octobre 2010

 

Le Sénat

Un naufrage clientéliste

A la différence des éditoriaux publiés sur ce site depuis dix ans qui ne sont jamais modifiés, cet éditorial évoluera jusqu'au terme du débat parlementaire sur la LOPPSI 2. Les ajouts successifs seront datés.

Je reproduis sur le site :

5 octobre 
Le débat sur la LOPSSI 2 est reporté à la fin du mois de novembre du fait de l'encombrement de l'ordre du jour de l'Assemblée Nationale. Je vais donc pouvoir interrompre l'évolution de cet éditorial évolutif atypique et remettre de l'ordre dans l'ensemble de ce dossier.

Jean-Marcel Bouguereau du Nouvel Observateur vient de mettre en ligne un article sur les tentatives d'affaiblissement du permis à points qui tranche sur la manipulation des faits propagée depuis le  septembre par les journalistes en difficulté avec leurs ponts (et qui ne déclarent jamais leur conflit d'intérêts !).
http://jeanmarcelbouguereau.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/10/04/quand-l-ump-veut-mettre-en-pieces-la-seule-politique-de-secu1.html


J'ai achevé un commentaire du rapport du ministère de l'intérieur sur le permis à points pour 2009 qui est accessible sur ce site. Il est important pour mettre en évidence l'importance de la désinformation et de la manipulation des faits dans ce domaine :  rapport du ministère de l'intérieur

4 octobre
Le débat à l'Assemblée Nationale sur la LOPSSI 2 va commencer demain mardi 5 octobre. ll est difficile de prévoir quand aura lieu la discussion de l'article 28. J'ai ajouté des commentaires sur les choix de la commission, ils sont encore plus laxistes que ne l'était initialement l'amendement Fouché. Il affaiblit tous les aspects temporels de la récupération de points :

Le texte de la commission est en totale contradiction avec les propos du chef de l'Etat. Nous allons voir si ce dernier accepte que sa majorité rendre inaccessible son objectif de 3 000  tués en 2012 et face passez démagogie et irresponsabilité dans un texte destiné à accroître la sécurité.

Le ministère de l'intérieur vient de mettre en ligne un document remarquable, complet et précis sur le bilan statistique du permis à points : http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_votre_service/statistiques/securite_routiere/permis-points/bilan-2009/downloadFile/attachedFile/Brochure_Permis_a_point_2009.pdf?nocache=1285768239.95

1er octobre
La presse a évolué depuis les déclarations de Nicolas Sarlozy en Bourgogne. L'affaiblissement du permis à points semble moins certaine. Un risque important persiste, car la machine à désinformer continue de fonctionner à un niveau que je n'ai pas connu depuis que j'ai une activité de recherche en sécurité routière (40 ans ce mois ci !). Des journalistes compétents semblent perdre tout sens critique dès que l'on parle des problèmes de voiture ou de permis à points.

Je regardais ce soir l'émission C dans l'air d'Yves Calvi qui acceptait passivement que ses invités sortent des énormités. On sait qu'il y a eu 92 000  permis d'annulés faute de points l'année dernière pour une durée de six mois, ce qui représente moins de 50 000  usagers privés de permis pour ce motif à un moment donné. Il n'est pas indispensable cette fois encore d'être très fort en calcul mental pour comprendre que le permis à points est incapable mathématiquement de jouer un rôle dans le nombre de 2 millions de conducteurs sans permis évoqué par un de ses invités. Maître de Caumont a pu nous resservir une fois de plus son discours sur les usagers privés de permis faute de points et qui ne sont pas des chauffards. Personne n'était là pour expliquer que la dissuasion des faibles excès de vitesse est encore plus importante que celle des grands excès de vitesse et que cette manoeuvre consistant à vouloir centrer la répression sur les "chauffards" fait partie des procédés utilisés par ceux qui pratiquent le déni de réalité. Quand ce beau parleur nous expliquait que le permis à points était une peine supplémentaire pour l'usager, personne n'était là pour dire qu'à l'opposé c'était une forme de sursis protecteur de l'usager. Son permis ne lui est pas retiré immédiatement pour une faute qui vient d'être commisse, c'est la somme des fautes commises qui provoque la sanction quand un seuil est dépassé.

Au journal de la 3, quelques minutes plus tard, Beltoise nous ressortait les chiffres faits pour effrayer de 1 à 2 millions de conducteurs sans permis à cause de permis à points et Catherine Matausch n'avait évidemment pas la compétence nécessaire pour lui demander comment 92 000 permis retirés pour 6 mois pouvaient produire 1 ou 2 millions de conducteurs sans permis. Ces deux émissions étaient produites sur des chaînes publiques. Dans le même temps, la déléguée interministérielle à la sécurité routière est inaudible, alors qu'elle devrait être sur tous les plateaux de télévision, dans tous les studios et sur tous les médias écrits pour expliquer comment la mortalité à été divisée par deux depuis 2002.

Le défaut de communication sur la politique de sécurité routière instaurée en 2002 et ses succès est flagrant. Un lobby de journalistes téléphoneurs, un peu trop rapide sur les routes, ayant accumulé les pertes de points, associés à des politiques qui ont les mêmes caractéristiques tente de nous démontrer que la majorité des automobilistes qui ont tous leurs points ou qui en ont perdu quelques uns sont des anormaux ! Ces gens sont des manipulateurs dangereux.

Comment lutter contre des désinformations aussi massives ? Quand une masse d'affirmations fausses est déversée de façon répétitive sur ceux qui reçoivent ces messages manipulateurs, la pédagogie devient difficile. Les nombres, les concepts, la logique, perdent leur relation avec la réalité. Comment faire accepter que l'accroissement de 1% de la vitesse moyenne de circulation en France puisse produire 200 morts et 200 handicaps graves de plus en une année ? Comment convaincre les politiques que la notion de "mauvais signal" est déterminant dans les ruptures observées dans le domaine de la sécurité routière ? Sont-ils capables de regarder attentivement pendant une minute le graphique suivant et de comprendre que la rupture de 2002 a été brutale parce qu'elle était crédible.

graphique de la mortalité 1997-2010

L'intention était annoncée le 14 juillet par Jacques Chirac, les méthodes à mettre en ouvre étaient analysées à partir du 17 septembre (états généraux de la sécurité routière), les premières décisions étaient prises et annoncées le 18 décembre et la machine à réduire la mort et le handicap s'est mise en route. Le résultat est difficile à se représenter. Si nous avions prolongé l'évolution observée de mai 1997 à avril 2002, 25 000 de nos concitoyens seraient morts alors qu'ils vivent sans même savoir qu'ils ont été sauvés par ce courage politique. Le même nombre devraient vivre avec des capacités intellectuelles et physiques supprimées et leur famille auraient une souffrance permanente à vivre à leur côté ce handicap.

Une nouvelle tentative pour faire comprendre la gravité des faibles risques : quand le risque lié à l'usage de l'amiante est apparu comme un désastre sanitaire majeur, l'attention s'est portée sur les métiers très exposés, les ouvriers du fibro-ciment, des textiles à base d'amiante, les producteurs de garnitures de freins, les dockers, ceux qui floquaient les bâtiments à armature métalliques. Cette attention était justifiée, ils avaient été exposés longtemps à des doses massives et ce sont eux qui développaient le plus fréquemment des cancers de la plèvre. Très rapidement, les études épidémiologiques ont montré l'ascension rapide du nombre de ces cancers chez des ouvriers qui appartenaient à des corps de métier différents, qui les exposaient de façon intermittente à des poussières d'amiante. Les quantités de fibres étaient plus faibles, mais ces ouvriers se comptent par millions et actuellement le nombre de cancers de l'amiante produits par ces "faibles expositions" est beaucoup plus élevé que celui provoqués par les doses élevés. Dans le domaine de la sécurité, il y aura toujours cette double représentation du risque, le niveau individuel, le niveau collectif.

30 septembre

Nous voyons à quel point le travail du journaliste commentant l'actualité est difficile. Hier le Canard Enchainé publiait entre guillemets des propos attribués au chef de l'Etat favorable à un "assouplissement" du permis à points identique ou proche de l'amendement Fouché adopté par le Sénat (récupération d'un point après six mois sans infraction et de tous les points après deux ans). Les termes qui lui étaient attribués étaient d'un cynisme inacceptable. Aujourd'hui nous avons tous entendu Nicolas Sarkozy affirmer devant plusieurs rangées de gendarmes  "Je n'accepterai jamais un message de laxisme concernant la lutte contre la violence routière". Il aurait également dit "On peut toujours faire des aménagements, mais l'objectif c'est de réduire le nombre de tués et de blessés sur les routes, c'est un objectif central".

Le secrétaire d'Etat ayant en charge les transports, Dominique Bussereau a de son côté déclaré à RMC "Je ne suis pas favorable à un assouplissement, je pense que c'est un mauvais signal (...) On est sur une bonne tendance qui peut nous permettre d'arriver à l'objectif fixé par Nicolas Sarkozy, qui est de 3.000 morts (...) Si on baisse notre dispositif de sévérité ça peut entraîner des conséquences négatives".

Peut-on considérer que le "mauvais signal" du secrétaire d'Etat et le "message de laxisme" du président ont le même sens ? Pour un esprit simple oui. Mais que penser alors de la compatibilité entre le "on peut toujours faire des aménagements" de Nicolas Sarkozy et du "je ne suis pas favorable à un assouplissement" de Dominique Bussereau. Là le doute s'installe à nouveau, pourquoi envisager des aménagements si l'on ne veut pas donner un message laxiste ? Le dispositif est maintenant stabilisé, le nombre de permis annulés n'augmente plus. Les seuls aménagements souhaités par ceux qui n'imaginent pas quils puissent être dangereux quand ils téléphonent en conduisant ou quand ils font de "petits excès de vitesse" sont des aménagements qui affaiblissent le dispositif. Il faut leur expliquer que le succès de 2002 a été provoqué par une modification de comportement de tous les conducteurs et ne pas refaire l'erreur du gouvernement et du parlement en 1999 en ciblant les "grands délits". Beaucoup de petits délits avec un faible excédent de risque peuvent provoquer plus d'accidents que peu de grands délits avec pour chacun d'entre eux un fort excédent de risque. Il n'est pas nécessaire d'avoir fait math-spé pour comprendre cela, c'est la différence entre le joueur qui prend un billet de loterie à quelques euros avec de très faibles chances de gagner, mais il peut et il espère gagner gros et le joueur de poker qui joue gros avec une chance beaucoup plus élevée de gagner. La vie et la mort des humains sont gouvernées par des probabilités. Le raisonnement est identique, qu'il s'agisse de gains ou de pertes, de rester intact ou d'être handicapé. Les politiques qui n'ont pas compris cela doivent aller prendre des cours avec les spécialistes de la Française des jeux.

Il aurait été plus simple que le chef de l'état dise nettement "je suis opposé à l'amendement adopté par le Sénat, et je vais demander au ministre de l'intérieur de maintenir la position du gouvernement contre cet amendement". Sa crédibilité politique en aurait été accrue.

Nous devrons probablement attendre le débat sur la LOPPSI 2 devant l'Assemblée pour avoir une réponse. Le débat politique perd actuellement toute lisibilité et ces subtilités de langage ne conviennent pas au traitement d'un problème de cette importance. Soit les usagers comprendront la décision finale du Parlement comme une réduction des contraintes exercées par le permis à points et c'est bien le caractére laxiste de cette décision qui justifiera cette perception, soit l'amendement sera supprimé et le président de la République aura exprimé sa volonté de ne jamais accepter un message laxiste.

Encore une fois, dans ce domaine on ne peut vouloir une chose et son contraire.

29 septembre
Nous avons appris aujourd'hui que la commission de l'Assemblée Nationale était favorable à une modification minime de l'amendement Fouché sur le permis à points. Un point perdu serait récupéré après 6 mois sans infraction et tous les points après 2 ans. Cette mesure n'est pas un assouplissement du permis à points, c'est un affaiblissement dangereux de ce dispositif.

Nous savons que cette décision a été voulue par le président de la République et que le Premier ministre lui était également favorable, de même que Xavier Bertrand et Jean-François Copé. Le Canard Enchainé du 27 septembre rapporte les propos suivants de Nicolas Sarkozy : "Il faut cesser de harceler ceux qui commettent des petits excès de vitesse et qui risquent ainsi de perdre leur boulot parce qu'ils n'ont plus leur permis  (...), tout en étant intraitables pour les grands excès de vitesse et l'alcoolisme au volant. C'est le genre de réforme qui ne coûte rien, qui est simple à mettre en oeuvre et qui plaît aux gens. Je comprends que pour les énarques cela ne soit pas assez intelligent, mais c'est nécessaire de le faire".

Les énarques ont des défauts, mais ils comprennent les arguments de nature scientifique. Ils ont été formés à cette méthodologie rationnelle. Le président de la République sait aussi bien que les énarques et les accidentologistes que le succès de 2002 a été assuré par le choix d'une faible tolérance sur les petits excès de vitesse, qui a fait baisser la vitesse moyenne de 10%, ce qui explique 40% de réduction de la mortalité. Il a pris sa décision en pleine connaissance de cause, en acceptant le risque d'un échec supplémentaire : ne pas tenir son engagement d'abaisser à 3 000 tués la mortalité sur les routes en 2012. Il faut donc analyser les motifs de ce choix.

"c'est le genre de réforme qui plaît aux gens". Les décisions de 2002 ont contrarié conducteurs pressés et utilisateurs du téléphone au volant. Les politiques, grands usagers de la route, font partie de cet ensemble de "gens importants" dont le mode de vie entre souvent en conflit avec le respect des règles. Les journalistes également. Avec les tolérances sur les excès de vitesse appliquées avant 2002, la pratique généralisée des "indulgences", c'est à dire du trafic d'influence, avec des fonctionnaires du Sénat et de l'Assemblée dont le travail consistait à faire sauter les PV, une forme de nomenklatura échappait aux sanctions. Depuis 8 ans cette impunité a disparu, il y a deux fois moins de tués sur les routes, les tarifs d'assurances ont baissé et les routes sont plus pacifiques. Un vaste mouvement de désinformation émanant d'usagers qui ne déclarent jamais leur conflit d'intérêts et le nombre de points résiduels sur leur permis, a accrédité l'idée que le système est trop sévère, alors que le nombre de conducteurs privés de permis faute de points à un moment donné est très faible, proche de 1,2 pour mille (une incidence de 92 000 permis par an annulés pour 6 mois représente une prévalence de 46 000, je donne là une indication qui exige un peu d'intelligence des nombres, mais elle est utile).

"C'est le genre de réforme qui ne coûte rien". Le coût financier direct pour le budget de l'Etat est effectivement nul. Le coût humain peut être élevé si le caractére dissuasif du permis à points est affaibli. Personne n'est capable de prédire l'influence de cette mesure sur les comportements et c'est bien là son danger :

Le bilan de ces perceptions très variables de l'affaiblissement de la dissuasion des infractions par le permis à points peut être un accroissement de 1 ou 2% de la vitesse moyenne. Il sera responsable de plusieurs centaines de morts supplémentaires. Nous aurons la réponse à ces questions avant mai 2012. Si mon pronostic pessimiste se réalise, les phrases du président de la République deviendront insupportables. Les photos sur le perron de l'Elysée, avec une famille qui a perdu l'un des siens après un homicide volontaire, apparaitront comme une apparence d'attention à la souffrance des familles de victimes, sans la moindre sincérité. La route demeure la première cause de morts évitable des jeunes adultes. 25 000 vies ont été épargnées par la réforme de 2002, cela représente 25 ans de victimes d'homicides volontaires dont on sait que le nombre est très stable dans notre pays, peu accessible aux lois de sécurité.

La responsabilité politique exige de ne pas vouloir une chose et son contraire. Soit l'amendement Fouché réduit la dissuasion de commettre des infractions et il faut le supprimer, soit il n'aura aucune influence sur le comportement des usagers et il faudrait alors m'expliquer à quoi sert le permis à points ! J'ai accumulé des analyses de nature scientifique sur ce site internet depuis onze ans. Elles sont incapables d'éviter la démagogie et le déni de réalité. Cela ne me dissuade pas de continuer. En 1973 j'ai adressé au journal le Monde mon premier écrit proposant un plan de lutte contre l'insécurité routière, en juillet de cette année là, plusieurs décisions politiques qui reprenaient les plus importantes de ces propostions (limitation généralisée de la vitesse, port obligatoire de la ceinture de sécurité) ont inversé l'évolution de la mortalité sur les routes qui atteignait 18 000  tués (évalués au 30ème jour après l'accident). En 2002 des association et des experts ont fait des recommandations après l'annonce de Jacques Chirac de sa priorité d'action pour la sécurité routière. Ces réformes ont été mises en oeuvre par Jean-Pierre Raffarin et ses ministres, dont Nicolas Sarkozy. Elles ont divisé par deux la mortaité sur les routes. Un jour viendra où des politiques moins manipulateurs abandonneront à nouveau le discours de l'irresponsabilité et de l'impudeur et atteindront l'objectif de 3 000 tués par an. Entre-temps, les morts du fait de petits excès de vitesse et de petits coups de téléphone au volant ne seront pas de petites morts.

La partie du texte qui suit a été rédigée et mise sur le site le 24 septembre 2010.

Le Sénat vient d’adopter un amendement à la LOPPSI 2 qui facilite la récupération des points de permis. Ce mauvais coup pour la sécurité routière est piloté par le suppléant de Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre qui a mis en oeuvre la priorité de Jacques Chirac de 2002. Même dans la Vienne, il semble encore nécessaire de tuer le père pour exister.

Résumé

Quel dommage que le referendum de 1969 sur la transformation du Sénat ait été utilisé comme un moyen de mettre de Gaulle à la retraite. Cette assemblée élue par des notables demeure leur porte-parole et son cliéntélisme est une des expressions de son handicap génétique. Il est important, pour bien comprendre le sens de cette affirmation, d'analyser l'amendement à la LOPPSI 2 que le sénateur Alain Fouché a fait adopter le 10 septembre 2010. Affaiblir l'effet dissuasif du permis à points en permettant de récupérer la perte d'un point en 6 mois au lieu d'un an et de tous ses points en un an au lieu de trois ne peut que détériorer la sécurité routière. Cette mesure est une réponse aux demandes d'un groupe de pression composite associant le lobby de la vitesse à celui des gens pressés qui est également celui des utilisateurs du téléphone au volant.

Avant la réforme de la politique de sécurité routière entreprise en 2002, le Sénat et l'Assemblée Nationale avaient des fonctionnaires spécialement affectés au traitement des "indulgences", c'est à dire à l'exercice d'un trafic d'influence pour faire sauter les PV pour infractions au code de la route. Les membres des assemblées et une partie de leurs électeurs bénéficiaient de cette pratique indigne d'une démocratie. Des travaux de chercheurs, puis la commission d'évaluation du dispositif de contrôle et de sanctions dirigée par Michel Ternier avaient montré qu'environ la moitié des contraventions n'aboutissaient pas. La circulaire du 18 décembre 2002 du ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, puis le développement des dispositifs de contrôle automatisé, ont maîtrisé cette dérive. Ce succès est à mettre au crédit des politiques qui ont conduit la réforme annoncée par Jacques Chirac dans son discours du 14 juillet 2002. Pendant les premières années de son application, l'ampleur du succès a bloqué les tentatives d'affaiblissement du dispositif. Les modifications à la marge qui ont été adoptées, par exemple la récupération d'un point après un an de conduite sans nouvelle perte de points, n'étaient pas de nature à dévoyer le dispositif de son objectif.

Dans la période récente, des actions de désinformation caractérisée ont pris pour cible le permis à points, dans la presse, dans des livres, à la télévision. Comme il y a des politiques qui font passer leurs règles personnelles de conduite avant le respect du code de la route, il y a des journalistes pressés et c'est également une profession où l'on téléphone beaucoup. En outre, les médias spécialisés de l'automobile ou des deux roues motorisées produisent les textes qui vont dans le sens de leur lectorat amateur de vitesse, qui a du mal à admettre que la puissance inutile est un concept dépassé, destructeur de vies humaines, de la planète et de leurs points de permis. Le livre d'Airy Routier "la France sans permis" était un bon exemple de cette manipulation massive des faits. Je l'ai analysé dans un chapitre de mon livre "La  violence routière - des mensonges qui tuent". Il a porté plainte pour diffamation et le jugement qui m'a relaxé comportait des termes particulièrment durs pour un journaliste : "le prévenu pouvait affirmer comme il l'a fait que les erreurs factuelles et de raisonnement qu'il dénoncait relevaient d'une volonté délibérée de leur auteur de travestir la vérité et de tromper le lecteur". La totalité des documents concernant ce procès sont accessibles sur ce site (plainte d'Airy Routier).

Ces manipulations se sont développées d'autant plus facilement que les organismes d'Etat qui ont pour vocation de communiquer sur les politiques publiques, notamment sur la politique de sécurité routière, n'ont jamais voulu traiter ce problème de la désinfomation. Les responsables de la séurité routière devaient publier systématiquement des démentis chaque fois que la réalité des faits était manipulée, cela n'a pas été fait. 

 Il y a un peu plus d'un an, le sénateur Nicolas About avait déja tenté une  manoeuvre ayant le même objectif, heureusement sous la forme d'une proposition de loi qui avait permis une très bonne analyse par son rapporteur, Catherine Troendle, conduisant à un rejet du texte. La même assemblée vient de prendre une direction opposée, contre l'avis de sa commission et du gouvernement. Cette incohérence est le résultat d'une manoeuvre dont le succès ne valorise pas le fonctionnement du Sénat. Quand on analyse les objectifs et les motivations de cet amendement, il ne reste plus qu'à se demander si nous avons affaire à des incompétents qui se sont laissés embarquer dans une opération tordue ou à des malfaisants dépourvus de sincérité qui utilisent des affirmations sans fondement.

La suite du débat aura lieu à l'Assemblée Nationale début octobre. La guerre des chefs au niveau de l'UMP dans une période d'attente d'un remaniement ministériel n'est pas favorable à un traitement responsable du problème évitant son instrumentalisation démagogique. Il faut savoir ce que l'on veut et éviter de prétendre qu'il est possible d'affaiblir la dissuasion produite par le permis à points sans accroître l'insécurité routière.  Les politiques, les journalistes, les "notables" circulent beaucoup, sont pressés, téléphonent en conduisant et perdent des points de permis. Leurs conflits d'intérêts sont évidents dans ce domaine. Les avis exprimés le 24 septembre à Biarritz sur l'amendement Fouché  lors des journées parlementaires de l'UMP sont inquiétants.

Le Parisien les rapporte ainsi : en direction du patron des députés UMP Jean-François Copé, Xavier Bertrand a appelé à ce qu'«à l'Assemblée, on puisse aller dans le même sens».A la tribune, Copé a acquiescé sur le fond : «Je pense qu'à partir du moment où on est clair sur le fait que l'objectif premier, c'est évidemment la sécurité routière, l'idée d'un amendement à la marge (du dispositif du permis à points) me paraît, je le dis à titre personnel, aller dans le bon sens». Mais en prenant à témoin François Fillon, il a lancé une pique à son rival : «Je te soutiendrai bien volontiers sur ce sujet dès lors qu'il ne faut pas non plus en faire un débat trop long, et qui nous perde, M. le Premier ministre, dans l'essentiel que sont les grandes réformes de structure».

 Il va falloir choisir entre le torpillage de l'objectif présidentiel de 3000 tués en 2012 par l'affaiblissement du permis à points ou le maintien de la prévention par la dissuasion. Si l'amendement est "à la marge", il est inutile de donner ce mauvais signal qui sera perçu comme une réduction de la "pression" exercée sur les usagers par le dispositif. Il ne peut que modifer les comportements vers plus d'insouciance et moins de respect des règles. L'insécurité routière n'est pas seulement le fait de "grands délinquants" qui boivent et vont très vite, elle est aussi le produit au quotidien d'un grand nombre d'infractions moins graves qui peuvent être commises par chacun d'entre nous, notamment les faibles excès de vitesse.

Les décideurs ne peuvent mettre de côté les données de la modélisation de l'insécurité routière. 1% de réduction de la vitesse moyenne réduit de 4% la mortalité. Les réformes de 2002 ont abaissé de 10% la vitesse moyenne en agissant sur les faibles excès de vitesse par une tolérance réduite à 5 km/h et les radars automatiques qui observent tous les usagers, les sénateurs et les députés comme les autres. La mortalité sur les routes a été divisée par deux et cette prévention a été assurée par un retour à la crédibilité des sanctions.

L'expression "prendre ses responsabilités" est particulièrement adaptée à ce type de situation. Nous allons entendre pendant deux semaines des propos de café du commerce et le débat à l'Assemblée nous dira comment évolue la démocratie représentative. Elle peut se révéler informée et responsable, ou exploiter la démagogie la plus dangereuse pour manipuler l'opinion dans une problématique de combat des chefs. Ce combat risque de faire des morts, sur les routes.