Comment se rate une gestion de crise ?
La gestion de crise devient un métier. Elle est enseignée, notamment dans les formations en santé publique à la suite des travaux de William Dab. Les entreprises sont de plus en plus conscientes du risque lié à une mauvaise gestion de crise, l'attention à ce problème est plus réduite au niveau gouvernemental. La gestion de la "casse" du permis à points par le Parlement, sans réaction sérieuse du Gouvernement, est en passe de devenir un modèle de ce qu'il ne faut pas faire quand on est confronté à une telle situation de crise de sécurité publique.
La première étape consiste à comprendre le mécanisme de la crise et pourquoi elle n'a pas été anticipée. Dans le cas du permis à points, la succession d'erreurs est évidente.
- sous estimation de l'effet sur l'accidentalité d'un affaiblissement du permis à points tel que celui adopté par le Sénat sur proposition du sénateur Fouché.
- ambiguïté des prises de position des responsables politiques. Fin septembre, le président de la République se dit favorable à la réforme proposée au cours d'une réunion avec des élus UMP, quelques jours plus tard il se déclare opposé à toute forme de laxisme dans le domaine de la lutte contre l'insécurité routière.
- l'Assemblée Nationale fait une erreur majeure au niveau de sa commission en réduisant la portée de l'amendement Fouché (un an au lieu de deux sans infraction pour récupérer tous les points perdus), mais en acceptant une autre mesure proposée par Philippe Goujon qui est beaucoup plus dangereuse que l'amendement Fouché. Les usagers pourront faire un stage de récupération de 4 points tous les ans au lieu d'un tous les deux ans et ceci pour tous les types d'infractions qui ont provoqué la perte de points. C'est une division par deux de la dissuasion par ce dispositif.
- lors du débat devant l'Assemblée le 16 décembre, la défense d'un amendement gouvernemental destiné à remplacer l'amendement de la commission est présentée sans conviction par Brice Hortefeux, cet amendement est rejeté et c'est l'amendement de la commission qui est retenu.
- le drame est donc programmé fin décembre. La neige maintient des bons résultats pour la fin de ce mois, mais dès janvier les résultats se dégradent et nous venons d'avoir 4 mois d'accroissement de la mortalité sur les routes. Cela ne s'était pas vu depuis 2002, sauf de janvier à avril 2007, quand une candidate à la présidence de la République avait exprimé ses incertitudes sur la nécessité de ne pas amnistier les fautes de conduite à l'occasion de cette élection.
La seconde étape doit être dominée par la reconnaissance rapide de l'erreur à l'origine de la crise et sa médiatisation par les responsables
Il s'agit de la phase la plus douloureuse pour les décideurs, celle du mea culpa. Nous n'avons pas été assez vigilants sur le risque de réduction de la dissuasion exercée par le permis à points. Nous savions que le succès de la politique définie fin 2002 était lié à la conjonction de plusieurs éléments, la faible tolérance sur les excès de vitesse, la fin des "indulgences", la mise en oeuvre à partir de novembre 2003 des radars automatiques, ces mesures donnant toute son efficacité au dispositif du permis à points qui est une forme de mécanisme de sursis finissant par sanctionner les multirécidivistes.
Cette erreur n'a pas été reconnue par le Gouvernement qui a évoqué des effets météo qui ne pouvaient pas expliquer cette inversion de tendance. Il a fallu les résultats d'avril, alors que le prix élevé des carburants aurait dû réduire fortement la mortalité, pour que la catastrophe de sécurité publique soit reconnue.
La troisième étape est celle de la procédure utilisée pour corriger l'erreur et sortir de la crise.
ll faut se garder de toute précipitation et accepter l'idée que l'on ne rattrape pas 3 mois d'erreur et 3 mois de déni par 3 jours de précipitation. Une sortie de crise de qualité suppose que les décideurs soient persuadés de sa gravité et décidés à faire ce qu'il faut pour en sortir avec des signes crédibles capables de produire des résultats dans des délais courts.
Dans le domaine de la sécurité routière, il faut avoir à l'esprit un ensemble de conditions importantes :
- les usagers sont très sensibles à la crédibilité des "signaux". Nous l'avons vu en décembre 2002, comme en janvier 2011.
- les modifications de résultats confirment ou infirment le bien fondé des décisions annoncées dans des délais courts.
- les décideurs sont donc contraints de retenir dans leurs décisions de sortie de crise des mesures qui ont la capacité d'être ressenties par de nombreux usagers comme les concernant, entraînant la modification de leur comportement.
- les mesures annoncées doivent s'opposer spécifiquement aux mesures qui ont provoqué la crise.
- le domaine étant très technique, il faut avoir des avis écrits d'experts concernant les effets envisageables des mesures envisagées
Un avis général sur les mesures annoncées ce 11 mai 2011
(communiqué du CISR accessible en pdf et dossier de presse également en pdf)
Je n'imaginais pas l'émergence dans des délais courts, après la prise de conscience de la dégradation des résultats ces 4 derniers mois, d'un ensemble de mesures adaptées à la situation, mais le résultat est pire que tout ce que je pouvais craindre. Le Gouvernement veut rester dans le déni. Il ne reconnaît pas que la mesure destructrice de la LOPPSI2 a été l'affaiblissement du permis à points. Il ne corrige pas cette erreur majeure en décidant de limiter à deux points la récupération annuelle de points.
Sa seconde erreur est de ne pas vouloir réduire de 10 km/h les vitesses maximales hors agglomération, alors qu'il avait de multiples raisons de le faire, la sécurité routière, la réduction des émissions de dioxyde de carbone, la réduction du déficit de notre balance des paiements. Cette mesure aurait provoqué une baisse forte et immédiate de l'accidentalité, redonnant un nouveau souffle à la lutte contre l'insécurité routière.
Ce CISR est bien dans la ligne de l'attitude gouvernementale pendant les années récentes : la politique de sécurité routière n'est plus une priorité.
Mes commentaires de détail
La seule décision réellement innovante et très importante de ce CISR est l'interdiction des avertisseurs de radars. Développer ces activités profondément asociales était une véritable provocation.
Les avertisseurs de radars, qui sont une incitation à enfreindre les règles en matière de limitation des vitesses, seront interdits.
Dans le dossier de presse associé au communiqué, il est bien indiqué que cette interdiction concernera tous les avertisseurs de radars, y compris les dispositifs qui transmettent en temps réel des indications sur la présence de radars déplaçables. Associée à la disparition des panneaux de signalisation et des dispositifs de géolocalisation des radars fixes, cette mesure peut relancer l'efficacité des contrôles de vitesse, mais il est difficile de prévoir les délais qui seront nécessaires pour leur mise en oeuvre. Il est évident que ces dispositifs exploitent des serveurs capables de rassembler les informations collectées par un grand nombre d'usagers. Il est donc plus facile de les neutraliser que les transferts de personne à personne, par exemple les transferts de fichiers couverts par un droit de propriété (domaine de la loi Hadopi).
Pour le reste les mesures annoncées sont d'un intérêt plus limité
- L'aggravation des sanctions pour un excès de vitesse dépassant
50 km/h
- l'effet sur l'accidentalité sera minime tant que l'interdiction des dispositifs destinés à avertir en temps réel les usagers de la localisation d'un contrôle de vitesse ne sera pas effectivement appliquée sur le terrain
- la solution considérée comme la plus efficace pour ces infractions les plus graves aux limitations de vitesse est la confiscation du véhicule et sa vente au profit des domaines. La création de ce délit n'aura de sens que s'il est accompagné de la confiscation obligatoire du véhicule, sans attendre la récidive, car la peine de prison sera rarement prononcée et encore plus rarement effective.
- Le retrait de 8 points pour conduite avec une alcoolémie de 0,80 g/l ou plus. Il faudra toujours deux infractions alcool pour perdre son permis, comme c'est le cas actuellement, sauf pour les conducteurs qui ont déjà perdu 4 points ou plus lors du constat de l'infraction alcool à 8 points.
- Sur l'usage du téléphone portable, il est bon
d'accroître à 3 la perte de points en cas d'usage d'un téléphone en
conduisant, mais il est proprement scandaleux de ne pas avoir
interdit le kit mains libres, avec les mêmes sanctions. Un rapport
d'expertise collective prenant en compte l'ensembe des connaissances
disponibles vient d'être rendu public. Il a confirmé que le kit mains libres
était aussi dangereux que le téléphone tenu à la main. Le problème
est le détournement de l'attention, ce n'est pas de tenir un
téléphone à la mains. Ce rapport est très précis sur l'état des
connaissances, il est beaucoup plus flou sur les mesures à prendre. Une phrase du communiqué
publié par le ministère de l'interieur démontrait déjà l'absence de
volonté d'être contraignant : "en partenariat avec les professionnels de téléphonie
mobile, des solutions techniques seront développées pour permettre de limiter les
conversations téléphoniques au volant". Le terme
"limiter" devait être remplacé par "interdire".
Sur cet aspect particulier du risque lié à l'usage du kit mains libres, Claude Guéant a déclaré (AFP 11/05/2011) : "qu'il constitue un élément qui, selon les études qui nous sont parvenues, n'est pas un facteur de plus de danger qu'une conversation". Cette affirmation ne correspond pas à l'état des connaissnces disponibles. Le communiqué cité ci-dessus du ministère de l'intérieur a été publié le 6 mai 2011, cinq jours avant le CISR. Il contenait notamment les phrases suivantes : "Le kit mains-libres et le mobile ordinaire entraînent quasiment le même niveau de distraction, car téléphoner accapare l’attention du conducteur : au-delà de la mobilisation physique du conducteur (motrice et visuelle), téléphoner introduit une forte charge mentale supplémentaire et réduit gravement les ressources attentionnelles indispensables pour conduire. Converser au téléphone en conduisant provoque une perte d’attention à la route qui détermine l’essentiel du risque. Le conducteur qui téléphone est tout juste capable d’assurer en parallèle les tâches de conduite routinières, comme s’il se mettait en « pilotage automatique".
La diversité des études épidémiologiques impose une grande prudence dans l'interprétation de leurs résultats. Il est possible de sélectionner les études qui vont dans le sens de ce que l'on souhaite entendre, ce n'est pas une bonne pratique. Quand l'étude SAM sur les risques liés à l'usage du cannabis en conduisant a été entreprise, certaines études concluaient à l'absence d'accroissement du risque, d'autres à un risque accru. Le grand nombre d'accidents étudiés dans l'étude SAM a permis de sortir de cette indécision et de conclure à un excédent de risque modéré mais significatif, qui a été accepté par la communauté scientifique. Dans le cas du kit mains libres, nous n'en sommes plus au stade de l'incertitude, l'accroissement du risque doit être considéré comme une notion acquise et, dans un domaine où la désinformation est permanente, il n'est pas bon qu'un ministre dise le contraire de ce qui est affirmé dnas un document publié par son ministère quelques jours auparavant.
Le 5 novembre 2003, les partenaires sociaux de la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) ont adopté à l’unanimité un code de bonnes pratiques relatif à la prévention du risque routier en mission intitulé « Prévention du risque routier au travail ». Cette recommandation, reconnue par la suite par tous les assureurs sociaux constituant le Comité de pilotage pour la prévention du risque routier professionnel, rappelle les dangers liés à l’usage du téléphone en déplacement, en préconisant de proscrire son usage au volant d’un véhicule et ce, quel que soit le dispositif technique utilisé.
Il est évident que les atermoiements des décideurs dans ce domaine vont provoquer des recours judiciaires. Quand un risque n'est pas indissociable de la fonction de transport, qu'il est dangereux et qu'il n'est pas interdit explicitement, l'Etat responsable de la sécurité publique et les employeurs peuvent être mis en cause pénalement du fait de leur carence. Nous sommes dans des situations proches de ce que nous avons connu avec l'amiante ou le Médiator. Il y a un moment où une décision ne doit plus être différée. Il ne s'agit pas d'appliquer un principe de précaution concernant un risque envisageable, mais le principe de prévention concernant un risque avéré. - Les autres annonces de nature technique ne sont pas inutiles, mais elles sont sans commune mesure avec la gravité de la situation créée par la casse du permis à points. Nous verrons dans les mois à venir si le Gouvernement avait raison de répondre à ce drame par des mesures aussi limitées.
Conclusions
UN CISR à mes yeux inadapté à la situation de crise que nous connaissons car il n'a pas voulu s'attaquer à sa cause. Les politiques paraissent inhibé par l'ampleur des responsabilités politiques à tous les niveaux de l'Etat. Le Gouvernement ne veut pas reconnaître le rôle de l'affaiblissement du permis à points par la LOPPSI2. La seule mesure intéresssante de la liste rendue publique est l'interdiction des avertisseurs de radars, incluant panneaux, géolocalisation et avertissement à la suite de renseignements transmis en temps réel par les usagers. Nous verrons si cette décision est rendue effective et dans quels délais. Si elle ne l'était pas, il ne resterait pas grand chose de ce CISR.