les radars du csa

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Pages 69 à 97

Big brother vous a à l’œil

Airy Routier va tenir une pleine page sans erreur notable en ce début de chapitre. Il confond ensuite le rôle du ministre de l’Intérieur et du comité interministériel dans la définition de la nouvelle politique : « L’objectif était alors d’obtenir que la France ne soit plus une république bananière où chacun pouvait faire sauter ses contraventions », commentera Claude Got, lequel a joué un rôle décisif dans cet engagement politique qui va modifier la vie de la moitié des Français : « ce handicap a été levé par la circulaire Sarkozy de décembre 2002. »  Ce plan a été concocté en secret par des hauts fonctionnaires des administrations centrales qui ont mis les politiques devant le fait accompli, à commencer par Sarkozy lui-même ». Dès la seconde page de ce chapitre on est dans l’imaginaire !

La circulaire du ministre de l’intérieur du 18 décembre 2002 est sur ce site internet et il est facile de la consulter. Elle ne lance en aucune façon le projet de CSA qui a été défini dans le comité interministériel du même jour par l’ensemble des ministres concernés, réunis par le Premier ministre et non par le ministre de l’Intérieur (F-16).  La circulaire a pour objet de redonner une crédibilité à l’application de la réglementation. Elle précise que la politique qui vient d’être définie par le CISR : « n'aura d'efficacité que si la sanction est équitable, qu'elle s'applique à tous les citoyens et que nul ne bénéficie de tolérance ou de bienveillance particulière; du fait de sa notoriété ou de ses fréquentations, réelles ou prétendues. L'importance de l'écart constaté entre le nombre d'infractions constatées et le nombre de sanctions infligées suscite des doutes légitimes sur l'égalité devant la loi et la crédibilité de l'action publique. Aussi, je vous demande de faire preuve de la plus grande rigueur et de veiller, avec les Directeurs Départementaux de la Sécurité Publique et les Commandants de Groupement de la Gendarmerie Nationale, à ce que toutes les infractions relevées fassent l'objet de procédures et parviennent aux officiers du ministère public ou aux procureurs de la Républiques compétents qui apprécieront la suite à leur donner. Je vous rappelle à ce propos que le pouvoir de classer "sans suite" une procédure n'appartient qu'au ministère public et ce pour des cas limités et justifiés par des circonstances propres aux faits constatés. Je vous demande, en conséquence, de rappeler aux personnels placés sous votre autorité que ces instructions s'appliquent à tous, quel que soit le niveau hiérarchique ou de responsabilité. Et que tout manquement sera susceptible de constituer une faute disciplinaire voire une infraction pénale». Il est exact que cette circulaire était une indication majeure pour les policiers et les gendarmes, la sécurité routière était devenue une priorité politique et les mesures prises devaient être équitables. Elle était en outre bien rédigée et fait partie des déterminants majeurs de la réussite de 2002/2003.

La définition des méthodes qui seront utilisées pour concrétiser le choix présidentiel du 14 juillet 2002 faisant de la sécurité routière une priorité de son quinquennat a été l’exemple même de la démarche politique et non administrative. Le 17 septembre 2002, plusieurs centaines d’acteurs dans ce domaine, des journalistes, six ministres et le premier d’entre eux se réunissaient à l’Empire pour les Etats Généraux de la sécurité routière. Parmi les pistes proposées, la première était la remise à niveau de notre système de contrôle et de sanctions. Une commission présidée par Michel Ternier venait de travailler pendant près de deux années sur ce problème dans le cadre de du Conseil national d’évaluation des politiques publiques. Six ressorts judiciaires avaient été évalués et les résultats confirmaient l’inadaptation des procédures suivies. Elles étaient trop complexes, mobilisant une part excessive du temps de travail des policiers, des gendarmes et des juges. De nombreuses interventions parvenaient à faire sauter les contraventions, et l’ensemble du dispositif se révélait inadapté au traitement d’une délinquance de masse.

 Plusieurs membres de cette commission faisaient partie des services de l’administration qui ont eu à travailler à partir de septembre 2002 sur les projets du gouvernement. Ils étaient donc bien placés pour exploiter les connaissances qu’ils venaient d’acquérir, définir des procédures plus efficaces et les proposer aux politiques.

 J’ai conservé le texte de mon intervention du 17 septembre 2002, elle portait notamment sur les points suivants : « La règle est interprétée par tous les intervenants. Ainsi, les usagers conduisent comme ils se croient capables de conduire. Les policiers et les gendarmes, dépassés par une délinquance de masse, fixent les contrôles de vitesse à 30 ou 40 kilomètres par heure au-dessus de la vitesse autorisée. L’inconstance des décisions des juges et la pratique des permis blancs ont contribué à déconsidérer la loi. Enfin, la pratique des indulgences, c'est-à-dire du trafic d’influence pour faire sauter les contraventions, a atteint un niveau inacceptable dans un état de droit. Le quatrième problème a trait aux insuffisances dans la gestion et l’utilisation de nouveaux matériels ’informatiques pour diminuer les taches fastidieuses des personnels devant être sur le terrain. En outre, la simplification du système judiciaire peut être considérable dans ce domaine pour améliorer l’efficience. En ce qui concerne les solutions, je considère que quatre actions pourraient être conduites. La première action revêt un caractère symbolique : rendre au système sa crédibilité en instaurant deux mesures. Elle consiste à donner une instruction nette (suivie d’une évaluation) aux forces de l’ordre qu’aucune interruption de procédure constatée en dehors de la voie judiciaire ne sera acceptée. Il est aisé de procéder à l’évaluation. Les policiers sont généralement demandeurs de cette protection. La deuxième mesure consiste à redonner un sens aux limites de vitesse. Nos collègues étrangers ont les plus grandes difficultés à nous croire lorsque nous évoquons la situation dans notre pays. La tolérance est, en Hollande, de 3 km/h. Nous devons publiquement indiquer qu’une voiture sera verbalisée si elle dépasse, en ville, 56 km/h. Sur une route limitée à 90 km/h, les radars devraient être fixés à 97 km/h et non à 106 km/h. Lorsque nous aurons affirmé que la règle a un sens et que nous nous serons dotés des moyens pour évaluer son application, il faudra aborder le problème des moyens. La querelle sur une super police spécialisée est absurde. Il est évident que les policiers et les gendarmes implantés localement doivent continuer leur action. Ces derniers ont permis de mettre en œuvre des moyens techniques n’étant pas aisés à utiliser. Je considère qu’il est nécessaire de disposer, au niveau d’un département, d’une unité unique. Il faut que les plans de contrôle de la sanction soient appliqués sur l’ensemble des routes d’un département.  J’estime qu’il est indispensable de disposer d’un établissement public capable de programmer les équipements, le choix des meilleurs matériels et le développement non seulement du contrôle mais aussi de l’ensemble de la chaîne. Il faut également tendre vers la simplification des procédures judiciaires. Il faut dissuader, il faut des paiements immédiats et des consignations en cas de refus de paiement équivalent à l’amende majorée, ce qui réduira le travail des juges. »

 Ces propos n’étaient que la synthèse d’un rapport détaillant les anomalies constatées et proposant des mesures. Présenter le développement du système de radars automatiques comme une forme nouvelle de conjuration secrète, alors qu’il faisait partie des propositions d’un rapport commandé par les pouvoirs publics et résumé devant environ 600 personnes, dont de nombreux journalistes et les ministres concernés, témoigne de l’absence de limites aux capacités d’affabulation d’Airy Routier (F-17).

 Les pages suivantes sont contradictoires puisqu’elles décrivent parfaitement la réussite de la définition du système de contrôle sanction automatisé et de sa mise en œuvre, coordonnée par une mission dirigée par le préfet Raphaël Bartolt tout en dévalorisant les conséquences de cette réussite. On comprend la déception de l’auteur, la mission a fait son travail et le produit correspondait à la commande. La notion d’un « Gosplan à la française » qui aurait réussi, est bien dans la ligne de propos visant à dévaloriser une réussite humaine et technique correspondant à la volonté politique. Si le système avait été moins efficace, l’auteur aurait encore son permis !

 La description technique du dispositif est précise, avec cependant des erreurs, par exemple l’affirmation que « les radars automatiques ont une marge technique de 5 km/h jusqu’à 100 km/h (95 au lieu de 90) et de 5% au-delà de 100 (136,5 au lieu de 130) … Cette marge d’erreur est réelle : la différence entre la vitesse constatée et celle retenue dans les documents envoyés aux automobilistes flashés n’est donc en rien un cadeau ». C’est faux, un radar moderne a une marge d’erreur nettement inférieure à 1% et le maintien d’une tolérance élevée, supérieure à celle retenue dans les pays voisins du nôtre, est bien un choix politique destiné à faciliter l’acceptation du dispositif (F-18)

 Citer dans les « bugs » le fait qu’une série de PV a été annulée parce que le radar n’avait pas été réglé à temps lors du passage à l’heure d’été fait partie de ces tentatives dérisoires de chercher des poux dans le fonctionnement d’un système bien conçu et bien réalisé. Par contraste avec ce pseudo-bug et à la même période, l’Allemagne tentait d’établir un système de surveillance automatique par des caméras du passage des poids lourds sur ses autoroutes pour faire payer un péage et se plantait lamentablement. Une forte rallonge de crédits a été nécessaire pour mettre au point le système et les délais de mise au point ont été accrus de près d'un an. Pointer un réglage en retard et facile à corriger pour dénigrer un succès technique national d'une grande qualité dépasse les limites du ridicule, alors que l'auteur ne cesse de nous vanter la fierté de l'industrie allemande pour la qualité de sa technique.

 La partie de ce chapitre concernant l’évaluation des effets bénéfiques des radars sur la sécurité routière témoigne d’une absence de culture statistique reconnue par l’auteur, qui se combine avec la difficulté réelle de dissocier l’effet local de l’effet général qui est décrite dans le document d’évaluation produit par l’ONISR. Je faisais partie du groupe de travail qui a évalué l’efficacité du CSA et la première tâche a consisté à évaluer les effets locaux au niveau d’un radar, dans les kilomètres qui suivent, mais aussi dans le sens inverse et à distance du radar sur la même voie. L’accidentalité a été évaluée dans la zone d’influence directe et elle est évidemment beaucoup plus fortement réduite que sur l’ensemble des réseaux, dépassant 75% de réduction des accidents mortels à moins de 500 mètres du radar et 50% jusqu’à trois kilomètres. Parallèlement l’observatoire des vitesses a documenté la réduction de la vitesse moyenne en dehors des zones d’influence directe des radars en dénommant cette action « impact global sur les vitesses ». Il est évident que la baisse observée des vitesses n’est pas imputable uniquement à l’effet des radars automatiques. La médiatisation à un niveau exceptionnellement élevé de la nouvelle politique, à partir du premier comité interministériel de sécurité routière du gouvernement Raffarin du 18 décembre 2002, a eu un effet immédiat, précédant de près d’un an la mise en place effective des premiers radars automatiques. Il faut cependant avoir le bon sens d’admettre que c’est une nouvelle politique de contrôle et de sanction fondée sur la suppression des indulgences, la réduction des tolérances sur les excès de vitesse et un ensemble de dispositions législatives aggravant les sanctions et donnant toute son efficacité dissuasive au permis à points qui ont produit le résultat observé. Les vitesses moyennes ont été réduites et la réduction concomitante des tués est en accord avec les règles empiriques produites par les spécialistes de la modélisation du risque routier. A partir du moment où le risque de passer devant un radar automatique devient élevé, il est plus simple de lever le pied et de respecter les limitations de vitesse que de guetter en permanence le panneau annonçant le radar. La majorité des automobilistes l’a compris et a modifié son comportement.

 L’analyse dans ce chapitre de l’aventure de Jean-Gustave Padioleau, polytechnicien qui s’était engagé dans une procédure d’évaluation du CSA est dans l’ensemble moins partiale et biaisée que les autres propos concernant la mise en œuvre des radars. Les causes de l’échec de cette participation d’un chercheur à une évaluation sont partiellement identifiées, notamment quand après coup, ce chercheur atypique a publié un livre dont Airy Routier dit (avec un sens des nuances proche de celui de Jean-Gustave Padioleau) : «Un livre éclairant sur le totalitarisme et la culture du mensonge et du mystère qui règnent dans le monde clos de la sécurité routière, mais malheureusement pollué par l’hostilité manifestement obsessionnelle de son auteur à l’endroit du président de l’UMP, candidat à l’élection présidentielle, présent à toutes les pages et coupable de tout. Pollué par un style à la limite de la lisibilité, et par des digressions fumeuses, à prétentions intellectuelles sur l’état du Monde et de la France ».

 Notons tout d’abord ce sens inné de la contradiction d’Airy Routier quand il stigmatise « le totalitarisme et la culture du mensonge et du mystère qui règnent dans le monde clos de la sécurité routière » C’est le même qui méprisait page 40 la multiplication par vingt de la production des connaissances par l’ONISR, qualifiée de production de papier sans la moindre précision sur les erreurs et les données inutiles contenues dans un bilan annuel qui n’a pas son équivalent en Europe (cette nouvelle contradiction s’ajoute naturellement à son erreur logique déjà signalée à ce propos : (L-10)  

Quant aux erreurs comportementales de Padioleau, elles sont évidentes pour tout chercheur travaillant avec l’administration sur un projet en cours de développement. Le chercheur est alors un observateur qui tente de comprendre pour pouvoir rendre deux types de service, l’un immédiat qui est d’apporter éventuellement ses compétences aux décideurs en leur donnant des avis sur la procédure en cours d’élaboration, l’autre différé qui consiste à produire une analyse a posteriori de l’action évaluée, pour améliorer la compréhension des processus décisionnels et mettre à la disposition de la collectivité le produit de ce travail. Padioleau a voulu mélanger les deux procédures. J’ai eu une vingtaine de fois au cours de ma carrière à participer à des expertises ou des évaluations et je n’ai jamais eu ce genre de difficulté, sans jamais avoir caché quoi que ce soit de ce que j’avais appris et compris. J’ai pu le faire parce que je n’ai pas trahi ceux qui me faisaient confiance. Il y a un moment pour le devoir de réserve et le conseil « en tête à tête » avec les décideurs légitimes,  un moment pour le débat public et éventuellement la critique. Le premier article de Padioleau dans Libération le 6 janvier 2004, deux mois après l’installation du premier radar, était une provocation absurde, décalée dans le temps. Elle ne pouvait pas être exprimée avec cette hostilité là et à ce moment là, en introduisant en outre des avis « personnalisés » sur les différents acteurs du dispositif. Cette prise de position allait provoquer inévitablement  son éjection d’un groupe vis-à-vis duquel il n’avait pas été loyal. Vouloir secouer le cocotier dans lequel on commence à monter n’est pas une bonne méthode pour monter très haut et avoir une bonne vision du dispositif !

Je ne commenterai pas les six dernières pages de ce chapitre développant des exemples de comportements abusifs de policiers ou de gendarmes. Comme il y a des médecins escrocs ou des journalistes menteurs, il y a des policiers et des gendarmes dont les pratiques ne sont pas conformes à l’éthique de leur métier, c’est un autre problème que celui traité dans ce livre et en faire un problème nouveau et très important me semble exagéré. Je dois être un conducteur très anormal, je n’ai jamais subi d’abus de pouvoir de la part d’un gendarme ou d’un policier, alors que je dois avoir dépassé le million de kilomètres au cours des cinquante dernières années et que je parcours encore 20 000 kilomètres par an.