secondaires qui ne le sont pas.

Exemple 2 : il s’agit d’un accident qui occupe une place à part dans nos mémoires, du fait de son caractère exceptionnel et de l'émotion qu'il a suscitée. Sur l'autoroute du soleil, près de Beaune, une collision impliquant plusieurs usagers provoque l'incendie d'un car le 1er juillet 1982, à 1 h 45. 53 personnes, en majorité des enfants qui partaient en vacances, sont brûlées faute d'avoir pu quitter rapidement le véhicule qui les transportait.

L'infrastructure est celle qui confère la meilleure sécurité, une chaussée d'autoroute sans pente ni virage, mais qui passait 3 km plus loin de trois à deux voies, provoquant un bouchon comme il s'en forme sur toutes les autoroutes en période de vacances. Deux cars transportant les enfants se suivent, une 2CV s'est intercalée entre eux, les trois véhicules roulent sur la voie médiane. Devant eux, un car transportant des touristes allemands freine en arrivant sur le bouchon. Le conducteur du premier car d'enfants freine tardivement et heurte légèrement l'arrière du car allemand, le conducteur du second car est surpris par la brutalité du freinage de son collègue et heurte la 2CV qui le précède, ce véhicule sera coincé entre le second car, une voiture légère qui s'est rabattue de la voie de gauche sur la voie médiane peu avant le choc, et le premier car. Les vitesses sont faibles et les déformations des quatre véhicules demeurent modérées. Le second car a empiété sur la voie la plus à gauche lors de son freinage et 5 autres voitures circulant sur cette voie seront impliquées dans l'accident. En l'absence d'incendie, ce banal carambolage sur autoroute aurait provoqué des dommages uniquement aux occupants des deux voitures coincées entre les deux cars, mais le réservoir de carburant des deux véhicules légers a été écrasé, l’essence s'est répandue et les véhicules sont pris dans une nappe de flammes qui s'étend rapidement sous le second car. L'incendie n'est pas instantané, les occupants des véhicules accidentés sur la voie de gauche sortiront ou seront sortis de leur véhicule sans être brûlés, mais on ne quitte pas aussi facilement un car dont la porte avant est inutilisable, bloquée par les véhicules accidentés et donnant sur l'incendie. L'issue arrière d'un usage peu commode du fait de l'ajout d'une banquette qui obstrue partiellement la porte sauvera 16 personnes. Le feu et les gaz dégagés par l'incendie envahissent tout le car alors que 48 occupants sont encore à bord. Les trois occupants de la 2 CV sont également morts brûlés ainsi que les deux occupants de la GS qui la précédait.

La description de ces événements semble contenir toute l'explication du drame : un conducteur a été surpris par un bouchon et c'est l'incendie secondaire à un choc à faible vitesse qui a fait toute la gravité de cet accident. En réalité le travail d'analyse de la commission d'enquête et la procédure judiciaire ont révélé un nombre important de facteurs de risque dont il fallait tenter d'évaluer le rôle dans la survenue de l'accident et dans la détermination de sa gravité.

Sans reprendre tous les éléments d'un tel dossier, il est possible d'énumérer les facteurs de risque suivants :

La reconnaissance de facteurs de risque n'impose pas obligatoirement des contre-mesures spécifiques, il faut évaluer l’intérêt, la faisabilité et le coût d’une mesure de protection avant de la généraliser. Par exemple en réalisant des planchers de car résistant au feu, en imposant l'usage de tissus ne dégageant pas de vapeurs toxiques ou des réservoirs d'essence plus résistants au choc. C'est le rôle de l'épidémiologiste de dire la fréquence des facteurs de risques, aux techniciens et aux ingénieurs d'étudier les contre-mesures efficaces et aux décideurs administratifs et politiques d’imposer leur application en fonction de leur coût et de leur efficacité. L'accident de car de Beaune est un événement unique et la question qu’il pose est la suivante : est-il "raisonnable" de mettre en oeuvre de façon obligatoire toutes les mesures qui auraient pu réduire les conséquences de cet accident ? Comme en médecine, l’application à l’accidentologie de l’affirmation que la vie humaine n’a pas de prix et que toutes les mesures qui peuvent la préserver doivent être mise en oeuvre n’est pas réaliste. La prévention de la mort, des blessures et des handicaps a un prix.

 Entre l’accident impliquant une seule personne et le carambolage d’autoroute pouvant concerner des dizaines de véhicules se situe l’accident le plus fréquent impliquant deux usagers. Il survient en intersection ou en dehors de tout croisement, sur des sections de route droites ou en courbe.

Exemple 3 : Un homme de 45 ans conduisant une Peugeot 309 circule sur un chemin vicinal qui se termine par une intersection avec une voie départementale prioritaire. Il marque un temps d’arrêt à un panneau stop et redémarre. Il est alors heurté au niveau de l’extrémité de son aile arrière gauche par un motocycliste conduisant une Honda 750 qui n’a pu s’arrêter en découvrant cette voiture au milieu de la chaussée et a tenté de passer derrière elle. A la suite du choc le motocycliste est déséquilibré et tombe, la moto et son conducteur glissent sur environ 45 mètres avant de s’immobiliser sur l’accotement. Les blessures du motocycliste se limitent à des fractures de la main gauche associées à des plaies du coude et de la cuisse gauches. Un tel accident peut être considéré comme un banal « refus de priorité » à un stop. Ce type d’accident est en réalité assez complexe. Le conducteur du véhicule léger a déclaré que la visibilité de la route prioritaire était réduite du fait de virages et qu’il avait déjà redémarré quand il a vu la moto sur sa gauche. Le motocycliste n’avait pas eu la possibilité de s’arrêter en évitant le choc et sa distance de freinage puis de ripage au sol après le choc indique une vitesse supérieure au maximum autorisé de 90 Km/h. Ce conducteur avait 22 ans au moment de l’accident, il possédait sa moto depuis 11 jours et son permis de conduire depuis 25 jours. Nous savons que les accidents sont plus fréquents dans la période qui suit l’obtention du permis et ce phénomène est particulièrement marqué pour les conducteurs de motos puissantes. Nous avions constaté dans une étude des accidents mortels que la moitié des motocyclistes tués avaient eu leur accident au cours des six mois qui avaient suivi l’achat de leur véhicule (cette étude avait été faite avant la modification du permis de conduire moto qui ne permet plus d'accéder directement à la conduite de motos très puissantes). Les conducteurs qui sont accidentés en redémarrant à un stop ont également des particularités. Ce sont souvent des personnes relativement âgées qui perçoivent mal la vitesse du véhicule utilisant la voie prioritaire et qui démarrent lentement, occupant plus longtemps une position dangereuse au milieu de la chaussée qu’ils traversent. Les notions d’expérience, d’aptitude et d’attention dominent l’accidentologie des intersections. Il ne faut pas cependant minimiser le rôle des autres partenaires, la puissance inutile des motos est un facteur de risque majeur, comme l’aménagement inadapté d’une intersection située en sortie de courbe. Le véhicule prioritaire qui roule trop vite ne peut s’arrêter quand la chaussée est occupée par le véhicule non prioritaire qui redémarre après avoir marqué le stop. Il faut réduire la vitesse des véhicules sur l’axe principal, par des actions sur l’infrastructure, par exemple créer un *rond-point si la circulation le justifie), ou par une signalisation limitant la vitesse. Dans certains cas il faudra déporter l’intersection si elle ne peut être aménagée de façon satisfaisante.

 Les accidents hors intersection qui impliquent deux véhicules roulant dans des directions opposées sont soit des accidents de dépassement, soit des pertes de contrôle, provoquant un choc frontal avec le véhicule circulant dans l’autre direction. Ces accidents sont graves du fait de l’importance de la différence de vitesse entre les véhicules, les *vitesses à l’impact (vitesse de collision) pouvant être proches des vitesses de circulation. Les accidents de dépassement sont le fait des véhicules rapides dont les conducteurs prennent des risques dans des dépassements aventureux car ils sont confiants dans la « réserve de puissance » de leur instrument. Les véhicules peu puissants ont une faible différence de vitesse avec le véhicule dépassé, ce qui leur permet de se replacer sans risque derrière lui si un véhicule apparaît en face. Il est plus facile de maîtriser une relative impuissance à faible vitesse que des possibilités qui dépassent largement les aptitudes de la majorité des conducteurs. Parfois les accidents de dépassement sont le résultat de règlements de compte entre automobilistes. Les responsabilités peuvent être difficiles à établir dans une relation complexe entre deux agressivités.

Exemple 4 : un véhicule de marque Opel dépasse sur une autoroute une Mercedes. Au cours de cette manoeuvre les deux véhicules se touchent. La vitesse est élevée et l’Opel finira sa trajectoire après plusieurs tonneaux au delà de la glissière de sécurité latérale qu’elle a franchie, la Mercedes traversera la chaussée rapide avant de heurter la glissière médiane. Le conducteur et un autre occupant de l’Opel sont gravement blessés. Les témoignages sont contradictoires, le conducteur de l’Opel prétend que l’autre conducteur a accéléré pour l’empêcher de dépasser, puis s’est déporté vers la gauche en le coinçant contre la glissière centrale. Le conducteur de la Mercedes affirme que son "adversaire" lui a fait une queue de poisson et a perdu le contrôle de son véhicule après l’avoir heurté. Les traces de freinage et de ripage sont en faveur de cette dernière hypothèse.

Les agressions volontaires entre automobilistes ne sont pas exceptionnelles, mais elles ont rarement cette gravité, ce sont principalement des accidents en agglomération à faible vitesse, dans des fusions de files ou dans des manoeuvres où l’un des acteurs force son voisin d’un moment à accepter sa loi. Quand l’un d’entre eux refuse de se soumettre, les tôles entrent en contact mais ces manoeuvres sont heureusement rares à grande vitesse.

Les chocs frontaux provoqués par des pertes de contrôle sont plus fréquents que les accidents de dépassement. L’origine de la perte de contrôle est très variable et souvent difficile à identifier par les enquêteurs quand elle se produit dans une ligne droite.

Exemple 5 : Une femme de 67 ans conduisant une Volkswagen sur une route nationale mord sur le côté droit de l’accotement, perd le contrôle de son véhicule, traverse la chaussée et heurte de face un ensemble articulé. La conductrice du véhicule léger est tuée sur le coup, ses deux petits enfants sont blessés. Aucune explication autre qu’une inattention provoquant un empiétement sur le bas côté et une réaction de redressement trop brutale et excessive de sa trajectoire ne peut être retenue.

Un tel accident est plus facilement explicable quand il survient dans une courbe.

Exemple 6 : Un homme de 37 ans conduisant une Renault 9 perd le contrôle de son véhicule à la sortie d’une courbe à droite sur une voie départementale et heurte de face un poids lourd. Il pleuvait légèrement, les vitesses étaient faibles et les trois occupants ceinturés du véhicule léger n’ont subi que des contusions thoraciques légères. Malgré sa simplicité apparente, cet accident peut avoir deux descriptions différentes suivant que l’on retient une perte de contrôle provoquée par le virage ou par un freinage en sortie de virage quand le conducteur a vu le poids lourd qui allait croiser sa route. Il semble d’après les trajectoires et le point de choc que cette seconde interprétation est la bonne. Le réseau secondaire souvent étroit et sinueux est une source permanente de surprise, même pour le conducteur qui le fréquente quotidiennement. Se trouver nez à nez avec un poids lourd en sortie de courbe fait partie de ces situations qui peuvent provoquer des réactions brutales de redressement ou de freinage, voire une association des deux, à l’origine d’une perte de contrôle.

Ces deux accidents illustrent la différence entre la fausse manoeuvre qui provoque l’accident et sa conséquence. Une perte de contrôle peut provoquer un accident impliquant un seul conducteur, comportant un retournement, ou un choc frontal contre un arbre. Elle est également capable, si le hasard a placé un véhicule sur la trajectoire, d’entraîner un choc frontal entre les deux véhicules, voire un choc plus complexe car le véhicule en perdition peut être perpendiculaire à la chaussée ou sur le toit, lors de la collision. Parfois, et ce fut probablement le cas dans l’accident précédent, c’est la présence de l’autre véhicule qui provoque la réaction inadaptée, ou irréalisable du fait d’une vitesse excessive. Il est fréquent de retenir la fatigue, l’assoupissement voire l’endormissement comme cause principale d’une perte de contrôle. Certains accidents sont bien documentés, des témoins signalant le comportement anormal d’un véhicule qu’ils suivent. Sa trajectoire est irrégulière, il va d’un côté à l’autre de la chaussée et finalement quitte la route. Il est très difficile de faire la part de l’alcool et de l’endormissement dans ce type de comportement et c’est souvent la mesure de l’alcoolémie qui reconnaîtra ce facteur de risque particulier. Il peut d’ailleurs s’associer à un endormissement qui est parfois le début d’un véritable coma éthylique. L’endormissement isolé est la conséquence d’une conduite trop longue sans repos ou de l’usage d’un véhicule après une longue période sans sommeil (accident du matin des travailleurs nocturnes regagnant leur domicile ou de fin de nuit de ceux qui travaillent très tôt). Beaucoup plus rarement l’endormissement se situe dans le cadre d’une véritable maladie se traduisant par des troubles respiratoires lors du sommeil (apnée du sommeil). Les personnes qui sont atteintes de ces troubles ne peuvent bénéficier d’un sommeil réparateur et elles ont tendance à s’endormir dans la journée, éventuellement au volant.

Exemple 7 : de nuit à 3 h 40, une Peugeot 205 conduite par un homme de 19 ans heurte l’arrière d’une Simca 1000 normalement éclairée. Cette dernière bascule dans le fossé et s’immobilise sur le toit, son conducteur est légèrement blessé. Le conducteur qui l’a heurté ne se souvient de rien, il n’est pas blessé. Il indique aux enquêteurs qu’il « s’est peut-être assoupi ». Il est apprenti pâtissier  et se lève à 2 heures du matin pour se rendre à son travail.

La perte de contrôle imputable au conducteur, sans intervention d’un fait extérieur provenant de l’infrastructure ou des conditions météorologiques, peut être liée à une modification du comportement provoquée par une substance de nature variable : alcool, médicament (hypnotique, tranquillisant) ou drogue illicite. C’est l’alcool qui est le plus souvent en cause dans notre pays. Il concerne aussi bien les conducteurs de 2 roues que ceux des véhicules à quatre roues ainsi que les piétons.

Exemple 8 : un cyclomotoriste de 44 ans se déplaçant sur une route départementale à la tombée de la nuit se déporte sur sa gauche et heurte l’aile avant et la portière arrière gauche d’une voiture Ford Fiesta venant en sens inverse, conduite à une vitesse modérée par une jeune femme de 29 ans. Le cyclomotoriste qui ne portait pas de casque est décédé d’une fracture du crâne quelques heures après l’accident. Son alcoolémie était à 2 grammes par litre.

 Un facteur de risque est souvent méconnu dans les accidents impliquant deux usagers. Il se caractérise par une inattention paraissant incompréhensible pour l’autre impliqué ou les témoins. L’auteur de l’accident ne dort pas, ne somnole pas et cependant il semble avoir été totalement imperméable à des renseignements visuels qui devaient attirer son attention et modifier son comportement. Si l’auteur d’un tel accident n’a pas été tué ou blessé gravement et peut témoigner, il dira simplement « je n’ai rien vu » et personne ne le croira, pensant qu’il cherche une excuse dans une absence de perception de l’autre usager pour masquer l’erreur d’appréciation d’une trajectoire ou d’une vitesse.

Exemple 9 : en agglomération, une Citroën 2CV traverse une intersection à faible vitesse, une véhicule utilitaire léger à cabine avancée qui allait la croiser tourne à gauche et heurte la 2 CV à l’avant gauche. Les dégâts sont purement matériels et le conducteur de l’utilitaire descend de son véhicule en disant au conducteur du véhicule heurté : « je ne vous ai pas vu ». Les deux autres occupants de la banquette avant de l’utilitaire étaient les premiers surpris de cette affirmation car eux-mêmes avaient parfaitement vu la 2CV venant en face et n’imaginaient pas que leur chauffeur allait tourner à gauche au moment de la croiser.

Ce type d’accident est assez fréquent et il ne faut pas l’attribuer à un début d’endormissement ou à une erreur d’appréciation de la vitesse du véhicule heurté. Il s’agit d’un trouble de l’attention et de la perception qui fait qu’un renseignement parfaitement accessible n’est pas pris en compte par le conducteur. Le véhicule adverse peut être mal perçu du fait de sa faible surface apparente (cas du cycliste heurté par l’arrière sur une route ou dans une intersection alors que la visibilité est normale), il peut s’agir d’un véhicule de tourisme voire d’un poids-lourd dont le volume est important, ce qui témoigne de l’intensité de ce trouble de l’attention aux faits et de l'interprétation d'une situation.

Parfois la perte de contrôle peut être imputée à une circonstance particulière modifiant la relation entre le véhicule et l’infrastructure (forte pluie, verglas, neige, grêle...).

 Exemple 10 : un homme de 40 ans conduit une Peugeot 205 dans laquelle ont pris place sa femme et ses deux enfants. De nuit, après une forte pluie, il perd le contrôle de son véhicule en traversant une flaque d’eau de 51 mètres de long et de plus de 10 centimètres de profondeur provoquée par l’obstruction d’une bouche d’égout par des feuilles. Il heurte de face un minibus transportant 7 enfants. Les occupants des deux véhicules n’ont que des blessures légères.

Le lien entre l’accident et l’environnement peut être moins évident associant un comportement humain inadapté à des conditions de circulation défavorables exigeant une vitesse plus faible et une vigilance particulière.

Exemple 11 : une femme de 35 ans conduit une Renault 5 en agglomération la nuit, il pleut, l’éclairage est allumé mais son efficacité est réduite, le lampadaire le plus proche étant en panne. Deux jeunes filles se sont engagées sur un passage pour piétons et la conductrice les voit tardivement. L’une d’entre elles est heurtée, bascule sur le capot et son crâne heurte le pare-brise. Elle souffre de contusions bénignes, sans fracture ni perte de connaissance.

La qualité de l’éclairage urbain a un rôle important dans la prévention des accidents impliquant des piétons. Il doit être bien conçu et bien entretenu pour rendre les services que l’on attend de lui. Il peut être générateur d’effets défavorables si les automobilistes sécurisés par sa qualité augmentent leur vitesse de base. Une mesure réduisant certains risques peut avoir des effets associés défavorables, qui devront eux-mêmes être contrôlés par des mesures adaptées.

La vitesse des véhicules impliqués est un élément si important et si sensible dans les débats publics sur le risque accidentel qu’il sera nécessaire de préciser son rôle dans les autres parties de ce site consacrées aux connaissances. Nous verrons que la distinction entre facteur favorisant et facteur déterminant est artificielle. La vitesse est un facteur de risque comme les autres, qui doit être quantifié par des méthodes adaptées, sans idée préconçue sur son rôle dans les accidents. Parfois, une vitesse excessive compte tenu de l’environnement est si évidente que les enquêteurs placent ce facteur de risque en tête des causes présumées de l’accident dans leur procès-verbal.

 Exemple 12 : un véhicule Citroën CX conduit par un homme de 39 ans circule sur une route secondaire. Une soixantaine de mètres après la sortie d’un virage, la chaussée est rétrécie au niveau d’un pont. Le conducteur ne peut passer en même temps qu’un poids lourd qui s’est engagé sur le pont. Il freine sur 53 mètres et heurte de face le véhicule adverse. La vitesse au moment de l’impact ne dépasse pas une trentaine de km/h. Le conducteur et son passager souffrent de blessures légères.

Le « défaut de maîtrise » d’un véhicule se caractérise par l’impossibilité de s’arrêter dans l’espace qui peut être occupé par un autre usager dans des conditions de circulation normale. Cet accident est une illustration de l’incapacité de s’arrêter du fait d’une vitesse excessive.

 

Le passage du cas particulier aux dénombrements représentatifs et à l’identification des facteurs de risque

Ces exemples permettent de comprendre les buts des études accidentologiques. Elles doivent dépasser le simple dénombrement des morts et des blessés en fonction du lieu de l’accident, du type de véhicule et des caractéristiques des personnes impliquées pour atteindre la compréhension des mécanismes et donner leur juste poids aux différents facteurs de risque. Chaque élément de la chaîne causale doit être envisagé dans sa relation avec les autres.

Dans une étude accidentologique approfondie (dite souvent EDA pour étude détaillée d'accident), une centaine de données peuvent être réunies pour un seul accident, parfois plus. Il faut plusieurs milliers d’accidents et des études de groupes témoins non accidentés pour être capable d’évaluer le rôle des différents facteurs dans la survenue de l’accident ou dans la gravité de ses conséquences. C’est seulement après avoir effectué ce travail de collecte de l’information que l’on peut tenter d’évaluer le poids des facteurs de risque, analyser les actions possibles en fonction de leur faisabilité, de leur acceptabilité, de leur coût économique et de leur efficacité. Souvent les facteurs de risque sont associés dans des accidents d'une façon qui n'a rien d'aléatoire, permettant de décrire des scénarios d'accidents particulièrement adaptés à une approche préventive. Il faut surtout renoncer aux approches unilatérales qui privilégient un des aspects de la prévention et avoir en permanence à l’esprit la notion d’un système complexe dont les éléments agissent les uns sur les autres. Chaque point d'abord particulier peut être bénéfique s’il est inclus dans une conception d’ensemble.

Les sources de renseignement

Les producteurs de données accidentologiques ont des objectifs différents et les renseignements dont ils disposent sont adaptés à leurs buts. Il faut connaître leurs particularités, leurs qualités et leurs insuffisances pour en faire un usage approprié.

Les dénombrements au niveau national de l’ensemble des accidents corporels sont effectués par le ministère de l’intérieur et le ministère qui a en charge les transports. Des exploitations différentes de ces données sont effectuées par les différentes administrations concernées (ou par des organismes de recherche) mais la source est unique, c’est le bulletin d’analyse d’accident corporel de la circulation (BAAC). Chaque fois qu’un commissariat de police ou une brigade de gendarmerie est prévenue de la survenue d’un accident de la circulation ayant provoqué une blessure, il établit un document (procès verbal) décrivant l’accident qui constitue la base de la procédure aboutissant éventuellement à des sanctions pénales et à l’indemnisation des victimes (assurances). Dans un but purement statistique, les policiers et les gendarmes renseignent également le BAAC qui décrit les caractéristiques générales de l’accident (date, heure, lieu, conditions atmosphériques, type de collision), les lieux (type de voie, profil, état, aménagements, signalisation, environnement), les véhicules (catégorie, chargement, état, point de choc, obstacle heurté, manœuvres avant l’accident) et les usagers (place, sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, blessures, éventuelle alcoolisation, caractéristiques du permis de conduire, nature du trajet, usage des systèmes de sécurité). Ces renseignements sont fournis sous une forme codée et peuvent être exploités directement par des systèmes informatiques. C’est à partir de cette base de données que les pouvoirs publics publient chaque mois et annuellement le bilan des accidents de la route. Il faut bien comprendre que l’objectif principal des BAAC est de permettre un bilan descriptif des lieux, des véhicules, des usagers et des conséquences de l'accident. Des facteurs de risque sont signalés, les responsabilités des différents impliqués également, mais la difficulté d'accès à certains facteurs de risque limite les possibilités d'exploitation du BAAC dans des études à visée explicative. L'exploitation des procédures écrites établies après l'accident est une méthode plus sûre, bien qu'elle ait également ses insuffisances.

Une seconde base de données disponible au niveau national est produite par les assureurs. Son objectif est d’abord financier, elle précise le coût des dommages matériels ou corporels indemnisés par les compagnies d’assurances. Une édition des principaux résultats a été publiée tous les deux ans jusqu’en 1988 par l’association générale des société d’assurances contre les accidents. Il n’y a pas eu de publication des résultats entre 1988 et 1992, à cette date un nouveau " recueil de données statistiques sur l’assurance automobile" a été publié par " l’assemblée plénière des sociétés d’assurances dommages" (*APSAAD). Ce document contient des renseignements très précis sur le parc automobile et les assurés, mais la partie la plus intéressante concerne les fréquences et les coûts des sinistres, en particulier leur variation en fonction des groupes de tarification des véhicules. Ces groupes réunissent les véhicules qui vont provoquer des indemnisations dont les montants sont proches. Ces montants sont évalués au moment de la sortie d’un nouveau véhicule à partir de donnés objectives (prix, puissance, vitesse maximale etc.), ils sont ensuite corrigés en fonction des résultats réels observés, les différentes compagnies mettant en commun leurs données statistiques. Comme les données produites par les BAAC, les données des assureurs sont descriptives et non explicatives, leur objectif est de fonder une tarification et non de développer la prévention, mais ils peuvent contribuer de façon très importante à la quantification des facteurs de risques et donc à la prévention. Le passage de données descriptives à des interprétations explicatives est une pratique permanente de l'épidémiologie. Il doit cependant se faire avec de multiples précautions, les facteurs associés et les "biais" sont multiples, nous reviendrons à de multiples reprises sur ce type de risque.

Au niveau départemental, les autorités administratives disposent d’un extrait des BAAC concernant leur circonscription. Les données disponibles sont complétées par les renseignements fournis par les études « REAGIR ». Ces dernières ont été instituées par le ministère des transports au début des années 80 pour développer une action locale de prévention des accidents. Les commissions REAGIR réunissent des policiers, des gendarmes, des magistrats, des médecins des services d’urgence ou de SAMU, des administratifs du département, en particulier de la direction départementale de l’équipement. Leur but est d’identifier les facteurs de risque particuliers au département, notamment les zones dangereuses, et de proposer des contre mesures. Les données produites par ces commissions ont parfois été réunies au niveau national. Cette façon de procéder est discutable car il n’y a pas eu de définition de méthodes homogènes de recueil des données. En outre les moyens matériels de ces commissions ont été très réduits et leur but était de produire un renseignement utile localement et non de contribuer à une épidémiologie nationale. Progressivement ces études REAGIR ont été abandonnées.

Le nombre de structures de recherche agissant dans le domaine de l'accidentologie est relativement limité du fait de l’importance des moyens financiers nécessaires. Les médecins produisent une recherche qui est essentiellement traumatologique. Leurs publications concernent des blessures particulières, leur évolution et leur traitement, elles traitent rarement des conditions de survenue de l’accident, faute d’équipes d’enquêteurs spécialisés dans ce travail. En pratique deux groupes ont eu la possibilité de faire de la recherche accidentologique dans notre pays au cours des vingt cinq dernières années. Les équipes de l’INRETS et celles qui ont été constituées par une collaboration entre les constructeurs automobiles (LAB) et une structure associative composée d'ingénieurs et de médecins (CEESAR)

L’institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS) a été constitué en 1985 par la fusion de l’institut de recherche sur les transports (IRT) et l’organisme national de sécurité routière (ONSER) qui avaient été créés par le ministère des transports pour développer les recherches sur les transports et les accidents. Avant leur fusion ces organismes avaient une structure associative, depuis leur fusion, leur statut est celui d’un établissement public sous la double tutelle du ministère des transports et de celui de la recherche. Ils travaillent soit avec des fonds publics soit en assurant des prestations de service pour des entreprises ou des collectivités locales. Ses principaux centres de recherche sont en région parisienne (Marne la vallée, Satory), à Bron dans la région lyonnaise, à Nancy et à Salon de Provence. Il publie de nombreuses études spécialisées sur les transports et les accidents et une revue périodique Recherche Transports Sécurité (RTS*). L’INRETS a une production épidémiologique importante provenant d’un fichier au 1/50ème des accidents corporels de la circulation. Les procès verbaux contenant en particulier les plans et les photos des accidents permettent un complément d’exploitation par rapport au BAAC. Leur étude est une étape intermédiaire vers les études approfondies d’accidents. Ces dernières ont été principalement réalisées par l’INRETS dans la région d’Aix en Provence.

Une initiative très intéressante dans le domaine de l'épidémiologie des accidents a été la création d'un registre des accidents survenus dans le département du Rhône à l'initiative de Bernard Laumon (INRETS-UMRESTE)). L'objectif est d'avoir une source de renseignements sur l'accident différente de la source produisant les BAAC (policiers et gendarmes) fondée sur les sources médicales (hôpitaux, cliniques recevant des urgences). Certains type d'accidents sont beaucoup plus fréquents dans ce registre que dans les BAAC, notamment quand il n'y a qu'un seul impliqué et que l'accident est relativement bénin.

Les constructeurs automobiles sont également des producteurs de recherche accidentologique depuis le début des années 70. Une première structure a été créée à cette époque, l’association Peugeot-Renault (APR*) qui a formé des équipes d’accidentologistes en collaboration avec des structures associatives de médecins. D’abord avec l’institut de recherches orthopédiques de l’hôpital Raymond Poincaré de Garches (IRO*) puis avec l’institut de recherches biomécaniques et accidentologiques (IRBA*) de l’hôpital Ambroise Paré de Boulogne. L’APR est devenue ensuite le « laboratoire d’accidentologie et de biomécanique associé à Peugeot S.A./ Renault » dit plus simplement « LAB ». Une dernière structure associative a été mise en place avec la participation de médecins et d’assureurs, le centre européen d’études sur les accidents et l’analyse des risques (CEESAR*). Cette nébuleuse d’associations finissant par devenir relativement opaque aux partenaires extérieurs, une fusion de l’ensemble des structures médicales de recherche associées au constructeurs s’est faite en janvier 1996. C’est le CEESAR qui regroupe les activités accidentologiques de ces associations. L’ensemble de ces structures de recherche travaillant avec les constructeurs réunissent des connaissances dans le domaine de l’accidentologie par l’analyse approfondie d’accidents sur des sites particuliers et par l’étude périodique de l’ensemble des procès verbaux d’accidents mortels survenus en France pendant une période définie (un trimestre en1981 et la totalité de l’année1990). Elles développent des études de biomécaniques pour mieux connaître les tolérances humaines au choc et les caractériser physiquement (études expérimentales sur le cadavre dans le cadre du don du corps pour la science, modélisation informatique). Leurs études concernent également la physiologie de la conduite et les facteurs de risque liés au comportement humain (études de l’IRO et de l’IRBA sur les risques routiers provoqués par la consommation d’alcool). La crise économique de 2008 a produit un désinvestissement dans certains secteurs de cette recherche, notamment celui des études détaillées d'accidents)

L’exploitation du renseignement

Les sources de données accidentologiques disponibles sont descriptives. Elles établissent la présence ou l’absence d’un certain nombre de facteurs qui peuvent modifier le risque d’accident. Il peut s’agir de l’âge ou du sexe du conducteur, du type de voie sur laquelle il circule ou du modèle de véhicule qu’il utilise. Ce peut être également son niveau d’alcoolémie ou la typologie de l’accident (perte de contrôle, accident d’intersection etc.). Une description n’est jamais une explication, or le décideur est intéressé par le rôle du facteur étudié dans l’accident et non par le simple fait qu’il est présent ou absent. Affirmer que 50% des automobilistes tués n’utilisaient pas la ceinture de sécurité n’est pas plus porteur d’explication que de dire que 20% de ces usagers ont les yeux bleus. Il faut pouvoir utiliser d’autres éléments pour produire l’information utile et passer de la description à la tentative d’explication des mécanismes et de l’évaluation des facteurs de risque. Il faut appliquer aux accidents les méthodes utilisées dans toutes les démarches scientifiques fondées sur l’analyse des données épidémiologiques.

La démarche la plus fréquente de l’accidentologiste consiste a évaluer quantitativement les facteurs de risque (ou de réduction d’un risque). Cette procédure est d’un grande banalité. Un joueur de dés sait qu’il à une chance sur 6 de sortir un six et qu’il double cette chance en lançant le dé deux fois. Un amateur de courses de chevaux sait que la cote d’un cheval à 10 contre un signifie que les parieurs estiment qu’il a deux fois moins de chance d’arriver le premier que celui qui est joué à 5 contre un. La notion de chance ou de risque recouvre la même évaluation de la probabilité de survenue d’un événement. Si j’affirme que l’occupant d’un véhicule léger portant la ceinture de sécurité a 2,4 fois moins de risque d’être tué dans un accident que celui qui n’est pas ceinturé, j’exprime un risque relatif et c’est ce renseignement qui est utile pour convaincre un décideur politique ou un usager que le port de la ceinture est un facteur de sécurité important. Le risque relatif peut être exprimé pour un facteur qualitatif comme le port de la ceinture (elle est portée ou elle ne l’est pas), il peut également être exprimé pour un facteur quantifiable. Un niveau d’alcoolémie à 0,8 g/l multiplie environ par quatre le risque de provoquer un accident mortel par rapport à une alcoolémie nulle. Ces valeurs sont obtenues en faisant des comparaisons entre des groupes différents et en calculant les risques liés à ces situations.

Il faut être attentif au risque de confusion provoqué par les liens entre les différents types de risque. Une relation n’est pas obligatoirement le signe d’un lien de causalité. Ce risque d’erreur qui consiste à considérer abusivement une corrélation comme un lien de cause à effet est plus important quand le facteur de risque est qualitatif (présence ou absence), il est moindre dans un risque mesurable (vitesse, niveau d’alcoolémie), s’il existe une relation mathématique entre le facteur de risque et les conséquences (relation analogue à la relation dose-effet des pharmacologistes). Si le risque de provoquer un accident s’accroît en fonction de l’alcoolémie en suivant une loi exponentielle, il est improbable qu’un facteur associé méconnu varie en suivant la même loi. Pour éviter les critiques sur le caractère « explicatif » ou non d’un facteur, les épidémiologistes se réfugient souvent derrière l’expression « recherche à visée pragmatique ». Ils signifient par là qu’ils cherchent à prévoir la survenue d’un événement en fonction de la présence ou de l’absence d’un fait ou d’un groupe de faits.

En pratique trois types de procédures peuvent être utilisés pour obtenir le renseignement utile sur les facteurs de risque.

les études de type I concernent une population ou un échantillon représentatif de la population et observent la survenue des accidents, en relevant la présence ou l’absence d’un certain nombre de facteurs considérés à priori ou à la suite d’études précédentes comme des facteurs de risque (ou de protection) possibles.

 Exemple : suivre une population d’enfants et observer le risque relatif d’accident de la circulation chez les garçons et chez les filles. Si l’on observe la totalité des enfants de 5 à 14 ans en France pendant l'année 1996, on constate que 141 garçons ont été tués dans un accident de la route et 83 filles, alors que les deux populations sont très proches, le risque d'être tué dans ces conditions est donc 1,7 fois plus élevé pour un garçon que pour une fille.

les études de type II comparent un groupe de personnes exposées à un risque particulier à un groupe de sujets non exposés à ce facteur de risque. Cette méthode comme la précédente permet de calculer directement une évaluation du risque relatif en comparant les fréquences de survenue de l’événement recherché dans les deux groupes. Son principal avantage est de permettre une conclusion alors que le facteur étudié est rarement présent tout en observant un nombre plus réduit d’accidents que dans les études de type I.

 Exemple : étude prospective du risque d’accident chez un groupe de conducteurs handicapés (atteints par exemple d’une surdité totale) par rapport à un groupe représentatif de la population générale d’automobilistes. Il serait très difficile de faire une étude de type I d’un tel facteur de risque, le nombre de personnes incluses dans l’étude devrait être très important pour que le nombre de sourds concernés permette une conclusion.

les études de type III comparent un groupe de personnes qui présentent le fait particulier étudié à un groupe témoin. Elles permettent également de calculer un risque relatif approché qui est dénommé "odds ratio".

 Exemple : comparaison entre l’alcoolisation d’un groupe de conducteurs accidentés et celle d’un groupe de conducteurs non accidentés observés dans les mêmes conditions (jour, heure, lieu). Cet exemple sera développé dans le chapitre consacré à l'effet des produits psycho-actifs.

la contribution de l'analyse de la conduite normale à la compréhension de l'accident.

Un conducteur de véhicule se déplace à une certaine vitesse, ce qui modifie en permanence son environnement routier. Il doit adapter son action à ces modifications. Dans ce but il recueille principalement des informations visuelles, en explorant son champ visuel et en l'étendant par des mouvements de ses yeux, parfois complétés par des mouvements de la tête. Il peut également recevoir des informations auditives et exploiter des sensations corporelles telles que des secousses, des vibrations, des accélérations verticales provoquées par une chaussée irrégulière ou transversales lors du passage de courbes. L'aptitude à percevoir ce qui est important et l'interprétation de ces données va dépendre de son expérience et de son attention, et les méthodes utilisées évoluent  en fonction de l'expérience (années d'ancienneté de permis) et la pratique (nombre de kilomètres effectués en une année).

Lors de la phase d'apprentissage, le conducteur ne sait pas réduire les informations à ce qui lui est utile, ni les exploiter au mieux. Il doit nécessairement disposer de temps pour faire une sélection et ensuite développer une action qui ne peut pas encore utiliser des automatismes, ces derniers n'étant pas établis. Le passage du mode d'activité du débutant vers celui de "l'expert" va demander du temps et de la pratique, comme dans tous les métiers qui ont une double composante, manuelle et intellectuelle. Regarder travailler un chirurgien expérimenté et un aide qui apprend à faire des nœuds de suture permet de voir que l'un fait ses nœuds rapidement et sans avoir à penser à ses mouvements, l'autre doit décomposer ses gestes, met plus de temps et fait des nœuds moins réussis. Dans le même temps il est incapable de penser à autre chose qu'au nœud qu'il est en train de faire, alors que le chirurgien pense à ce qu'il va faire dans la période opératoire suivante. Paradoxalement l'expert à simplifié et développé. Il a simplifié en ne prenant en compte que ce dont il a besoin,  il a approfondi en développant une capacité de mettre en œuvre un automatisme qui n'est pas entièrement prédéterminé, mais qui est une aptitude à adapter une procédure à un cas particulier. Le conducteur expérimenté qui arrive à un rond-point qu'il ne connaît pas, sait sans avoir besoin d'y penser explicitement, comme s'il vérifiait dans une liste, qu'il doit apprécier le diamètre de la partie centrale à contourner, l'aspect et la forme de la bordure de trottoir de la voie qui aborde le rond-point, puis l'agressivité éventuelle de la bordure du terre plein central, il trouve la bonne position pour entrer, la bonne vitesse, sait se placer correctement par rapport aux autres usagers en fonction de sa voie de sortie et de la densité de circulation. Sa vitesse sera très différente s'il connaît le rond-point et sa voie de sortie ou s'il emprunte ce giratoire pour la première fois. Il a donc à sa disposition une procédure "rond-point à priorité à l'anneau" avec deux variantes suivant que le lieu lui est connu ou inconnu. Un grand rond point à priorité à droite comme celui de l'Etoile impose un comportement très différent, et tous ceux qui l'empruntent régulièrement ce lieu stratégique et tactique de la circulation parisienne ont une méthode précise pour le négocier en fonction de la densité de circulation.

Ces remarques sont destinées à faire comprendre que la conduite automobile exige des adaptations permanentes et n'a rien à voir avec la conduite d'un train ou la mise en route d'un réacteur nucléaire. La marge de manoeuvre est beaucoup plus grande sur la route, depuis le choix de la trajectoire jusqu'à la vitesse en passant par les relations avec les autres. La contrainte du code de la route existe, mais ce dernier ne définit pas une procédure précise adaptée à toutes les circonstances, il fixe les limites dont il ne faut pas sortir, sous forme d'obligations et d'interdits (il faut marquer l'arrêt à un stop, il faut tenir sa droite, il ne faut pas dépasser 90 km/h sur une route à deux voies hors agglomération etc.). Dans ce cadre, l'automobiliste a une grande liberté, il va l'utiliser et parfois en abuser. Quand il "lit la route" pour identifier les bonnes catégories de comportements qu'elle autorise, il peut se tromper et ce risque d'erreur est permanent, la route peut être "peu lisible", lui même peut être peu attentif, fatigué, pressé et à un moment il va sortir des limites qui constituent ses références habituelles. Il n'aura pas obligatoirement un accident, mais il va être amené à faire une correction inhabituelle pour lui, freinage d'urgence, correction de trajectoire avec une accélération transversale forte, provoquant par exemple le crissement des pneus sur l'asphalte. A un niveau de gravité suivant ce sera un début de perte de contrôle, un passage involontaire sur le bas côté, une manœuvre d'évitement d'obstacle, un freinage qui se termine à quelques centimètres du véhicule précédent dont l'arrêt a été perçu tardivement, une fin de dépassement qui fait peur. Tant qu'il n'y a pas eu de choc avec dégâts sur le véhicule (ou sur d'autres véhicules, on peut provoquer un accident sans avoir la moindre éraflure sur sa carrosserie) le conducteur ne parlera pas d'accident. Ces circonstances de "presqu'accident" sont très importantes car elles établissent un lien entre la conduite normale et l'accident et constituent un élément clé du mécanisme d'acquisition ou de maintien des aptitudes à la conduite. On pourrait presque dire que la conduite consiste à éviter en permanence l'accident et qu'à tout moment nous côtoyons ce dernier. Bien sûr nous n'avons pas en permanence à l'esprit cette éventualité, ce serait inhibant, mais elle est à côté de nous et nous le savons parfaitement, quelle que soit la confiance que nous pouvons avoir dans notre expertise de la conduite.

Dans le chapitre concernant l'usager, nous verrons comment ces faits peuvent être documentés statistiquement, notamment l'influence des années de conduite et du kilométrage annuel sur le risque d'avoir un accident. A ce stade je souhaite faire accepter que le conducteur est au prise avec un système et qu'il peut le faire fonctionner avec des niveaux de qualification et de prises de risque différents. Une des comparaisons qui me vient à l'esprit est celui des jeux vidéo où l'on peut faire le choix d'un niveau de compétence. Entre le débutant et l'expert, plusieurs niveaux intermédiaires exigeront à la fois des automatismes et des stratégies de qualité différentes. Nous faisons les mêmes choix sur la route et ils évoluent au cours de la vie, mais également d'un jour à l'autre en fonction des contraintes qui s'exercent sur nous. La difficulté est de faire le bon diagnostic au bon moment, de savoir reconnaître que l'on est fatigué, préoccupé et qu'il faut intégrer ce fait à notre comportement alors que justement ces situations peuvent mettre au second plan nos préoccupations concernant la qualité de notre conduite. Dans cette adaptation permanente entre le niveau de compétence que nous nous accordons et le niveau d'exposition au risque que nous "choisissons", il y a la place pour une double erreur, elle peut provoquer un presque accident, un accrochage aux conséquences purement matérielles ou un accident corporel, la gravité des conséquences peut n'avoir aucune proportionnalité avec la gravité de l'erreur. L'accident demeure un événement rare, l'erreur est fréquente, il faut l'exploiter au mieux, sans optimisme excessif et au lieu de conclure après chacune d'entre elles "je l'ai bien rattrapé, je suis plutôt bon conducteur" se dire "il est anormal que je me sois placé dans cette situation de risque, j'ai eu de la chance d'éviter l'accident". La question piège est alors la suivante : peut-on demeurer un bon conducteur sans jamais se rapprocher de l'accident, alors que c'est cette proximité qui provoquera une remise à niveau de la vigilance dans le domaine concerné et finalement maintiendra sa compétence ? Toute l'ambiguïté de la proposition est dans le "se rapprocher", celui qui lui donne la signification "frôler" est très différent de celui dont le seul but est d'être attentif à ce qu'il n'a pas fait au mieux sur la route, tout en demeurant fort loin de l'accident. L'accident est habituellement la conséquence d'un niveau de prise de risque qui dépasse le niveau de compétence à un moment donné. Celui qui se place à un niveau de prise de risque très bas aura moins d'accidents que celui qui à une meilleure compétence mais place sa prise de risque trop près de ses limites. L'exemple extrême est le coureur automobile qui a une compétence exceptionnelle mais place sa prise de risque à un niveau si élevé qu'il est très fréquemment impliqué dans des "accidents".

Une liste de facteurs qui peuvent influer sur la fréquence des accidents ou leurs conséquences (par kilomètres parcourus)

Le but n'est pas de produire une liste exhaustive, mais de donner un aperçu de la diversité des situations et de montrer que plusieurs de ces facteurs peuvent se combiner, il est pratiquement toujours abusif de vouloir identifier une cause unique à un accident.

Les notions importantes pour comprendre l’accident et sa prévention