mars 2011

Ce qui se passe au Japon et en Libye relativise l'importance de la poursuite de la dégradation de la sécurité routière en Février 2011. Un moment viendra où l'excédent de mortalité évitable de Janvier et de Février, attribuable avec un très faible risque d'erreur à l'irresponsabilité du législateur qui a affaibli le permis à points, apparaîtra comme une faute.

Le nombre de tués sur les routes dépend d'un système à la fois complexe et compréhensible, les multiples facteurs de risque étant bien individualisés. La difficulté est de maîtriser leurs interactions. En ce début mars 2011, la question posée est simple :

La hausse du prix des carburants peut-elle neutraliser les effets de la casse du permis à points ?

Il faut situer cette situation dans le contexte des dernières années. Après l'effondrement de la mortalité routière de décembre 2002 à l'automne 2006, nous avons observé une réduction modérée de la mortalité qui permettait d'atteindre l'objectif "3 000 tués en 2012" fixé par le président de la République. Les résultats se sont stabilisés puis dégradés à partir de mars 2009 (année de faible prix du pétrole). Un retour à l'amélioration lente des résultats s'est manifestée en 2010 avec le passage au dessous de 4 000 tués à la fin décembre.

évolution de la mortalité 2006-2012

Les résultats des deux premiers mois de 2011 ont été mauvais, 21,2 % de tués en plus en janvier et 7,6 % en février. Je retiens l'affaiblissement du permis à points comme le seul facteur connu envisageable pour expliquer  cette dégradation. Les défenseurs de cette mesure nient cette hypothèse en ajoutant aux affirmations habituelles sur l'absence de risque lié aux faibles excès de vitesse un argument tiré du calendrier des débats parlementaires. Si l'amendement Fouché était  capable de réduire le respect des règles, cet effet aurait du se manifester dès son adoption en première lecture par le Sénat en septembre 2010. Le déroulement des faits a été très différent. L'adoption définitive de cet amendement clientéliste était loin d'être assurée pendant les trois mois d'automne. Le président de la République avait exprimé fin septembre son refus de tout laxisme dans le domaine de la lultte contre la violence routière et le gouvernement avait déposé devant l'Assemblée un amendement limitant à la perte d'un point sa récupération au bout de six mois. L'amendement destructeur de la commission n'a été adopté que le 18 décembre 2011 et c'est lui qui introduisait dans le texte la mesure la plus dangereuse permettant de récupérer tous les ans quatre points par un stage. Auparavant il s'agissait de 4 points tous les deux ans. La fin décembre sous la neige ne permettait pas à cette mesure laxiste d'avoir un effet immédiat, il s'est manifesté à partir du mois de janvier 2011.

Un autre type d'argumentaire voulant minimiser l'ampleur de cette régression de la sécurité routière s'est fondé sur la comparaison avec de "bons  mois" de l'année précédente. Je l'ai étudié dans des textes associés à l'éditorial de janvier (analyse des données mensuelles.). Je complète cette analyse par un ensemble de tableaux de la contribution mensuelle à la mortalité annuelle. C'est elle qui permet d'évaluer les résultats d'un mois particulier, en s'affranchissant de la comparaison avec le mois équivalent de l'année précédente.

L'observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP) vient de publier des résultats de janvier et février 2011 faisant état d'une augmentation importante des délits routiers constatés (grands excès de vitesse, conduite sans permis, conduite sous l'influence de l'alcool ou des stupéfiants). Ces résultats ont été repris dans la presse avec des titres qui ne correspondent pas à ce que les données produites permettent d'affirmer. L'ONDRP indique pourtant clairement dans ses commentaires qu'il est impossible de conclure à une augmentation réelle des délits commis en l'absence de données sur les temps de contrôle pour la vitesse et du nombre de contrôle pour la conduite sous l'influence de l'alcool ou de stupéfiants. Compte tenu de la nature des augmentations constatées, notamment la conduite sans permis ou la conduite sous l'influence de l'alcool ou de stupéfiants,  dont nous savons qu'elles ne connaissent pas de variations à court terme quand elles sont documentées dans les séries longues d'accidents (utilisation des BAAC), ma conclusion est que ces augmentations en janvier et février peuvent être attribuées à une augmentation des contrôles. Il serait très facile d'en avoir la preuve pour l'alcool, le nombre de dépistages négatifs étant connu de la police et de la gendarmerie. Malheureusement ces résultats ne sont pas communiqués à l'ONDRP (j'analyse cette publication et ses suites dans un document spécifique : analyse des données de l'ONDRP).

L'évaluation de l'effet de l'affaiblissement du permis à points en mars et pendant les mois suivants va devoir tenir compte de l'accroissement important du prix du pétrole qui s'est produit à partir de la quatrième semaine du mois de février et qui se poursuit au mois de mars. Nous avons connu en 2008 un épisode comparable, avec un pic du prix du pétrole pendant le mois de juin. Le prix du baril s'est ensuite abaissé dès le mois de juillet et la période de baisse s'est poursuivie jusqu'à la fin de l'année. Le nombre de tués en juin 2007 était de 384, il s'est abaissé à 306 en juin 2008, pour remonter à 403 en juin 2009. La réduction de 20,3 % de la mortalité en juin 2008 est à comparer à l'évolution mensuelle de la commercialisation de carburant. Elle s'est réduite de 9,2 %, passant de 3714 milliers de mètres cubes juin 2007 à 3371 mètres cubes en uin 2008.

L'erreur politique de ceux qui ont affaibli le permis à points a été annoncée par des élus appartenant à tous les partis. Comme toujours dans les problèmes de sécurité sanitaire, les clivages ne se font pas entre les partis politiques. Le meilleur exemple est donné par les propos tenus par Lionel Tardy, député UMP, lors du débat devant l'Assemblée Nationale : " Une politique de sécurité routière a été engagée en 2002 sous la présidence de Jacques Chirac dans le but de réduire le nombre des personnes tuées et blessées sur les routes françaises.
Or l’article 28 bis, adopté au Sénat contre l’avis du Gouvernement, réduit les délais nécessaires pour reconstituer le capital de points sur le permis de conduire : pour une infraction entraînant le retrait d’un seul point, ce délai serait de six mois, tandis que la totalité des douze points serait restituée après un an sans nouvelle infraction – contre trois ans actuellement.
Une minorité de Français est concernée, puisque plus de 75 % des conducteurs ont tous leurs points, et 90 % en ont entre dix et douze. Le capital de points permet un droit à l’erreur, à la petite faute. Mais lorsque l’accumulation de fautes est telle que l’on risque l’annulation du permis, cela signifie que l’on a de mauvaises habitudes de conduite.
L’aspect psychologique est primordial. La simple annonce d’un assouplissement des règles risque d’être perçue comme une incitation à « se lâcher ». Il en résultera une nouvelle augmentation des accidents.
Même les petits excès de vitesse sont dangereux. La preuve en est qu’une baisse de la vitesse moyenne d’un seul kilomètre-heure permet 4 % de morts en moins.
Pour toutes ces raisons, je propose de supprimer l’article 28 bis."

Il n'a pas été entendu.

Si l'accroissement important du prix du pétrole depuis la dernière semaine de février ne provoque pas une réduction de la mortalité routière comparable à celle qui s'est produite avec des prix équivalents en juin 2008, nous aurons un argument supplémentaire pour consolider l'hypothèse d'une relation causale entre l'affaiblissement du permis à points et l'évolution de la mortalité routière.