Agir pour la sécurité routière
Nous avons vu que le bilan de la politique de sécurité routière des vingt dernières années est impressionnant. Il y avait plus de 17 000 morts en France sur les routes en 1972, ce nombre s'est progressivement réduit sous l'influence de multiples facteurs. Il était proche de 8000 pendant la période 1997-2002 (180 tués en moins entre mai 1997 et mai 2002). Le choix politique d'un retour à un meilleur respect des règles décidé par le gouvernement à partir de 2002 a provoqué une véritable effondrement de la mortalité (2103 tués en moins entre mai 2002 et décembre 2003 en valeur annuelle). 5725 personnes ont été tuées sur les routes en 2003 alors que la circulation a été multipliée par un facteur proche de trois depuis 1973. Nous sommes maintenant au dessous de 5000 tués depuis 2006, malgré la prise en compte des décès tardifs entre le 6ème jour et le 30ème. Peu d’actions de santé publique ont provoqué autant de législation et de réglementation. Le code de la route est devenu un monument (peu lisible) témoignant d’un activisme politico-administratif dont je ne sous estime pas l’efficacité, mais ces actions demeurent encore insuffisantes. La mort routière demeure la première cause de mortalité des adolescents et des jeunes adultes.
Une amélioration importante de la sécurité ne peut être obtenue par quelques actions isolées. Elle ne peut être que le résultat d’une entreprise résolue et coordonnée mettant en œuvre un ensemble complet de mesures se renforçant mutuellement. Pour définir une telle planification il convient de faire une liste commentée des diverses mesures envisageables en tenant compte des distinctions habituelles : sécurité primaire ou secondaire, actions sur l’infrastructure, le véhicule ou usager, mais aussi des résultats que l’on peut obtenir de chaque mesure. Le but de cette partie du site est de faire ce recensement des mesures envisageables et de tenter de préciser leur niveau d’efficacité. Dans une autre partie (propositions) j'ai conservé la présentation d'une liste des mesures qui me paraissaient les plus intéressantes à mettre en oeuvre avant la réforme récente de la politique de sécurité routière. Définir une politique de sécurité routière est un choix parmi plusieurs orientations possibles, il est donc nécessaire de distinguer l’ensemble des mesures possibles et les raisons qui font qu’un expert ou un gouvernement choisit de privilégier certains axes. Le choix entre une sécurité « intrinsèque » dite aussi « structurelle » et une sécurité reposant sur le système de contrôles et de sanctions fait partie de ces choix fondamentaux.
En envisageant les causes de l’insécurité nous avons rencontré des facteurs qui dépendaient principalement de l’individu et d’autres qui étaient indépendants de son attitude. Cette distinction n’exclut pas les interactions permanentes entre les deux types de procédures, mais elles constituent des abords différents et il convient de les individualiser dans une analyse descriptive des actions possibles. L’organisation de la sécurité routière n’est pas un ensemble de décisions techniques s’ajoutant les unes aux autres, c’est un choix de société, elle est donc politique. Il convient de fixer les objectifs et de définir l’ensemble des mesures qui permettront de les atteindre. Toute autre attitude est une gesticulation inacceptable, destinée à faire croire que l’on tente d’atteindre un objectif alors que l’on renonce dans le même temps à s’en donner les moyens.
Les choix de société
Le choix des objectifs
Réduire la mortalité sur les routes est en apparence un objectif qui réunit tous les Français. Je n’ai pas encore lu ou entendu un propos en faveur de l’augmentation de la mortalité routière, l’abaissement du nombre des accidents depuis 30 ans a été ressenti comme un progrès atteint avec des mesures dont il fallait s’accommoder, et non comme un événement fâcheux qui réduisait l’activité des hôpitaux, des centres de rééducation et des pompes funèbres.
Les succès des quatre dernières années ne permettent pas de dire que nous avons atteint un niveau minimal indissociable de l'usage de voitures particulières. La situation de pays comme la Grande Bretagne et la Suède nous permet d'affirmer qu'il est encore possible de réduire la mortalité sur les routes. Leurs succès prouvent qu’il est possible de ne pas payer d’autant de vies humaines la liberté de circuler, et ils permettent d’exiger des résultats analogues aux leurs dans notre pays. Le problème est proche de la sécurité d’un produit à usage thérapeutique. Si un procédé d’inactivation des virus peut éviter qu’un facteur anti-hémophilique transmette le sida, et si ce procédé peut être mis en oeuvre à un coût accessible et sans contrainte anormale pour l’utilisateur, il faut le faire. Si les Suédois ou les Anglais ont deux fois moins de morts que nous sur les routes, nous pouvons et nous devons atteindre des résultats comparables.
Dans une telle conception du problème, l’objectif d’une division par deux du taux de mortalité routière par habitant et par an, affiché comme un objectif du Gouvernement en novembre 1997 était raisonnable, mais il n'a pas été atteint, le Gouvernement de Lionel Jospin a raté sa politique de sécurité routière. Depuis 2002 le retour a une crédibilité du système de contrôle et de sanction a obtenu des résultats d'une qualité exceptionnelle, nous faisant passer de 8000 à moins de 5000 morts. Il faut cependant remarquer que les engagements de 2002 sur une action déterminée de la France auprès des organismes communautaires pour obtenir une limitation de la vitesse des véhicules à la construction sont restés au niveau de la parole.
Le choix des méthodes
Deux contraintes contradictoires sont en jeu quand on veut réduire l’insécurité routière : l’efficacité des mesures et leur acceptabilité. Nous savons ce qui est efficace, il est plus difficile de prévoir ce qui est acceptable. L’intensité du conflit entre le Gouvernement et les routiers lors de l’instauration du permis à points n’était pas une réaction prévisible. Il est facile après coup de dire que les explications auraient dû être plus précises et la «concertation» de meilleure qualité. Un milieu de travailleurs souvent indépendants, peu syndiqués et en proie à des difficultés économiques importantes, peut focaliser ses réactions sur des mesures qui n’ont pas de rapport direct avec ses problèmes les plus graves. Les décisions concernant la sécurité routière font partie d’un domaine sensible, les réactions des groupes de pression qui s’opposent à toute contrainte supplémentaire sont plus perceptibles que la demande diffuse de sécurité de la part d’une population. Cette situation est responsable d’une attitude prudente des pouvoirs publics qui veulent éviter les réactions provoquées par une politique efficace. Avant d’envisager un plan coordonné de mesures qui permettraient d’atteindre les objectifs gouvernementaux, il faut décrire les facteurs d’influence qui peuvent favoriser leur adoption ou s’y opposer.
Les motifs d’agir ou de ne rien faire
En faveur de la sécurité routière
- l’exigence de sécurité qui est une évolution très générale des sociétés industrielles. Quand la mortalité par maladie, par malnutrition, est élevée, l’accident apparaît comme un facteur de mort parmi d’autres. Si la mortalité des enfants et des jeunes adultes devient un phénomène rare, la mort accidentelle à de telles périodes de la vie devient inacceptable,
- la réduction des coûts de transport. L’assurance automobile a un coût proportionnel à l’accidentalité, si l’on réduit le risque, on réduit les coûts. Le gain a également une traduction au niveau des entreprises (réduction de l’absentéisme, régularité du service rendu) qui améliore sa compétitivité,
- la réduction de la pollution atmosphérique liée à l’usage des combustibles fossiles, soit au niveau local (pollution des villes), soit au niveau de la planète (atteinte de la couche d’ozone, modifications du climat). Même si des progrès techniques considérables ont été réalisés dans ce domaine, la meilleure combustion produit toujours du gaz carbonique et un doute sérieux existe sur les risques liés à l’effet de serre,
- l’abaissement du niveau de bruit quand la vitesse des véhicules est réduite. Les usagers sont sous informés de l’importance de cet effet, le bruit de roulement des véhicules dépend des pneumatiques, du revêtement de la chaussée, mais aussi de la vitesse de circulation. Le bruit est actuellement classé dans les nuisances majeures par les riverains des rues et des routes,
S’opposant à la sécurité routière
- la volonté d’utiliser les gains technologiques permettant d’accroître la vitesse maximale des véhicules. Alors que la résistance humaine aux chocs et l’habileté à la conduite ne se sont pas modifiées, nous avons connu une croissance régulière de la puissance des véhicules, alors que les résultats des assureurs prouvaient la réalité du surrisque lié à la puissance. Il est particulièrement intéressant d’observer la prise en compte de ce facteur de risque pour limiter à la construction la vitesse des cyclomoteurs, des tracteurs et des poids lourds, alors que cette mesure de sécurité n’a pas été mise en œuvre pour les véhicules légers qui provoquent le plus grand nombre de décès,
- l’amour de la vitesse et des véhicules rapides. C’est un facteur dominant dans le choix des politiques de sécurité routière. Les cabinets ministériels recrutent dans le groupe des hommes jeunes et dynamiques aux dents longues et sûrs d’eux mêmes qui sont une espèce redoutable dans le domaine de la sécurité. La sous représentation des femmes dans la vie publique française aggrave cette surreprésentation d’un groupe à haut niveau de risque,
- la routine, le manque d’imagination, la crainte de tout changement radical d’une politique, même quand son échec est patent,
- un comportement des usagers peu favorables à la sécurité routière. La documentation comparative du respect des règles dans différents pays met en évidence des différences importantes entre le nord et le sud de l’Europe, observables également entre le nord et le sud de la France. Ces comportements sont homogènes chez les usagers, les responsables du respect de la réglementation et les décideurs. Les causes et les conséquences sont intimement mêlées dans ces processus de « sous-régulation » qui traduit dans son ensemble une forme d’acceptation passive de la mortalité routière,
- une géographie physique et humaine de la France défavorable à la sécurité routière (longueur du réseau secondaire, nombreuses agglomérations), c’est probablement le seul facteur sur lequel nous ne pouvons pas agir !
- l’importance des idées reçues et la sous information des usagers sur le risque, en particulier celui lié à la puissance des véhicules. Les responsables des campagnes d’information dans ce domaine ont toujours préféré adopter un ton relativement neutre qui évite soigneusement de mettre en évidence les points qui provoqueront des oppositions. Cette attitude est assez générale dans notre pays, nous la connaissons dans le domaine de la prévention de l’alcoolisme comme dans celui du risque routier. Les communicateurs institutionnels veulent de belles campagnes, pas des campagnes efficaces et dérangeantes,
D’interprétation plus difficile
- le risque éventuel d’un ralentissement de l’activité économique de l’industrie automobile. Les industriels producteurs de véhicules rapides craignent une évolution du marché réduisant l’attrait pour les véhicules qu’ils produisent. Ce facteur est moins simple qu’il n’y paraît. Agir sur la puissance des véhicules à la construction peut modifier sensiblement la répartition du marché entre les marques, les constructeurs de véhicules rapides seront plus concernés que ceux qui produisent une gamme complète incluant les modèles les moins puissants. Il est évident qu’un pays comme l’Allemagne qui a plusieurs marques produisant majoritairement ou exclusivement des véhicules très puissants et rapides souffrirait de mesures contrôlant efficacement la vitesse des véhicules (limiteurs de vitesse et enregistreurs). A l’opposé des constructeurs plus « généralistes » comme les constructeurs français n’auraient pas à supporter ces effets, ils pourraient éventuellement en bénéficier, surtout si les mesures adoptées favorisent le renouvellement du parc automobile par des avantages fiscaux importants. Il faut également reconnaître que les pays qui ont des limitations strictes et dans l’ensemble respectées des limitations de vitesse, tels que les USA, ont un marché florissant de véhicules haut de gamme, montrant que l’attrait pour ces véhicules n’est pas uniquement lié à leur vitesse. Une voiture peut être un instrument séduisant sans imposer l’usage de chevaux inutiles,
- la réduction éventuelle des gains de productivité produits par des déplacements rapides. Dans le domaine du transport de marchandises ce type de gain est loin d’être une évidence, les coûts augmentent avec la vitesse qui accroît la consommation de carburant, l’usure du véhicule, le risque d’accident et donc le coût de l’assurance. En outre, au niveau d’un pays, des transports légèrement plus lents ne pénalisent pas une entreprise par rapport à une autre, la mesure s’appliquant à tous. Il faut également envisager l’influence de la mesure sur l’emploi. Une mesure qui agit de façon homogène sur l’ensemble des entreprises en augmentant le besoin de chauffeurs du fait d’une réduction de leur vitesse est plutôt favorable dans une société ou le chômage élevé est lié en partie aux gains de productivité. Il faut enfin rappeler que les gains de productivité sur les transports sont principalement obtenus en réduisant les temps morts (attente pour chargement ou déchargement) et non par des vitesses de circulation élevées.
Agir sur l’usager
L’information, la formation, l’éducation, l’adhésion
Les possibilités d’amélioration de la sécurité routière en agissant sur la qualité de la formation initiale sont réelles mais limitées. Près d’un million de permis de conduire sont délivrés chaque année, il s’agit donc d’une formation de masse, relativement coûteuse, dont la durée ne peut être augmentée significativement. Le serait-elle que l’on peut douter de l’efficacité d’une simple augmentation du nombre de leçons en auto-école. Nous avons vu que l’acquisition de l’apprentissage des ennuis se fait sur une période longue, la décroissance du risque est très importante pendant les cinq premières années et elle se prolonge pendant environ 10 ans. Cette constatation rend illusoire la transmission rapide d’une expérience de l’incident ou de l’accident, bien différente de l’expérience de la conduite. Des améliorations de la formation des moniteurs ont été réalisées, elles doivent se poursuivre et donner une plus grande part à la formation accidentologique, mais les gains de sécurité que l’on peut obtenir par une modification des formes traditionnelles de préparation au permis de conduire demeureront réduites. Cette opinion n’est pas l’expression d’un doute sur l’importance de la formation initiale, mais sur la possibilité d’améliorer la situation par une action à ce niveau. Il y aura toujours des accidents de débutants, ils sont observés dans toutes les activités à risque, et la meilleure prévention pour réduire leur fréquence et leur gravité est d’agir sur les facteurs intrinsèques de réduction des risques (vitesse des véhicules, infrastructure etc.).
Il faut également appliquer au comportement humain sur la route les connaissances générales que nous avons pu acquérir sur la relation d’un individu avec le risque. Nous n’avons pas une égale préoccupation de sécurité, ni la même réactivité à la réglementation et il ne faut pas considérer un système vivant comme un système gouverné par nos modèles rationnels. La passion, l’ignorance, l’insouciance, sont des partenaires de la sécurité routière et le progrès le plus intéressant dans l’identification de nos parcours « comportementaux » a été de distinguer :
- la connaissance, qui est le premier stade de notre évolution possible vers une modification de comportement. Une information nous est transmise par notre environnement, par exemple l’augmentation du risque d’accident en fonction de la vitesse de circulation,
- la relation avec cette connaissance, c’est-à-dire le niveau de confiance que nous lui accordons, est une étape importante qui va commander notre attitude, favorable ou défavorable, à une adaptation de notre comportement à cette connaissance. Nous pouvons refuser cette relation entre vitesse et risque, et ce déni est fréquent chez les conducteurs qui aiment conduire rapidement des véhicules puissants. Une bonne communication en sécurité routière ne doit pas seulement informer, elle doit être capable de convaincre ceux auxquels elle s’adresse,
- la décision de modifier son comportement pour l’adapter à la connaissance maintenant admise. A ce stade et pour l’exemple de la relation avec la vitesse, c’est le passage de la seconde étape : « je suis persuadé que la conduite rapide accroît les risques d’accidents » à la troisième qui est : « je vais conduire plus lentement car je pense que j’ai tout intérêt à le faire ». Il faut parfois 10, 20 ans pour passer ce cap, l’expérience, la relation avec la vie et le risque qui se modifient au cours de la vie, seront les facteurs déterminants d’une mutation qui peut ne jamais se produire,
- le passage à l’acte, se traduisant par l’adoption d’un nouveau comportement : « je conduis moins vite ». La décision n’est jamais définitive, elle peut être remise en question transitoirement, ou pour une longue période.
Ce schéma du parcours individuel relatif à un facteur de risque peut également être observé au niveau du groupe. La facilité avec laquelle les individus vont intégrer une notion sécuritaire se traduit par la progressivité avec laquelle une mesure sera adoptée par une proportion déterminée d’une population. Le développement de l’usage de la ceinture de sécurité ou de la mise en œuvre de toute autre mesure de prévention impliquant une intervention humaine relève de cette problématique :
- quand une mesure sécuritaire est annoncée et devient accessible par une démarche volontaire, elle est très rapidement adoptée par une proportion relativement faible de pionniers, très motivés par la protection. La proportion de la population d’usagers de la route qui faisait monter une ceinture de sécurité sur un véhicule à la fin des années soixante était très réduite, comme celle des cyclistes portant un casque. D’une certaine façon leur comportement était atypique, ils se comportaient en marginaux obsédés de sécurité,
- des mesures incitatives à l’usage de la même protection peuvent accroître la proportion d’usagers qui passent à l’acte. L’équipement obligatoire en ceintures des places avant des voitures et les premières campagnes incitant à les utiliser ont fait passer le taux de port de quelques % à environ 20% en 1972,
- une réglementation rendant obligatoire le port de la ceinture va augmenter son usage dans des proportions beaucoup plus importantes, et il faut alors distinguer deux types de situation. Si l’obligation ne s’accompagne pas d’une répression, une fraction de la population ne la prendra pas au sérieux, et le respect de la mesure est habituellement inférieur à la moitié de la population concernée. Le taux de port de la ceinture dans le centre de Nice est actuellement de 46%, ce qui est une bonne indication d’une absence de sanction du non port de la ceinture. Si la répression est crédible, par exemple dans le cas des autoroutes, le taux de port peut être supérieur à 95%,
- une faible fraction de la population se révélera « résistante » à une répression crédible. Il y a toujours dans une société un groupe qui préférera ruser avec la loi, tenter de faire établir un certificat de complaisance, payer de temps en temps une contravention, voire simuler un port de ceinture !
- Ces constatations donnent la mesure de l’efficacité d’une politique qui reposerait uniquement sur l’adhésion volontaire d’une population à des modifications de comportement qui lui seraient simplement recommandées.
- Si l’on transposait cet idéalisme dans le domaine de la fiscalité (pas de contrôle, mais uniquement de l’éducation et une demande de civisme) qui imaginerait que les règles seraient respectées ? il convient d’avoir le même réalisme dans le domaine de la sécurité routière, et de ne pas accorder une confiance excessive à une politique qui voudrait faire reposer le système sur la bonne volonté des usagers, leur éducation et leur sens du respect des autres, certains ont ces aptitudes, d’autres pas et ces discordances traduiront toujours la diversité du corps social. En pratique ceux qui veulent tout miser sur l’éducation et l’information appartiennent à deux groupes, celui des décideurs qui ne veulent pas prendre de mesures contraignantes et préfèrent une attitude démagogique valorisant la responsabilité individuelle, ou celui des « transgresseurs » qui tentent de détourner l’opinion publique des mesures efficaces en valorisant une sécurité fondée sur l’individu et non sur des mesures « incontournables » qui les contraindraient à adopter un comportement sécuritaire. La sécurité sur les routes sera toujours le produit d’un ensemble de mesures combinant l’acquisition d’un savoir faire à des contraintes destinées à faire respecter des règles. Il est très significatif d’entendre les opposants aux mesures de répression efficaces, c’est-à-dire celles qui les toucheraient, réclamer plus de prévention et d’éducation et moins de répression, comme si cette dernière ne faisait pas partie intégrante de la dissuasion des comportements à risques, donc de la prévention. Le succès de la politique de contrôle de la vitesse depuis 2003 (les premiers radars automatiques ont été mis en service à la Toussaint 2003) a prouvé une fois de plus la justesse des évaluations produites par les spécialistes de la modélisation. Une réduction de 1% de la vitesse moyenne des véhicules, constatée par des mesures effectuées sur les routes, réduit d'environ 4% la mortalité. La vitesse moyenne s'est réduite d'environ 8km/h depuis le retour à la crédibilité des contrôles est cette seule action explique environ 70% des succès observés.
La dissuasion financière par le bonus/malus
Dans l’évolution de l’accidentalité, l’instauration du bonus-malus n’a pas provoqué de modifications nettes attribuables à cette pratique. Cela ne signifie pas qu’elle soit totalement dépourvue d’efficacité, en particulier sur la fréquence des petits accrochages se situant à la limite de l’acte volontaire, en particulier dans des agglomérations à circulation dense où les relations entre usagers se transforment souvent en rapports de force. Il s’agit cependant d’une dissuasion aux effets limités. Elle ne semble pas capable d’influencer les prises de risques les plus importantes.
La dissuasion par l'action publique exercée sur l’individu, administrative et judiciaire
A la complémentarité entre l'action administrative et l'action judiciaire se substitue souvent une concurrence entre deux milieux aux priorités différentes, le premier privilégiant l'efficacité, le second le droit. Les deux utilisent la sanction, qui a une double face : la punition et la dissuasion. La première ne nous intéresse guère car elle ne redonne pas la vie aux morts, mais elle a une importance pour les victimes et les familles qui supportent mal la disproportion fréquente entre le dommage provoqué par l’accident et la légèreté de la sanction. La seconde nourrit un débat permanent qui n'est pas limité aux milieux judiciaires, il se ranime chaque fois qu'un acte humain volontaire est responsable d’une mort ou d’un handicap. Nous avons des certitudes dans ce domaine et les pénalistes sont moins divisés sur le pouvoir dissuasif de la sanction des infractions aux règles de la circulation que sur les possibilités de prévention des crimes passionnels ou sexuels. Le rationnel se contrôle mieux que le pulsionnel et dans une certaine mesure le comportement routier est rationalisé, même si la recherche du risque, pour le plaisir de se sentir vivre en frôlant la mort, ou une bouffée d'agressivité dirigée vers un autre conducteur "incorrect" peuvent se mêler à des motifs plus réfléchis de choisir une vitesse de circulation ou d'adopter un certain style de conduite. En outre le respect des règles de circulation est un problème pratique qui concerne la totalité de la population, ce qui n’est pas le cas pour de nombreux comportements exceptionnels sanctionnés par la loi. Il est plus facile d’exercer une action de dissuasion au sein d’une population importante dont la majorité a intégré les règles de la vie en groupe que dans une minorité aux réactions extrêmes refusant les références sur lesquelles se fonde la vie sociale. Contrairement à une idée reçue, l’insécurité routière n’est pas le fait d’un groupe réduit de chauffards asociaux mais d’une large fraction de la population par ailleurs « normale » et qui commet très souvent des infractions « bénignes » dont la répétition a des conséquences importantes. Nous sommes dans un domaine plus proche de la fraude fiscale que du crime crapuleux. Les succès observés depuis 2002 confirment ces notions.
Les difficultés :
L'absence de relation entre la gravité de la faute et ses conséquences.
Un excès de vitesse, le non respect d'un stop, l'usage d'un véhicule alors que l’on est sous l'influence de l'alcool, sont des comportements d'une grande banalité qui ne provoquent pas d'accidents dans la majorité des cas. Ces délits peuvent également jouer un rôle dans la survenue d'un accident matériel, ils peuvent enfin être à l'origine de blessures graves, d'un handicap définitif, ou de l'extermination de toute une famille. Dans tous les cas il s'agit de la même faute, seules les conséquences ont été différentes, pour des raisons qui tiennent en grande partie au hasard. Indépendamment des règles du droit, une telle situation n'est pas confortable pour le juge, on lui demande d'adapter la sévérité de la sanction aux conséquences d'un acte et non à l'intention du délinquant et à la gravité initiale de son erreur. Dans tous ces exemples la faute a été de ne pas respecter une règle de la circulation routière, donc d'accepter de mettre en péril la vie d'autrui par ce comportement. Que ce délit ait eu ou non des conséquences ne dépendait pas de celui qui l'a commis, et c'est pourtant la gravité des suites qui va déterminer l'importance des sanctions. Il faut reconnaître que cette situation n'est pas unique dans notre droit et qu'elle est difficilement évitable. Lors de coups et blessures volontaires, l'intention de frapper est indiscutable mais le même coup de poing peut provoquer un saignement de nez et exceptionnellement la mort. Il y a cependant dans de telles situations une relation plus évidente entre la volonté de nuire et ses conséquences que dans les accidents de la circulation.
La quantité d'affaires à traiter.
Quand une famille qui a perdu l'un des siens sort d'un tribunal bouleversée par la légèreté avec laquelle l'affaire qui les concerne a été instruite et jugée, expédiée par une justice à la chaîne qui semble ne plus avoir le temps d’exprimer sa prise en considération de la mort d’un être humain, elle se rend compte que notre système judiciaire n'est pas adapté à la tâche qui lui est confiée. Submergé par une délinquance de masse, freiné par la lourdeur de procédures faites pour des délits rares qui justifient l'accumulation de garanties pour le justiciable, le système judiciaire ne sait pas traiter les délits routiers. Cette situation n'est pas nouvelle, depuis 20 ans de nouvelles procédures tentent de débloquer le système, en supprimant la comparution (ordonnances pénales créée en 1972), en déqualifiant certains délits ou en créant les amendes forfaitaires. Ces mesures ont permis au système d'éviter un blocage total, elles n'ont pas créé l'efficacité ni l'égalité devant la loi. Faute d'avoir voulu sauter le pas de l'automatisation en acceptant la dépénalisation de la quasi-totalité des délits routiers, la justice court après un contentieux de masse qui dépasse ses moyens et surtout ses aptitudes. Le développement des radars automatisés depuis 2003 a levé un des obstacles au traitement d'une délinquance de masse. Le traitement direct des images prises par les radars couplés à un appareil photo numérique au niveau du centre de Rennes a supprimé le travail de secrétariat qui limitait le nombre d'excès de vitesse pouvant être traité par les méthodes traditionnelles.
Les conditions de l'efficacité :
Le risque de se faire prendre en cas d'infraction doit être suffisamment élevé.
Cette affirmation a un aspect déprimant, le citoyen ne respecterait pas le code de la route par sens de la vie en société, mais par crainte du gendarme et du juge. En réalité, le groupe est hétérogène et tous les intermédiaires existent entre l'usager bien intégré à la société, soucieux de respecter ses règles, et celui qui ne craint que pour son permis, son portefeuille ou sa liberté. Il est également mouvant, un individu peut naviguer entre ces extrêmes et faire varier sa conformité aux normes sociales en fonction de son humeur et de son environnement. Il existe enfin des conducteurs qui s'accordent le droit de fixer leurs limites, en particulier dans le domaine de la vitesse, en fonction des aptitudes qu'ils se prêtent. Ces personnes peuvent être par ailleurs bien intégrées socialement, ce qui accroît les chances de succès des méthodes de dissuasion des comportements dangereux par la sanction.
Les sanctions doivent être applicables.
Les juges conduisent et sont confrontés à cette situation peu confortable de devoir appliquer un code dans l'ensemble sévère, qu'ils sont conscients de transgresser parfois. Qui peut prétendre n'avoir jamais commis d'excès de vitesse ou refusé une priorité parce qu'il abordait trop rapidement une intersection ? La délinquance de masse est incompatible avec l'application de peines dont la sévérité a été progressivement accrue pour atteindre l'exemplarité et le pouvoir de dissuader. Prendre de temps en temps un délinquant et le sanctionner sévèrement pour montrer sa détermination et faire un exemple est une méthode inadaptée ; les juges ne l’acceptent pas. C'est en combinant la fréquence des contrôles et des peines acceptables que l'on satisfait les deux premières conditions de l'efficacité : rendre le risque de sanction crédible et le système acceptable par ceux qui l'appliquent.
Les sanctions doivent être appliquées.
Cette troisième condition semble bizarre dans un état dit "de droit", mais il faut accepter l'idée que nous ne sommes pas dans un tel état. La proportion de délinquants reconnus qui échappent à la sanction traduit un clientélisme dont les pratiques caractérisent les démocraties de deuxième ordre. Cette situation détruit le fondement moral des décisions de justice sanctionnant des délits routiers, elle rend ridicules les débats sur l'intérêt de la personnalisation des peines et le danger d'un dispositif automatique supprimant l'intervention du juge. Quelle valeur peut avoir une sanction si un délit sur quatre ou un sur deux suivant les filières échappent à la sanction pour des raisons qui ne relèvent pas de l'appréciation du juge, mais de la relation du gendarme ou du policier avec un fournisseur, un proche ou un indicateur ? Si nous avons demandé dans le livre blanc de la sécurité routière la formation d'une police de la route indépendante des structures locales de police et de gendarmerie, c'est à la fois pour augmenter ses aptitudes par la spécialisation et pour la faire échapper à ces pratiques inacceptables, favorisées par une implantation locale au niveau d'un canton ou d'une ville. Le peu d'écho rencontré par l'étude de deux chercheuses du CESDIP, Claudine Perez-Diaz et Françoise Lombard (voir références), témoigne du degré de passivité que nous avons atteint face à un tel niveau d'injustice. Suivant une cohorte de procès verbaux établis par des unités de Police ou de Gendarmerie, elles ont constaté que la pratique de "l'indulgence" après verbalisation (il ne s'agit pas de l'indulgence au moment du constat d'une infraction) était de 20% pour les amendes forfaitaires et de 35% pour les procès verbaux. Leur étude prouve que cette pratique n'est pas fondée sur l'appréciation de la gravité des faits. Elle est provoquée par des interventions directes au niveau des structures de Police et de Gendarmerie, par des collègues, des proches, des responsables politiques locaux. Le plus ahurissant est l'importance des suppressions de procès verbaux à la demande des renseignements généraux, sur un formulaire préétabli, sans la moindre justification ! Quand une telle situation est acceptée par les pouvoirs politique et judiciaire, ils perdent toute autorité morale pour appliquer les lois à une fraction des usagers. La circulaire de décembre 2002 du ministre de l'intérieur (accessible sur le site) interdisant de supprimer sans motif valable une contravention pour infraction au code de la route a transformé la situation. Toutes ces interventions n'ont pas été supprimées mais elles deviennent rares.
Les sanctions doivent être équitables.
Indépendamment de la pratique qui s'est raréfiée des passe-droits, pudiquement qualifiés d'indulgence, notre système répressif perd toute autorité morale du fait de l'inégalité des sanctions prononcées pour des faits identiques. Le problème auquel est confronté le système judiciaire est très proche de celui que connaissent les médecins quand ils doivent adapter des attitudes générales à des cas particuliers. Quand la modulation de la décision dépasse certaines limites, elle introduit un arbitraire inacceptable. L’évaluation de la reproductibilité d'une décision humaine, sur laquelle repose sa légitimité, est dévastatrice dans tous les domaines. Un médecin comme un juge peuvent avoir l'un sa médecine, l'autre sa justice, ils perdent alors le fondement éthique de leur action et deviennent des charlatans. Ce fait n'est pas apparent dans une justice de cours d'assises, les comportements humains qui y sont évoqués sont aux marges du fonctionnement social, leur atypie autorise une variation importante des sanctions qui tiennent compte de la complexité du contexte et du caractère singulier de l'acte qui est jugé. La délinquance de masse observée sur la route est d'une nature différente, des dizaines de milliers d'automobilistes se déplacent pour leur travail ou leurs loisirs en commettant des excès de vitesse. Les arguments qu'ils évoquent pour leur défense quand ils comparaissent devant le juge sont en nombre très réduit et cependant les peines varient d'un tribunal à l'autre et surtout d'un juge à l'autre. Le législateur prévoit une peine minimale et une peine maximale pour un délit donné, habituellement le juge estime la sanction trop sévère et inapplicable, il place la sanction en bas de l'échelle et elle est pratiquement toujours accompagnée d'un sursis quand il s'agit d'une peine privative de liberté.
Les suspensions de permis de conduire sont accompagnées d'aménagements qui varient d'un juge à l'autre et l'inéquité la plus importante est introduite par l'adjonction de nouvelles "filières" de jugement destinées à désengorger les tribunaux. L'étude du CESDIP précitée prouve que les conducteurs poursuivis pour un excès de vitesse et qui sont sanctionnés par une ordonnance pénale ont une condamnation plus sévère que ceux qui comparaissent devant les tribunaux pour des excès de vitesse plus importants. Le ministère de la justice a tenté à plusieurs reprises d'harmoniser les sanctions par des circulaires comportant des barèmes, elles n'ont pas atteint leur but. Il faut admettre que la personnalisation des peines est un leurre dans le cadre d'une délinquance de masse, c'est la répétition des délits qui doit être le facteur principal d'aggravation des sanctions. Les conditions de bon fonctionnement d'un système équitable sont l'harmonisation des sanctions par l'utilisation automatique d'un barème et la prise en compte de la récidive pour faire intervenir les peines les plus sévères, en particulier la suspension du permis ou sa suppression dans le cadre du permis à points. La suppression des "permis blancs" a été un progrès considérable pour accroître l'efficacité du système de permis à points.
Les sanctions doivent être appliquées dans des délais courts.
Réduire le temps écoulé entre l'infraction et la sanction est une condition de l'efficacité. Quand un an s'est écoulé entre les deux, les faits se sont estompés dans la mémoire, la conscience de l'erreur n'est plus à la hauteur de celle de la sanction et cette dernière apparaît comme excessive et injuste. Le système judiciaire est inapte à traiter rapidement une délinquance de masse. Le pouvoir politique a su le reconnaître pour les chèques sans provision et dépénaliser au maximum le traitement de cette pratique, il n'a pas voulu le faire pour les délits routiers. La conséquence est non seulement un engorgement du système de sanctions mais une rétroaction sur le niveau de surveillance et de verbalisation. La relation va parfois jusqu'à l'établissement d'une forme de quota, les forces de police et de gendarmerie veillant à ne pas produire plus de procès verbaux que la justice ne peut en traiter ! Quand on constate un blocage il est nécessaire de réformer le système, pas de l'organiser en tenant compte du blocage. L'usage des radars automatiques a atteint un niveau d'efficacité élevé en partie du à la rapidité de traitement des contraventions constatées.
Le système de sanction doit être unique.
Nous avons en France deux systèmes de sanctions et leur coordination n'est pas satisfaisante malgré de multiples tentatives d’harmonisation de leur fonctionnement. L'origine de cette double procédure est bien connue, c'est la lenteur de la justice pénale qui a entraîné le développement d'une justice administrative destinée à prendre immédiatement des mesures de "protection de l'ordre public", en particulier en infligeant des suspensions de permis de conduire qui sont indépendantes de celles décidées par le système judiciaire. Il paraît effectivement normal qu'un conducteur provoquant un accident sous l'influence de l'alcool ne conduise plus en attendant qu'une commission se prononce sur son aptitude à la conduite, par exemple en provoquant une expertise médicale qui précisera s'il s'agit d'une alcoolisation occasionnelle ou d'un alcoolisme chronique sévère incompatible avec la conduite. Ce conducteur peut attendre six mois ou un an dans les juridictions les plus encombrées avant de passer en jugement. Toutes les tentatives de coordination des deux systèmes améliorent transitoirement et localement le fonctionnement des deux institutions mais dans l'ensemble leur complémentarité est plutôt remplacée par une concurrence. Quand les parquets et les juges ont fait de la politique pénale de sécurité routière une priorité, ils utilisent largement la citation immédiate qui fixe la date de l'audience dès la constatation du délit, la décision judiciaire peut être prise dans des délais suffisamment courts pour que l'action administrative n'apparaisse pas comme le traitement d'urgence indispensable pour pallier les lenteurs du judiciaire. Les délais qui ont été observés dans les décisions de retrait de points intervenant depuis juillet 1992 ont prouvé que, dans la majorité des ressorts judiciaires, la justice demeure lente et de ce fait peu efficace, incitant les autorités administratives à poursuivre leur action parallèle. Ce double système de sanctions a un inconvénient majeur, il aggrave le sentiment d'inéquité chez les usagers sanctionnés. Quand l'étude du CESDIP indique que dans 20% des cas analysés seul le juge avait suspendu le permis, le pouvoir administratif ayant classé ou donné un simple avertissement, et que dans 29% des cas, c'est au contraire la commission administrative qui avait été la plus sévère, il est vain d'attendre un sentiment de justice dans l'opinion publique face à de telles pratiques.
Les réformes possibles
Elles doivent achever de prendre en compte les caractéristiques des infractions de masse et cesser de considérer que le système judiciaire est adapté à leur traitement.
- les sanctions doivent être décidées et appliquées par un système unique et automatisé supprimant toutes les injustices liées aux interventions extérieures,
- les méthodes de reconnaissance des infractions doivent être simplifiées et développées pour atteindre un niveau de dissuasion efficace,
- les sanctions doivent être d'un niveau de sévérité réduit pour les rendre acceptables, c'est le développement de moyens de dépistage automatique des infractions qui doit compenser le faible niveau de sévérité en augmentant le risque d'être reconnu en situation d'infraction. Cette méthode est la seule qui autorise une automatisation sans le risque d’injustice lié à l’abandon des procédures habituelles de recours judiciaire.
Agir sur l’instrument
Par des méthodes agissant indépendamment du comportement de l’usager :
Dans le domaine de la sécurité secondaire
Les progrès assurés par les constructeurs vont continuer à se manifester, même si les ressources sont moins importantes une fois les dispositifs les plus efficaces disponibles. Les sacs gonflables se généraliseront en complément des ceintures et des progrès seront encore possibles sur les structures des véhicules mais ils seront lents (un parc automobile met plus de cinq ans à se renouveler). Un progrès doit être mis en œuvre, même si la mortalité des piétons et des deux roues s’est réduite dans des proportions importantes : la réduction de l’agressivité des avants de véhicule. Non seulement il faut interdire d’urgence le développement des accessoires agressifs au niveau de l’avant des 4x4, mais il faut instituer une norme réduisant l’agressivité d’un avant de véhicule vis-à-vis des usagers extérieurs. Ce n’est pas au niveau du capot que l’on a des progrès à faire mais autour du pare brise, là ou des éléments peu déformables sont à l’origine de la majorité des traumatismes crâniens graves.
Dans le domaine de la sécurité primaire
Il est facile de limiter la vitesse des véhicules légers et des motos à la construction, comme cela a été fait pour les autres types de véhicules (cyclomoteurs, tracteurs, poids lourds). L'union Européenne a abaissé à 3,5 tonnes la masse des poids lourds au dessus de laquelle la limitation de vitesse à la construction est obligatoire et la vitesse maximale des véhicules de plus de 3,5 tonnes a été réduite à partir du 1er janvier 2007. Laisser faire le développement technique et mettre en circulation des véhicules qui dépassent très largement les limites de vitesse est un non sens conceptuel, une incohérence sans autre justification que l’acceptation passive de l’excès de vitesse et de ses risques. Les ministres qui acceptent une telle situation et dont les services homologuent des véhicules conçus pour l’infraction sont responsables de coups et blessures par imprudence. Le Conseil d'Etat a été saisi de ce problème par une association (association pour l'interdiction des véhicules inutilement rapides) et à conclu que les directives européennes ne permettaient pas à la France d'agir unilatéralement dans ce domaine. L'APIVIR conteste cette conclusion et porte le problème devant la cour européenne des droits de l'homme.
Fin 2006, les premières conclusions concernant le système LAVIA ont été rendues publiques. Il s'agit d'un dispositif de limitation de vitesse à la construction qui s'adapte aux limitations de vitesse locales. Plusieurs expérimentations avaient déjà été réalisées à l'étranger et la faisabilité du dispositif a été vérifiée. Le principe consiste à obtenir la position du véhicule grâce à un GPS embarqué, de combiner la position a une cartographie de la région qui fournit les vitesses maximales autorisées sur les différentes voies. Si le véhicule entre dans une agglomération, le GPS et la carte produiront le renseignement recherché, la vitesse locale autorisée est au maximum de 50 km/h. Une fois ce renseignement obtenu deux variantes du dispositif sont envisageables, prévenir l'usager s'il dépasse cette vitesse, ou asservir l'alimentation en carburant à ce renseignement et faire que le véhicule ne puisse pas dépasser 50 km/h, il s'agit alors d'une limitation de vitesse qui est effective dans tous les contextes de circulation. Ce type d'expérimentation montre que la technique est parfaitement capable d'assurer le respect des limitations de vitesse, c'est la volonté politique de standardiser rapidement et de rendre obligatoire ce type de dispositif qui fait défaut.
Par des méthodes interagissant sur le comportement de l’usager
L’enregistreur de vitesse est actuellement la meilleure solution pour prévenir les vitesses excessives dans tous les contextes de circulation. Si le contrôle peut être fait à tout moment, sans appareillage spécifique, sans déploiement de force publique visible, avec précision, il devient facile, ce qui permet de le pratiquer à une échelle dissuasive et de le rendre crédible. L’électronique embarquée dans un véhicule devient si performante qu’il faut maintenant ne pas vouloir de tels équipements pour ne pas en équiper les véhicules. Nous sommes dans une situation incohérente où nous recherchons activement la « boîte noire » d’un avion accidenté, comme un instrument qui va permettre de comprendre ce qui s’est passé, alors que nous refusons de l’installer sur les véhicules légers. Ce refus n’est destiné qu’à protéger ceux qui sont fréquemment en infraction, c’est un soutien aux agresseurs aux dépens des victimes qui souvent ne pourront pas apporter la preuve de l’excès de vitesse du responsable de l’accident. Les enregistreurs de vitesse ont été normalisés au niveau européen, un pays peut les rendre obligatoire s’il le souhaite. Commencer par rendre obligatoires ces dispositifs chez les automobilistes récidivistes de l’excès de vitesse serait un début permettant leur diffusion et la réduction de leur coût avant de les généraliser, y compris sur les véhicules d’occasion (il est plus facile d’adapter un enregistreur de vitesse sur un tel véhicule qu’une limiteur de vitesse).
Agir sur l’infrastructure
L’infrastructure doit, chaque fois que cela est possible, dicter le comportement sécuritaire de l’usager. Ce résultat ne sera pas atteint sans un remaniement profond de l’infrastructure qui est en partie engagé mais se trouve freiné par la multiplicité des centres de décision dans notre pays. Les différents types de ronds-points, de chicanes, de ralentisseurs surélevés etc. doivent non seulement être l’objet d’une normalisation, mais les conditions optimales de leur mise en œuvre doivent être définies dans des règles imposées au niveau national. Les appuis de fenêtres, les prises de courant sont normalisés, de multiples éléments des véhicules le sont également, pas un médicament n’est mis sur le marché sans un ensemble coûteux de tests cherchant à garantir son innocuité, et dans le même temps nous sommes incapables d’avoir des exigences identiques pour des aménagements qui pourraient assurer la sécurité sur les routes. Chaque nouvel aménagement routier est maintenant soumis à une obligation d'évaluation de la sécurité mais il faut étendre cette obligation à l'ensemble du réseau, les infrastructures existantes étant habituellement plus dangereuses que celles nouvellement créées. Nous aurions pu gagner 20 ans dans le remplacement de carrefours à niveau dangereux par des ronds points si une telle décision avait été prise au moment où les certitudes dans le domaine de la sécurité apportée par ces aménagements ont été disponibles. A cette rationalité nous avons préféré laisser libre cours à l’imagination (ou le manque de culture accidentologique) des décideurs locaux mettant en œuvre leurs routines ou des solutions inadaptées.
Les conditions financières de la sécurité routière
Les investissements publics dans le domaine des transports routiers concernent principalement les infrastructures. Les sommes consacrées à l’information, à l’équipement des policiers et des gendarmes en équipements de contrôle performants, au fonctionnement du système de sanctions, sont encore insuffisantes malgré l'apparition des radars automatiques. Une tentative a été faite pour obtenir des assureurs une contribution significative à cet investissement, elle n’a pas été concluante, se traduisant par des campagnes dans la presse dont le niveau n’était pas à la hauteur des enjeux, en quantité et en qualité. Les policiers et les gendarmes achèvent en 2006 leur équipement en éthylotests électroniques alors que ces appareils beaucoup plus précis que les ballons ont été homologués en 1985 ! La situation est identique pour le réseau routier. Il est évident que le refus des expertises indépendantes des infrastructures routières est en grande partie lié à la crainte de mettre des dépenses supplémentaires à la charge des communes ou des autres collectivités territoriales. Il est possible de répartir sur l’ensemble de la collectivité le surcoût lié à la mise en conformité des infrastructures dangereuses. Un fonds commun pourrait être constitué au niveau départemental et national, pour éviter que les communes aient à faire des investissements qui dépassent leur capacité de financement.