cisr de février 2008
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Liste des éditoriaux
Le premier Comité Interministériel de Sécurité
Routière vient enfin de se tenir. Je n'en attendais rien et je n'ai donc pas été
déçu.
Les raisons de ce pessimisme sont les suivantes :
- Le calendrier de la gestion de la sécurité routière
par le Gouvernement mis en place après les élections du printemps 2007 a été
inadapté. Un comité interministériel était envisagé dès l'été 2007, il a été
sans cesse reporté, il fallait le tenir avant la fin de l'année immédiatement
après le Grenelle de l'environnement. Cela n'a pas été fait et finalement une
réunion restreinte des ministres concernés s'est tenue fin décembre et le CISR
du 13 février est très mal placé à quelques semaines d'élections municipales qui
inhibent les choix politiques. Des annonces opportunistes sont faites concernant
le permis à points des chauffeurs de taxi (par le président de la République) ou
la possibilité de points de bonus pour les bons conducteurs (par la ministre de
l'intérieur. Ces signes n'indiquent pas que le problème de l'insécurité
routière demeure une priorité gouvernementale gérée avec sérieux,
- Le Gouvernement n'a pas su utiliser les synergies entre
la sécurité routière et le Grenelle de l'environnement. La réduction de 10 km/h
des vitesses maximales sur tous les réseaux hors agglomération était la mesure
la plus apte à relancer les progrès en matière de sécurité routière. Elle a été
un moment envisagée, puis finalement écartée sans débat,
- La baisse exceptionnellement forte de l'accidentalité
et de la mortalité sur les routes depuis décembre 2002 est maintenant
interrompue. Les 2% de réduction de la mortalité de 2007 sont inférieurs à la
réduction de la circulation provoquée par la forte hausse des prix du pétrole.
- Pour renouer avec les progrès et aller vers l'objectif
de 3000 tués en 2012 fixé par le président de la République, il fallait, comme
en 1973 et en 2002 des annonces fortes provoquant des certitudes chez l'usager
et modifiant son comportement. Cette réaction avait été initiée en 1973 par la
limitation généralisée des vitesses maximales et le port obligatoire de la
ceinture de sécurité hors agglomération. En 2002/2003 l'annonce de la fin du
trafic d'influence qui supprimait la moitié des contraventions (circulaire
Sarkozy interdisant ces pratiques), l'annonce de la mise en service des radars
automatiques, la fin des tolérances anormales sur l'application des limitations
de vitesse, les modifications législatives et réglementaires (loi Perben, perte
de points pour l'usage du téléphone au volant) ont été compris par les usagers
comme un retour à l'application stricte de la réglementation. Ces annonces ont
eu un effet immédiat en décembre 2002 car quatre mesures fortes se renforçant
mutuellement ont été annoncées,
- Il n'y a pas de mesure de cette nature dans les
annonces faites le 13 février 2008. Nous sommes en présence d'une liste d'une
cinquantaine de décisions, au caractère opérationnel souvent discutable,
parfois annoncées à plusieurs reprises. Ces annonces ne vont pas convaincre les
conducteurs qu'il va leur falloir continuer à progresser dans le respect des
règles.
Les neuf premiers mois du nouveau gouvernement n'ont
pas été mis à profit pour définir les conditions de la reprise de la baisse de
l'accidentalité routière. Cette situation n'a pas une cause unique, plusieurs
facteurs se sont conjugués pour produire ce déficit d'action :
- Un déficit de connaissances des dirigeants qui n'ont
pas suffisamment compris les interactions entre les facteurs de risque sur les
routes et accepté une fois pour toutes de reconnaître que la vitesse est le principal
déterminant de l'accident. Cela signifie que sans déplacement, donc sans
vitesse, il n'y a pas d'accident et que suivant la vitesse de circulation dans
un environnement donné, le risque d'accident varie de 0 à 1. Les vitesses
moyennes de circulation sur les routes se situent actuellement à un niveau qui
permet de modifier de 3 à 4% la mortalité pour une variation de 1% de cette
moyenne. Ce constat empirique est documenté aussi bien dans le sens d'une
augmentation des vitesses de circulation que d'une réduction. Les vitesses
moyennes sont encore à un niveau très élevé : 82 km/h sur les départementales,
119 sur les autoroutes, (ceux qui estiment ces valeurs basses par rapport aux
limites autorisées de 90 et 130 km/h sur ces réseaux doivent se reporter aux
distributions des vitesses publiées par l'ONISR pour comprendre la situation) et
elles peuvent être réduites tout en conservant le service rendu par le transport
individuel.
- L'incompréhension de la difficulté de la dissuasion de
la conduite sous l'influence de l'alcool. Nous avons bénéficié depuis 40 ans de
la diminution régulière de la consommation d'alcool dans notre pays et de
l'effet des lois rendues de plus en plus sévère depuis la fixation d'une limite
maximale pour l'alcoolémie en 1970. Ces facteurs ont fait passer d'environ 5000
à 1200 le nombre de décès sur les routes attribuables à l'alcool. La fraction
d'usagers qui résiste à cette norme sociale et légale de ne pas conduire sous
l'influence de l'alcool sera de plus en plus difficile à dissuader. Du buveur
insouciant au buveur dépendant, en passant par le buveur d'habitude, il s'agit
de consommateurs très peu motivés à modifier leur attitude et qui savent
parfaitement qu'ils conduisent avec une alcoolémie élevée. Il faut se souvenir
que deux tiers des impliqués dans un accident mortel qui n'ont pas de permis
valide, ont perdu leur permis pour longtemps du fait d'une conduite sous
l'influence de l'alcool. De telles constatations prouvent que ces personnes
n'ont que peu d'aptitudes à maîtriser leur consommation quand ils doivent
conduire et que le respect des règles n'est pas leur priorité. L'idée de
développer l'autocontrôle et d'en obtenir un résultat notable me semble une
illusion. L'annonce de l'usage de l'éthylotest antidémarrage n'est pas une
première, nous l'avons entendu à plusieurs reprises et un seul département, la
Savoie, a su le mettre en oeuvre. Il faut des moyens importants pour assurer
correctement la gestion des usagers qui ont un problème avec l'alcool, or les
commissions médicales gérant les permis de conduire ont des moyens anormalement
faibles, sans informatisation nationale permettant de connaître la succession de
problèmes routiers liés à des consommations excessives.
- Le renoncement à accentuer sur le terrain et non dans
les propos, la dissuasion de l'excès de vitesse par le développement des radars
automatiques. Pour accroître cette dissuasion, ce n'est pas la mise en place de nouveaux radars
qui serait dissuasive, mais une évolution du procédé de contrôle reposant sur
trois décisions. La première consiste à multiplier les radars déplaçables (dans
un véhicule à l'arrêt et au sol). La seconde est de mettre en service des radars
dans des véhicules en déplacement dont l'homologation était considérée comme une
urgence par les auteurs du rapport sur l'évaluation du dispositif de radars
automatiques remis en mars 2006. Cette homologation n'est toujours pas réalisée.
La troisième consiste à ne jamais signaler les contrôles par des radars
déplaçables, cette pratique témoigne du renoncement à accentuer la lutte contre
l'excès de vitesse. Les politiques estiment que la "pression" actuelle est
suffisante et ne veulent pas l'accentuer. On ne dissuade pas en indiquant où
l'on va se placer pour dissuader, c'est comme si une équipe de surveillance des
pickpockets dans le métro indiquaient quelles lignes et quelles stations seront
l'objet de contrôles un jour donné. Cette pratique est ridicule. Le signalement
des radars fixes était indispensable lors de leur mise en oeuvre pour des
raisons pédagogiques. Le passage de tolérances se situant entre 20 et 40 km/h sur le respect
des limites de vitesse à une tolérance de 5 km/h décidée en octobre 2003 ne
pouvait se faire brutalement et sans signalement. En outre il est maintenant facile de
localiser les radars avec un GPS et de signaler leur emplacement sur une cartographie
embarquée. Il fallait considérer la phase pédagogique comme achevée et supprimer
tout signalement de radars déplaçables. Ne pas le faire va stabiliser la vitesse
moyenne de circulation et cela aura pour conséquence de stabiliser
l'accidentalité.
- L'absence de mise à profit de la période faste de
réduction de la mortalité sur les routes pour développer à un niveau décent le
contrôle de qualité des procédures qui établissent une connaissance précise des
facteurs de l'insécurité routière et de leur gestion. La qualité des résultats
dans un tel domaine dépend étroitement de l'évaluation de la gestion des
décisions. L'administration Française n'a pas de culture de l'évaluation, elle
la craint et perd de ce fait son aptitude à faire progresser la qualité de ses
outils. Je dénonce des carences et des insuffisances depuis parfois dix années
et qui ne sont toujours pas supprimées. Faire 11 millions de contrôles de
l'alcoolémie et ne pas savoir à quelles heures et quels jours de la semaine ils
sont pratiqués est un exemple parmi des dizaines d'autres de ce fonctionnement
non évalué, donc non contrôlé.
- Finalement le fait qui me semble le plus important est
l'incompréhension du rôle dominant de l'action sur la majorité des usagers par
rapport à l'action "forte" sur une fraction très minoritaire d'usagers fortement
déviants. Cette erreur était déjà celle faite par le Gouvernement de Lionel
Jospin. La loi Gayssot sanctionnant les grands excès de vitesse était utile,
mais elle donnait l'impression que seule cette infraction était grave et que,
par opposition, le petit excès de vitesse ne l'était pas. C'est la diminution de
la vitesse moyenne de tous les usagers qui a produit le succès de 2003/2006. On
voit bien l'intérêt politique à court terme de ces mesures visant les déviances
les plus importantes, le groupe d'électeurs "contrariés" par ces actions
sélectives est faible. A l'opposé une mesure qui va faire porter la dissuasion
sur l'ensemble des usagers est à la fois beaucoup plus efficace et plus
effrayante pour le décideur qui fait passer l'efficacité après ce qu'il imagine
être son image dans l'opinion. Peu de gens s'imaginent en situation de récidive
de grand excès de vitesse ou de récidive de conduite sous l'influence de
l'alcool et l'annonce de la confiscation du véhicule dans ces situations ne va
pas modifier grand chose sur les routes. A l'opposé, les excès de vitesse sur
l'ensemble du réseau secondaire seraient accessibles à la dissuasion par les
radars automatiques dans des véhicules en déplacement et cela le Gouvernement ne
l'annonce pas, comme il a renoncé à supprimer tout signalement des radars
déplaçables. Il donne l'impression de maintenir cette dissuasion généralisée de
la vitesse par la poursuite de l'implantation de radars fixes mais cette mesure
n'aura plus l'influence psychologique de 2003/2004. Les automobilistes ont
intégré ce type de risque, ils ralentissent au passage du radar et reprennent
leur "comportement habituel" ensuite, les plus enclins aux excès de vitesse sont
prévenus par leur GPS de l'approche de ces radars signalés. Le résultat est
simple, le Gouvernement va conforter le respect des radars, pas le respect des
limitations de vitesse sur l'ensemble du réseau. C'est à des signes de cette
nature que l'on distingue la volonté d'agir et la gesticulation destinée à
donner l'impression que l'on agit. Rendez-vous à la fin de l'année 2008 pour
savoir si mes pronostics sont fondés ou non.