Pourquoi publier ma contribution au rapport stratégique qui a
été commandé au Comité des experts du CNSR par le président de cet
organisme (document complet
au format pdf - 88 pages, 3,5 Mo)
Claude Got le 10 octobre 2013.
La liberté de s’exprimer
Quand un groupe d’experts rédige un rapport dans le cadre d’une demande
émanant d’une structure mise en place par les pouvoirs publics, la règle
consiste à s’interdire tout commentaire du rapport avant qu’il ne soit
rendu public.
La lettre d’envoi du rapport, rédigée par le président du Comité des
experts indiquait : Il nous a été indiqué que ce rapport était, dans un
premier temps, confidentiel et que nous étions tenus au devoir de
réserve. L’ensemble de notre comité en a accepté le principe. Nous nous
réservons cependant le droit de réagir librement à toute diffusion
prématurée, totale ou partielle, qui ne serait pas de notre fait.
Le contenu du rapport étant largement diffusé et commenté dans les médias. J’ai fait le choix d’expliquer pourquoi je n’avais pas été co-signataire du rapport et de rendre publique la dernière version de ma contribution à ce projet.
Mon désaccord :
Le comité a présenté deux variantes de la mesure recommandant de réduire
la vitesse maximale autorisée sur le réseau bidirectionnel ou se
produisent la majorité des accidents mortels (routes dont les deux sens
de circulation ne sont pas séparés par un dispositif prévenant les chocs
frontaux entre véhicules). Il devait à mon avis développer les
conséquences très différentes des deux choix possibles et exprimer une
préférence. Il n’a pas organisé cette prise de décision.
Si le gouvernement décide de limiter sans délais l’ensemble de ce réseau à 80 km/h et de procéder à des évaluations précises avant d’en remettre éventuellement une partie à 90, la réduction de la mortalité sera immédiate et importante.
Si l’on attend d’avoir défini la fraction maintenue à 90 et celle qui sera limitée à 80 pour prendre la décision, l’effet immédiat sera nul, car le choix des voies pouvant être maintenues à 90 sera difficile, conflictuel et long. D’autre part, aucune autre recommandation du rapport ne pourra avoir d’effet à court terme. Si le gouvernement ne retient dans son projet que des mesures aux effets différés, il perdra toute crédibilité quant à sa volonté d’agir.
Les recommandations des commissions du CNSR, puis la réunion plénière du 29 novembre, seront les étapes suivantes, avant les choix gouvernementaux. Un Comité interministériel de sécurité routière interviendra ensuite. Les choix retenus concernent le risque qui produit quatre fois plus de morts prématurées que les homicides volontaires. Il est accessible à une politique publique, ce qui n’est pas le cas pour la majorité des homicides volontaires. Les accidents de la route mettent en cause des usagers qui sont en majorité bien insérées socialement et sont accessibles au raisonnement associé à une dissuasion crédible.
Dans le détail j’insisterai sur :
- la nécessité de mettre en évidence dans un bilan quantifié ce que l’on attend de chaque proposition et la confiance que l’on peut lui accorder. Il ne s’agit pas seulement d’un intervalle de confiance au sens statistique, mais également de la crédibilité que nous accordons à la mise en œuvre effective de la mesure. Le rapport n’a pas développé suffisamment cet aspect,
- la nécessité de conduire à son terme les débats sur les
variantes d’une mesure. Le meilleur exemple est le désaccord au sein
du comité sur les deux modalités envisagées de réduction des
vitesses maximales autorisées sur le réseau bidirectionnel. Il
fallait explorer de façon approfondie leurs avantages et
inconvénients. La première consisterait à réduire à 80 km/h la
vitesse maximale autorisée sur l’ensemble de ce réseau, capable de
produire une réduction de la mortalité évaluée à 450. L’autre option
limiterait une partie de ce réseau à 80 km/h, et maintiendrait à 90
km/h les voies dont la sécurité justifierait le maintien d’un
tel niveau de vitesse maximale, mais au prix d’une réduction de la
mortalité deux fois plus faible. J’estime que nous ne pouvions
pas rester dans l’indécision exprimée par la phrase suivante
extraite du rapport : Le comité s’est résigné à proposer deux
options d’une même mesure, aucune ne faisant consensus". Après un
vote produisant une majorité d’une voix en faveur de la première
décision, il était indispensable de rechercher une majorité plus
nette en faveur d’un compromis. La question « discriminante »
devenait notre capacité d’évaluer la dégradation du bilan par la
seconde mesure, en analysant la mortalité actuelle sur les voies qui
seraient maintenues à 90 km/h. Ces travaux pratiques auraient permis
de comprendre que le classement de chaque réseau départemental
bidirectionnel dans le groupe 80 ou dans le groupe à 90 exigeait de
produire des réponses à une série d’autres questions préalables dont
l’importance est majeure :
- quels critères faut-il utiliser. La mortalité au kilomètre parcouru, la mortalité au kilomètre de voie ? Si une route est plus sure au kilomètre parcouru, mais supporte un trafic très important, elle peut être le siège d’un nombre plus élevé d’accidents mortels que la voie la moins sure, mais peu circulée,
- quelles sont les vitesses de circulation actuelles sur les différentes subdivisions des réseaux bidirectionnels ? Nous ne les connaissons pas, le projet ancien de développement d’observatoires départementaux de la vitesse n’ayant jamais été conduit à son terme,
- qui va décider de ce classement, si c’est le gestionnaire de la voierie, ce sera l’Etat pour la faible partie résiduelle de routes nationales bidirectionnelles et les départements pour la quasi-totalité des voies de ce type. Le risque est évident d’avoir des options très différentes d’un département à l’autre,
- le problème suivant devient celui de l’expertise des caractéristiques de l’infrastructure, beaucoup plus difficile à mettre en œuvre que la recherche d’un taux d’accidentalité. La demande d’une telle expertise figure dans le projet, mais elle était déjà recommandée dans le livre blanc de sécurité routière de 1989. Elle n’a jamais été organisée, ce qui met en évidence à la fois la difficulté et le caractère conflictuel d’une telle pratique.
Le succès du projet sera lié aux décisions concernant la
vitesse
En l’absence d’une recommandation précise concernant la réduction de la
vitesse maximale sur les voies non autoroutières, le projet stratégique
peut se transformer en succès tactique des adversaires des modifications
des limites de vitesse, associés aux alliés objectifs accordant une
priorité à la qualité des infrastructures et non au nombre de tués
observés à leur niveau, ce qui est bien différent.
Les débats prématurés sur le rapport, liés à l’absence de respect de leurs engagements par des membres du CNSR, ont mis en évidence l’absence complète de compréhension de la relation entre une longueur de route donnée et le nombre de tués observés.
Ce nombre doit être rapporté à la longueur de voie. Pour être compris, il faut exprimer cette consommation de vies humaines comme on le fait pour une consommation d’essence en indiquant que 100 kilomètres du réseau autoroutier concédé consomme 1,69 usager par an, contre 4,64 pour le réseau national bidirectionnel et 0,70 pour le réseau départemental, toutes voies confondues.
La notion de risque peut également être exprimée avec un critère complètement différent, faisant référence à l’usager qui effectue un parcours. Elle utilisera alors le nombre de tués par kilomètre parcouru et j’ai utilisé ce critère à de nombreuses reprises dans cette contribution. Il exprime une notion très importante qui est le risque lié au transport pour un individu. Toutes voies confondues, ce risque est passé de 102 tués au milliard de kilomètres parcourus en 1960 à 6,65 en 2012. Il peut varier de 2 sur un réseau autoroutier à 12 sur le réseau départemental (valeur moyenne) et 5 sur le réseau communal.
Avec ces deux références :
Le spécialiste des routes va insister sur la qualité de la chaussée, le
tracé de la voie, sa lisibilité qui permet à l’usager d’identifier des
caractéristiques et d’adapter sa vitesse sans crainte d’être surpris par
une rupture d’homogénéité. Son raisonnement est celui d’un ingénieur qui
tente de réduire le risque en agissant sur un des trois facteurs
d’accident. Il va privilégier le risque au kilomètre parcouru. Quand on
veut réduire la vitesse de circulation sur le réseau amélioré par son
savoir-faire, il peut se sentir trahi, au lieu de comprendre que la
réduction de la vitesse va se combiner aux progrès de l’infrastructure
pour diminuer encore plus la mortalité au kilomètre parcouru.
Le spécialiste des accidents est confronté à un bilan et à des comportements. Il constate les dégâts produits par l’incompétence, l’inexpérience, l’alcoolisation ou la consommation de drogues, l’inattention, l’usage du téléphone en conduisant, la fatigue dans une société où le temps de sommeil est en diminution constante. Il constate également notre incapacité d’agir directement sur ces comportements dangereux qui vont être à l’origine d’un nombre d’accidents mortels dépendant étroitement du trafic observé sur un kilomètre de voie. Il va privilégier le dénombrement des tués sur une longueur donnée de voie. Il ne peut que conseiller aux décideurs d’agir sur le facteur qui réduit l’influence de toutes les altérations du comportement précitées : la vitesse de circulation sur les voies où le nombre d’accidents mortels constatés est le plus élevé.