un racket fiscal

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Pages 97 à 114

Un racket fiscal bien organisé

 Ce chapitre est un modèle de la pensée dite poujadiste, solidement ancrée dans une extrême droite au libéralisme le plus débridé, soucieuse de réduire l’action de l’Etat dans tous les domaines, notamment dans sa fonction importante de collecteur de l’impôt. Dans cette idéologie, l’Etat est perçu comme un parasite social, une poche sans fond, qui engloutit et gaspille, jamais comme le gestionnaire légitime d’un bien collectif géré par une administration sous le contrôle de politiques élus. « Taxer les automobilistes, quoi de plus tentant pour un Etat en mal de recettes ? ». « C’est, pour le ministère des finances, une affaire en or ». « Il apparaît clairement que l’argument de la sécurité  routière n’est plus qu’un maquillage visant à justifier et à masquer la levée d’un impôt nouveau auprès des seuls automobilistes ».  

 Ceux qui ont vécu la mise en œuvre de ce dispositif de contrôle automatisé de la vitesse savent bien que le ministère des finances traînait les pieds lors du lancement du projet. Les coûts de recouvrement des amendes transforment souvent la dissuasion par l’amende en fausse bonne affaire pour les services financiers de l’Etat. Tout le dispositif du CSA a été initié pour améliorer la sécurité routière, à la suite du rapport Ternier sur l’évaluation du système de contrôle et de sanction et non pour apporter des ressources au budget. Vouloir utiliser comme preuve le fait qu’un nombre croissant de radars sont orientés pour prendre des photos de l’arrière des véhicules pour complaire à Bercy en évitant d’avoir la photo du conducteur relève carrément du délire ! (F-19). L’argument « officiel » de la nécessité de contrôler la vitesse des motos qui n’ont pas de plaque à l’avant est écarté par l’auteur, alors que c’est le seul fondement de cette décision prise habituellement au niveau local, avec de grandes différences d’un département à l’autre.

 L’affirmation dépourvue de preuves allant dans le sens de ses thèses est la procédure de base privilégiée par l’auteur. Le fondement de ce chapitre est une erreur logique majeure, l’auteur affirme que le CSA a une finalité de pressurisation de l’usager parce que cela va plaire au lectorat auquel il s’adresse. Il construit son livre dans ce but racoleur et le critère de vérité est totalement étranger à cette démarche de marketing éditorial. Il y a là à la fois une affirmation sans preuve et, en aval, une erreur logique et conceptuelle, la première nourrissant la seconde (A-4 et L-11). Ce détournement d’intention est très important pour dévaloriser la mesure. Si le CSA avait été décidé uniquement dans le but d’améliorer la sécurité routière, cette finalité initiale inattaquable contraignait l’auteur à prendre uniquement en compte des défaillances opérationnelles. Si à l’opposé le CSA est porteur du péché originel d’avoir été conçu pour gagner de l’argent, ceux qui ont fait ce mauvais coup n’ont plus l’argument de la bonne intention. Airy Routier ayant rencontré Michel Ternier qui présidait la commission d’évaluation qui a proposé le CSA, il était bien entendu au courant de la gestation de ce dernier au sein de la commission et de sa finalité. Il est intéressant de voir qu’il ne parle pas une fois de Michel Ternier dans son livre, alors que cet ingénieur a été à l’origine des deux révolutions de la sécurité routière que nous avons connues en France depuis 40 ans. Il était au cabinet du Premier ministre Jacques Chaban Delmas et a piloté la conférence sur la sécurité routière qui a proposé la création de la délégation interministérielle de sécurité routière et rendues possibles les décisions de 1973. A l’autre extrémité de sa carrière de haut fonctionnaire il préside la commission qui va proposer la réforme du dispositif de contrôle et de sanction. Quand on connaît ces faits, et je les connais bien, il est facile de comprendre quel instrument a voulu construire l’auteur. Surtout pas le produit du travail d’un journaliste cherchant à comprendre pour transmettre, mais la machine de guerre racolant à sa cause personnelle tous les usagers en mal de respect des règles. Il ne veut pas expliquer comment un Etat s’est doté d’un outil efficace, mais détruire l’image de cet outil en développant un argumentaire qui n’est qu’une succession de mensonges et d’interprétations abusives.

 On voit dans ce chapitre apparaître les premiers conseils pour faire obstacle à l’application de la loi, c'est-à-dire des manifestations directes du caractère profondément asocial d’Airy Routier. Il est normal à ses yeux de mettre en œuvre toutes les techniques, illégales et de mauvaise foi, imaginables pour tenter de faire échouer un système défini par ceux qui étaient légitimes pour le faire : « Il n’y a d’ailleurs aucun risque à tenter d’égarer l’administration répressive, car on peut toujours et dans un second temps et si nécessaire, plaider sur l’erreur matérielle et la bonne foi ». Cette phrase en dit long sur le niveau de socialisation de l’auteur.

 Par contraste, avec cette astuce bien connue qui consiste à donner une impression d’équilibre en parsemant un texte partial de propos semblant aller en sens inverse de l’orientation principale, on trouve dans ce chapitre cette très belle phrase : « A côté de tous ses défauts, le retrait de points automatisé a au moins une vertu : diminuant considérablement les possibilités d’intervention des notables, il est égalitaire ». Mais alors Monsieur Routier, comment pouvez-vous dire tout au long du livre que le système est injuste parce que vous n’avez pas pu aller pleurer devant un juge pour lui expliquer toutes les bonnes raisons que vous aviez de ne pas respecter le code ? Il faudrait donc que vous entriez dans un débat rationnel et tentiez d’établir, puisque le système est égalitaire, s’il s’agit d’une égalité dans l’injustice ou dans la justice, ou d’un mélange des deux. La notion de diminution des possibilités d’intervention des notables est un argument que vous utilisez et qui semble vouloir dire que non seulement le système est égalitaire, mais qu’en outre il évite des trafics d’influence, ce qui va dans le sens d’un éloge du dispositif doté de ces deux qualités fondamentales, égalitaire et juste.

 L’analyse sur deux pages de la possibilité de faire payer l’amende sans retirer de points est présentée comme une évolution du dispositif pour des motifs inavouables qui discréditeraient le dispositif : « Tout laisse à penser que cette opportunité a été offerte à l’officier du ministère public dans le but de limiter secrètement les retraits de points pour des raisons politiques – ou simplement électorales – tout en conservant la collecte des amendes, dans l’intérêt bien compris de l’Etat ». Je classe cette affirmation sans preuve dans les faits trop imprécis pour permettre une telle conclusion (I-1), après avoir été tenté de la classer dans la théorie du complot ou de la manipulation. prétendre à la fois que le dispositif est totalement bloqué et rigide tout en affirmant que la moindre souplesse sera détournée pour réintroduire le trafic d'influence.

 Un exemple de la qualité du raisonnement économique de l’auteur destiné à expliquer pourquoi l’Etat ne veut pas dépenser d’argent à envoyer des courriers recommandés évitant des recours devant les tribunaux administratifs « La réponse est simple : rendre les permis annulés ne coûte rien à l’Etat (en dehors du temps passé par les magistrats des tribunaux administratifs mais celui-ci n’est pas pris en compte dans la comptabilité publique), alors que l’envoi, en recommandé, des avertissements de pertes de points à 5 euros la lettre, coûterait à l’Etat 30 millions d’euros par an. » Autrement dit les gestionnaires de l’Etat sont tellement débiles qu’ils n’ont pas compris que l’activité salariée d’un fonctionnaire coûte à l’Etat et sont incapable d’évaluer le coût moyen d’une procédure devant un tribunal administratif ! Il faudrait presque créer une catégorie d’erreur logique par « omission de raisonnement » pour classer ce type de propos creux sur les motivations de l’Etat.