les ayatollahs

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Pages 151 à 164

 Les projets des ayatollahs de la route

Non seulement la société, les policiers, les politiques qui ont défini la politique actuelle persécutent le citoyen Routier, mais en plus les ayatollahs de la route vont continuer à développer de nouveaux instruments de torture.

 Continuant à alimenter son délire dirigé contre toutes les mesures de sécurité routière qui peuvent contrarier ses références personnelles Airy Routier exprime bien dans ce chapitre les bases de son fonctionnement intellectuel. La notion de tempérament paranoïaque a été développée depuis plus d’un siècle pour caractériser cette agressivité permanente, cette interprétation de toutes les difficultés rencontrées par le parano comme des mesures destinées à le persécuter abusivement, parce qu’il est au centre du monde et que sa seule référence pour le fonctionnement du monde est la sienne. Le plus surprenant est que cette façon d’appréhender de façon inadaptée un problème peut se dissocier d’autres comportements de la vie. Les quatre fondements de la personnalité paranoïaque sont l’hypertrophie du moi, la méfiance, la fausseté du jugement et l’inadaptation sociale. L’expression de ces caractéristiques est évidente dans le livre d’Airy Routier et l’on se pose évidemment la question de l’utilité de produire une analyse rationnelle du travail et de l'attitude d’une personne aussi profondément perturbée.  Ce problème est permanent dans le domaine des comportements humains déviants et il faut éviter toute simplification faisant que l’un voudra ne voir que le malade et l’autre que le délinquant. Quand un alcoolique provoque un accident de la route sous l’influence de l’alcool, c’est un malade alcoolique et il devient également à ce moment là un délinquant et les deux situations ne sont pas mutuellement exclusives. Un malade de la voiture, c'est-à-dire celui qui n’a pas conservé la capacité d’apprécier cet instrument, pour le service rendu mais aussi pour le plaisir,  tout en le maîtrisant et en respectant les règles de son usage, peut construire un comportement paranoïaque sur cette relation devenue pathologique. Ce malade de la voiture considère que la société le persécute abusivement à cause de sa relation affective avec cet objet et cela lui paraît insupportable.

 Ceux qui s’opposent aux idées d’Airy Routier ne peuvent avoir des motivations rationnelles, visant à rendre service au groupe, ce sont nécessairement des « ayatollahs hygiénistes de la sécurité routière (et de la lutte contre le tabagisme) qui, à la manière des idéologues extrémistes du XXème siècle, veulent faire le bonheur des gens sans leur demander leur avis ». A plusieurs reprises dans ce livre la référence au tabac apparaît et sous une forme qui n’est pas neutre, la première cause de mort évitable de notre société est associée à la notion de plaisir, sans référence à la maladie et à la mort. Dès le début du livre j’avais été intéressé par cette phrase décrivant cette période révolue, mais perçue comme merveilleuse par l'auteur où «dans les trains l’on se pressait auprès des fumeurs de pipe pour profiter de l’odeur du tabac, avec un ravissement particulier quand il s’agissait d’Amsterdamer ». La nostalgie de la période où « l’on ne savait pas » a toujours existé dans le domaine du risque. Même si l’on se doutait de quelque chose, l’article du journal médical anglais The Lancet publiant la première estimation sérieuse du risque de cancer du poumon chez les fumeurs réguliers, 15 fois plus élevé que chez les non-fumeurs ! avait sérieusement réduit le plaisir de se goudronner les bronches. L’idée qu’il fallait tuer les porteurs de mauvaises nouvelles n’étant plus dans les mœurs, la société s’est mise progressivement à intégrer la notion de risque sanitaire, de mort évitable, d’année de vie gagnée sans handicap (plus positif !) et à agir. Elle a inévitablement contrarié ceux qui auraient préféré continuer à vivre comme avant et ne pas savoir.

 Contrairement à ce que semble penser Airy Routier, je n’ai pas entendu des voix célestes me traçant comme mission de développer la sécurité routière et d’en faire le « combat d’une vie ». Mon activité de recherche portait sur des sujets très différents en 1970, notamment sur les lésions pulmonaires provoquées par les manœuvres de réanimation respiratoire. Mais j’étais à l’hôpital de Garches qui recevait à l’époque de très nombreux blessés et morts de la route. Dans mon travail d’anatomo-pathologiste je faisais des autopsies et quand un médecin dirigeant le laboratoire de recherche en sécurité routière de Renault, Claude Tarrière, est venu nous demander en octobre 1970 de l’aider à comprendre les mécanismes des blessures accidentelles, j'ai considéré que sa démarche était justifiée, importante, intéressante et qu'elle faisait partie de mon travail. Nous avons développé ensemble l’accidentologie et j’en suis fier. Trois ans plus tard le délégué interministériel à la sécurité routière, Christian Gérondeau, nous demandait de l’aider à faire passer dans l’opinion publique la nécessité d’attacher les ceintures et de limiter la vitesse maximale sur les routes et ces chercheurs qui avaient acquis un savoir ont répondu à sa demande.

 Un chercheur hospitalo-universitaire est payé pour répondre à des besoins et rendre des services. En étendant mon activité de recherche au rôle de l’alcool dans les accidents de la route, j’ai reçu un jour un appel téléphonique du directeur de cabinet de Simone Veil, la ministre souhaitant me rencontrer. Elle m'a demandé sur je voulais faire partie du Haut comité d’études et d’information sur l’alcoolisme, création de Pierre Mendès-France et de Robert Debré. Là encore je répondais à une proposition, comme lorsque l’OMS m’a demandé de participer comme expert à ses travaux. Un chercheur qui participe à des activités de conseil ou d’expertise est rarement nommé dans des fonctions de ce type par une démarche volontaire, ce sont ses connaissances, ses publications et la reconnaissance par ses pairs qui vont conduire les décideurs à lui demander des avis. J’ai suivi cette voie là et il faut avoir une dégradation profonde de ses capacités de jugement comme Airy Routier pour envisager qu’un athée utilisant des arguments rationnels puisse se prendre pour Jeanne d’Arc ! A force d’entendre les adversaires de la sécurité routière répéter que je suis un hygiéniste moralisateur ou un Torquemada qui torture les conducteurs aux semelles de plomb, il a fini par les croire.

 Reprenons le contenu du chapitre 8 après ces commentaires sur le titre du chapitre.  Deux projets importants sont abordés, tous les deux destinés à favoriser le respect des limites de vitesse en agissant sur le véhicule et non par le système de contrôle et de sanction. Il faut se souvenir que deux grands groupes de procédures utilisables dans la prévention des accidents sont envisageables, et ceci pour tous les types d’accidents, de la route, du travail, domestiques, ou autres. Le premier groupe repose sur l’éducation et le contrôle de l’individu, le second sur la réduction du risque d’accident en agissant sur les objets et outils mis en œuvre dans l’activité comportant des risques (et non aux conséquences de ces accidents qui entrent dans le domaine de la sécurité secondaire survenant après l’accident). La formation du débutant, le passage d’un examen pour obtenir le permis de conduire, le contrôle de la vitesse et les sanctions en cas d’infraction font partie de ce premier groupe.  Limiter la vitesse maximale des véhicules comme cela a été fait pour les poids lourds, les tracteurs, les cyclomoteurs, ou développer des systèmes plus élaborés qui adaptent la vitesse à la limite locale sont des dispositifs appartenant au second groupe de méthodes. Les spécialistes du risque disent que la décision prise assure alors une sécurité intrinsèque ou constitutionnelle, par opposition à une sécurité comportementale qui dépend des usagers ( par leur savoir faire ou la crainte des contrôles).

 Ces deux types de prévention de l’accident ne sont pas mutuellement exclusifs, au contraire, les meilleurs résultats sont obtenus en les combinant. Un TGV, une centrale nucléaire, un appareil d’assistance respiratoire ont de nombreux systèmes de sécurité intrinsèques, ils bénéficient également de présences humaines qui complètent les effets protecteurs. La limite du « tout automatique » est liée à la complexité de certaines tâches qui ne peuvent relever d’une automatisation complète. Les itinéraires routiers sont trop spécifiques et personnels pour envisager une automatisation du guidage dans les décennies à venir, par contre l’automatisation du contrôle des vitesses maximales est inéluctable et c’est contre cette perte de la « liberté de transgresser la règle » qu’Airy Routier s’insurge. Quel drame personnel, il ne pourrait plus ajouter de nouvelles pages à l’histoire de sa délinquance.

 Le système LAVIA serait alors l’horreur absolue. Un GPS positionne le véhicule, l’ordinateur de bord utilise une cartographie embarquée et va connaître la vitesse autorisée localement. Deux possibilités s’offrent alors, soit actionner un signal quand le conducteur dépasse cette vitesse autorisée, soit agir sur l’alimentation d’essence ou de gazole et empêcher le véhicule de dépasser la vitesse maximale locale. Bien entendu un tel dispositif pourrait comporter des dispositifs de temporisation ou de courte possibilité de dépassement de la vitesse  maximale. De tels dispositifs ont été essayés dans plusieurs pays, dont la France, et la faisabilité ne pose pas de difficulté. Finalement l’argument qui semble le plus pertinent à l’auteur pour disqualifier cette horreur absolue est la perspective d’une transformation profonde du système, le contrôle de la vitesse ne se ferait plus à partir de l’ordinateur de bord, sans que personne d’autre n’intervienne, mais par un système d’ordinateur central qui serait renseigné sur votre position et pourrait contrôler vos excès  et rédiger les amendes. Des décideurs seraient alors supposés suffisamment débiles pour revenir à un système de contrôle et de sanctions avec ses inconvénients, alors que le dispositif peut fonctionner de façon autonome au niveau du véhicule. Il faut vraiment avoir l’esprit tordu de l’auteur pour imaginer un retour au contrôle du comportement par la sanction quand on a mis au point un système qui évite la transgression de la règle. Le paranoïaque voit toujours au delà du moment, il nourrit son délire en imaginant la prochaine agression.

 L’autre abomination décrite par Airy Routier est la limitation généralisée de la vitesse à la construction pour tous les véhicules, motos et voitures particulières comprises. Le principe est d’une grande simplicité, il est inutile de construire des véhicules dont la vitesse maximale dépasse celle la plus élevée autorisée sur les routes. La vitesse inutile incite à utiliser cette capacité et elle est dangereuse. Un argumentaire détaillé en faveur de cette disposition est consultable sur le site www.apivir.org qui a été développé par une association que je préside et qui a initié  une procédure administrative pour faire reconnaître qu’il est anormal d’immatriculer des  véhicules inutilement rapides dans un pays où la vitesse maximale autorisée est de 130 km/h. L’auteur montre sa méconnaissance totale du dossier dans ses commentaires, ou plutôt il montre là encore sa volonté de masquer les arguments qui mettent à mal ses raisonnements primaires.

 Dire que cette mesure n’aurait qu’une efficacité très limitée aux accidents survenant à très grande vitesse sur les autoroutes ne supprime pas son intérêt, ces accidents existent, et pas seulement sur les autoroutes. Les cinq pompiers tués à Loriol seraient encore en vie si le véhicule conduit par celui qui les a tués avait été limité à 130 km/h. En outre de nombreux accidents à plus de 130 surviennent sur le réseau non autoroutier. Le second argument, beaucoup plus important, concerne la relation entre la vitesse maximale du véhicule et la fréquence des infractions de son conducteur aux limitations de vitesse. Il existe toujours une interaction entre les capacités d’un outil et l’usage que l’on en fait. J’ai pour comparer lors de contrôles sans interception effectués par des policiers avec un radar embarqué, les grands excès de vitesse réalisés par des véhicules aux vitesses maximales élevées ou plus raisonnables, par rapport à la part de ces véhicules dans le trafic sur une route limitée à 70 km/h. Pour faciliter l’identification je n’ai pas relevé des modèles particuliers, mais les véhicules de marques produisant principalement des véhicules très rapides (Audi, BMW et Mercedes) en les comparant à la Peugeot 205 qui était à l’époque un modèle très répandu sur nos routes). Les excès de vitesse de plus de 30 km/h étaient deux fois plus fréquents pour les véhicules de ces trois marques, deux fois moins pour les 205. Il est intéressant de remarquer que cette amplitude de 4 entre les deux groupes était proche de l’amplitude du risque relatif d’accidents observés par les assureurs. Je ne méconnais pas les limites d’une telle constatation, il est possible d’imaginer que le fait de commettre de grands excès de vitesse est lié uniquement aux  conducteurs et que ceux qui achètent des véhicules très rapides sont ceux qui ont l’intention de rouler vite, et qu’ils auraient eu le même comportement au volant d’une 205. Cette hypothèse est la négation de tout ce que l’on sait sur la relation entre un comportement et les possibilités d’un instrument. Il existe une fraction de risque attribuable à l’usager et une fraction attribuable à l’instrument, sans que nous soyons actuellement capable de quantifier respectivement ces deux fractions.

 Un autre signe du dérèglement intellectuel de l’auteur dans ce commentaire s’exprime dans le ton de ses phrases critiquant l’action de l’association pour l’interdiction des véhicules inutilement rapides (APIVIR) : « Le communiqué que l’apivir  a diffusé le 25 mars 2006 permet de mesurer la violence des convictions quasi mystiques des nouveaux ayatollahs, mais aussi l’inanité de certains de leurs arguments ». L’auteur fait ensuite une longue citation de ce communiqué (qui peut être consulté dans son intégralité sur le site de l’APIVIR) et qui commente la situation dans un langage dépourvu de violence et de mysticisme, ne faisant qu’énumérer des faits objectifs « La situation actuelle est incohérente et dangereuse. Comment peut-on autoriser la mise en circulation de véhicules roulant à plus de 200 km/h sur nos routes alors que l’on sait que la vitesse maximale autorisée est de 130km/h  et que ces véhicules sont responsables de plusieurs centaines de morts chaque année ? La suite du texte de l'association est dans le même style, développant des arguments que les pouvoirs publics ont souvent utilisés, notamment dans les directives européennes, pour justifier la limitation de la vitesse à la construction des cyclomoteurs, des tracteurs, des poids lourds, des transports en commun, et l’extension de la limite à la construction au dessus de 3,5 tonnes. On voit mal comment une mesure qui serait justifiée pour ces véhicules deviendrait l’expression d’une violence mystique lorsqu’elle serait appliquée aux véhicules responsables du plus grand nombre de tués sur les routes .

La vitesse excessive inutile est un facteur de risque inutile et rien ne la justifie. Dans la sécurité au travail, l’employeur est tenu à une obligation de résultat de plus en plus stricte. Confier à un ouvrier une machine qui serait capable de provoquer des accidents si on l’utilisait au-delà de sa vitesse d’usage normal, sans la réguler en vitesse pour prévenir ce risque, provoquerait inévitablement un recours pour faute inexcusable de l’employeur en cas d’accident. L’APIVIR ne fait qu’utiliser des arguments de bon sens déjà mis en œuvre dans d’autres domaines pour réclamer la limitation de vitesse à la construction. Elle provoquerait une désescalade de la puissance maximale, qui est liée à la consommation, notamment en ville et irait dans le sens d’une meilleure protection du climat, d’une réduction du gaspillage des combustibles fossiles et du déséquilibre de notre balance des paiements. Voir dans ces arguments une violence quasi-mystique témoigne surtout du dérèglement du fonctionnement psychologique de l’auteur qui a perdu le sens des références « ordinaires ». Rappelons que de nombreux sondages ont prouvé qu'une large majorité de la population a conscience de cette discordance absurde et dangereuse entre les performances possibles des voitures particulières et des motos et les limitations de vitesse autorisées. Cette évolution n'est pas récente, le premier d'entre eux a été réalisé après le livre blanc sur la sécurité routière par l’institut Louis Harris pour Auto-Plus le 26 avril 1989 posait la question suivante : êtes-vous plutôt favorable ou plutôt défavorable à ce que les voitures soient construites de manière à ne pas dépasser les 160 km/h ? 69% étaient plutôt favorables, 26% plutôt défavorables et 5% sans réponse.

 Quelques autres affirmations sans preuves parsèment ce chapitre. Le fait que l’Allemagne se refuse à fixer une limite maximale de vitesse sur ses routes est reconnu comme la manifestation efficace du lobbying des constructeurs allemands, mais l’usage de l’exemple de l’Italie et de l’Autriche qui ont accru la vitesse maximale sur certains tronçons autoroutiers est présenté comme une promotion de l’idée suivante : « rompre avec l’obligation de respecter des règles uniques et stéréotypées dans toutes les circonstances et pousser ainsi chacun à adopter un comportement moins passif et plus responsable ». Présenter de façon aussi valorisante pour l’être humain la victoire du lobby de la vitesse dans ces deux pays en oubliant de dire qu’ils ont tous les deux un taux de mortalité sur leurs autoroutes très supérieur au taux observé en France fait partie de l’objectivité naturelle de l’auteur. Le parano est un tordu tordeur et les deux caractéristiques sont étroitement intriquées.