annexe 1 propositions de 2007

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Version 1 du 15 septembre 2007

Annexe 1

Cette annexe comporte deux parties :

une liste d’indicateurs de qualité qu’il conviendrait de documenter à différents niveaux géographiques et avec une fréquence adaptée aux objectifs de chaque indicateur,

une note justifiant le développement prioritaire d’une évaluation de la pratique des acteurs de la sécurité routière.

I – Quels indicateurs de qualité faut-il établir pour accroître l’efficacité d’une politique de sécurité routière ?

Les bilans d’une politique de sécurité routière ne sont que des indicateurs globaux de sa qualité. La réduction de 3000 tués au cours de la période 2002/2007, en rupture brutale avec la stagnation des années précédentes est un indicateur qui ne permet pas d’attribuer aux facteurs qui l’ont produite leur part dans ce résultat exceptionnel. Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut des indicateurs intermédiaires, documentant la nature et la qualité des processus qui ont été mis en œuvre. Pour identifier les insuffisances et les corriger, comme pour comprendre un succès, il faut disposer d’indicateurs pertinents et robustes.

Nous ne partons pas du niveau zéro. L’observatoire des vitesses créé par l’ONISR est un exemple de production d’un indicateur pertinent en matière de sécurité routière : l’évolution de la vitesse moyenne et de la distribution des vitesses des différentes catégories de véhicules. Cependant il documente cette variable au niveau national, ce qui ne permet pas une adaptation de la politique de contrôle au niveau régional, voire départemental. Il faut développer les systèmes automatisés de mesure des vitesses sur l’ensemble du réseau et le retard pris par le projet « Vibrato » témoigne d’une indifférence significative envers les procédures d’évaluation. Les responsables d’une industrie, d’une grande surface commerciale, d’un hôpital qui prétendraient assurer leurs fonctions sans disposer d’indicateurs de qualité des pratiques permettant de comprendre l’évolution de leurs résultats seraient considérés comme mettant en danger leur établissement. Il est curieux et inquiétant de constater que cela n’est pas le cas dans la pratique administrative. Je produis ci-dessous une liste d’indicateurs. Qui peut soutenir qu’il dispose de l’ensemble de ces indicateurs et qu’ils ne sont pas utiles et pertinents pour piloter la sécurité routière ?

1 vitesse

1.1 observatoire des vitesses

1.1.1 évaluation de l’intervalle de confiance des valeurs mesurées avec la méthode actuelle,

1.1.2 publication d’un indicateur météorologique des périodes d’intempéries au niveau régional et départemental,

1.1.3 mettre en place rapidement le projet « vibrato » de mesure des vitesses avec un objectif de représentativité national (l’objectif n’est plus de comprendre pourquoi il a pris un tel retard, cette démarche relevant de l’inspection des services du ministère, mais de se doter d’un outil indispensable dans des délais courts,

1.1.4 mettre en place le niveau régional puis départemental du projet « vibrato » après validation, ou tout autre projet ayant le même objectif avec le concours des CETE.

1.2 indicateurs d’infractions à la vitesse au niveau local (indépendamment du CSA)

1.2.1 documentation du nombre mensuel d’infractions constatées aux règles sur les limitations de vitesse (distinction entre les différentes classes de contraventions pour excès de vitesse, identification de la proportion d’usagers habitant le département,

1.2.2 comparaisons au niveau départemental entre les nombres d’infractions constatées aux limitations de la vitesse, les sanctions prononcées, et l’effectivité de leur exécution,

1.2.3 documentation des niveaux d’infractions relevés en fonction des vitesses autorisées (évaluation des tolérances sur les limitations de vitesse quand le contrôle n’est pas effectué dans le cadre du CSA (contrôle sanction automatisé) dont les tolérances sont normalisées,

2 Conduite sous l’influence de l’alcool

2.1 Indicateurs concernant les infractions et leur constat

2.1.1 Contrôles de l’alcoolisation réalisés dans le cadre des lois de 1978 et de 1990 (contrôles préventifs en l’absence d’autre infraction, en distinguant les contrôles de la police nationale, de la gendarmerie et éventuellement des CRS, les jours de la semaine, les tranches horaires pendant lesquelles sont effectuées les contrôles. Une proposition faite à plusieurs reprises recommandait quatre tranches horaires : 0h-6h, 6h-12h, 12h-18h, 18h-24h),

2.1.2 Contrôles de l’alcoolisation réalisés après le constat d’une infraction au code de la route (en distinguant les contrôles de la police nationale, de la gendarmerie et éventuellement des CRS),

2.1.3 Contrôles de l’alcoolisation réalisés après un accident corporel de la circulation (en distinguant les contrôles de la police nationale, de la gendarmerie et éventuellement des CRS). Etablissement de la proportion de résultats documentés par rapport aux impliqués, en distinguant les accidents corporels non mortels des accidents mortels, les niveaux infractionnels et délictuels de l’alcoolémie.

2.2 Indicateurs concernant les suites données à ces infractions (niveau départemental et national)

2.2.1 Comparaisons entre le nombre d’infractions constatées, le nombre de sanctions prononcées et l’effectivité de leur exécution,

2.2.2 Evaluation de la qualité de la liaison entre les constats de conduite sous l’influence de l’alcool et les organismes de soins ayant une compétence pour évaluer la situation des usagers concernés face à leur consommation d’alcool (ce lien est organisé en théorie depuis une trentaine d’années),

2.2.3 Documentation de la conduite sous l’influence de l’alcool au niveau départemental après un antécédent de contrôle préventif positif ou d’accident sous l’influence de l’alcool, en distinguant les cas de conduite sans permis ou avec un permis valide (près des deux tiers des accidents mortels sans permis valide concernent des usagers qui ont été l’objet d’une suppression ou d’une suspension de permis pour conduite sous l’influence de l’alcool),

3 Conduite sous l’influence des stupéfiants

3.1 Recherche de stupéfiants en dehors d’un accident

3.1.1 Documentation des recherches effectuées (nombre de cas, nombre de résultats positifs, catégories de stupéfiants concernés) par l’exploitation des BAAC (bulletins d’analyse des accidents corporels),

3.1.2 Comparaisons entre les résultats des test de dépistage et les résultats des dosages sanguins, en distinguant les catégories de stupéfiants concernés,

3.2 Recherche de stupéfiants dans les accidents corporels

3.2.1 Documentation dans les accidents corporels du nombre de tests positifs et du nombre de tests positifs confirmés par les dosages sanguins, en distinguant les catégories de stupéfiants concernés (il faut remarquer que cette recherche n’est pas obligatoire dans tous les accidents corporels et il est important de comparer les pratiques dans les différents départements, nous savons que les inégalités géographiques sont considérables),

3.2.2 Documentation dans les accidents mortels du nombre de tests positifs et du nombre de tests positifs confirmés par les dosages sanguins, en distinguant les catégories de stupéfiants concernés,

4 Port de la ceinture de sécurité

4.1 Taux de port de la ceinture aux places avant (comme les suivants, ce taux doit être établi au niveau départemental en distinguant un résultat en agglomération dans une zone contrôlée par la police, par exemple la ville ou siège la préfecture, d’un résultat gendarmerie. Un millier d’usagers observés donne une valeur utilisable pour ces indicateurs,

4.2 Taux de port de la ceinture aux places arrière

4.3 Taux d’usage des dispositifs de retenue des enfants (les techniques d’observation ont été mises au point par l’INRETS, il s’agit d’observations près des écoles et à l’entrée de stations services),

4.4 Taux d’usage constaté dans les accidents corporels et dans les accidents mortels, (en distinguant les places et le cas des enfants),

4.5 Nombre d’infractions constatées mensuellement pour non usage d’un dispositif de retenue (en distinguant les places et le cas des enfants),

5 Evaluation de l’application de la circulaire du 18 décembre 2002 interdisant la pratique abusive de l’interruption d’une procédure après constatation d’une infraction au code de la route (niveau départemental, procédure décrite dans une des fiches de proposition et à la fin de cette note),

6 Evaluation du CSA et des facteurs déterminant ses capacités de dissuasion

6.1 Poursuite du recueil des données exploitées par le premier rapport d’évaluation du CSA publié en mars 2006 (action sur les vitesses et l’accidentalité)

6.2 Poursuite du recueil des données exploités par le second rapport d’évaluation du CSA (conditions matérielles de l’effectivité de la chaîne de contrôle)

7 Développement de modèles évaluatifs fondés sur des bases de données mises à jour et utilisables par les chercheurs

7.1 Evaluation du parc de véhicules à partir des immatriculations et des évaluations sur la durée de vie des véhicules (source : fichiers des immatriculations des véhicules),

7.1.1 Mise à la disposition des chercheurs de la partie non nominative du fichier des immatriculations,

7.1.2 Traitement de ces données par l’ONISR pour établir la distribution du nombre de véhicules par classes de poids, de vitesse maximale, de puissance, de consommation et d’émission de dioxyde de carbone,

7.2 Evaluation de l’évolution des kilomètres parcourus sur les différents types de voies au niveau départemental et de l’intervalle de confiance de ces résultats,,

7.3 Modélisation du rôle des différents facteurs qui ont produit la réduction de l’accidentalité dans la période 2002/2006,

8 Evaluation des dispositifs de formation initiale et continue,

8.1 Evaluation de la formation pour l’obtention du permis de conduire : étude de la faisabilité d’une évaluation des auto-écoles par un suivi de l’accidentalité des jeunes conducteurs,

8.2 Evaluation de la formation continue par les stages de récupération de points : étude de la faisabilité d’une évaluation des stages en liaison avec le fichier du permis à points (nombre et motifs des nouvelles pertes de points après le stage),

9 Evaluation des liens entre l’accidentalité et les véhicules,

9.1 Amélioration des données statistiques concernant les véhicules impliqués dans des accidents,

9.1.1 Obtention d’un renseignement validé sur les caractéristiques de chaque véhicule impliqué dans un accident. Les multiples échecs des tentatives de documentation sérieuse du CNIT (code national d’identification du type) dans les BAAC justifie d’indiquer le numéro d’immatriculation dans les BAAC et de documenter les données concernant le véhicule à partir du Fichier national des immatriculations qui contient un CNIT exact,

9.1.2 Evaluation par l’ONISR en collaboration avec l’INRETS des risques liés aux différentes caractéristiques des véhicules, pour les occupants de ces véhicules et pour les occupants d’autres véhicules,

9.1.3 Evaluation par les assureurs, dans le cadre de contrats négociés avec les pouvoirs publics, des dommages corporels subis par les occupants d’un véhicule en fonction des caractéristiques de ce véhicule (poids, vitesse maximale, puissance) et éventuellement de celles du ou des véhicules adverses éventuellement impliqués,

10 Evaluation des pratiques concernant la voirie,

10.1 Evaluation de la possibilité de signalement d’anomalies de la voirie par les usagers(site internet, numéro de téléphone ayant été signalé dans les médias locaux et facilement accessible) et des suites données à de tels signalement (défauts de signalisation, vitesses maximales inadaptées, dégradations récentes et dangereuses etc),

10.2 Evaluation de l’existence d’un recensement hiérarchisé des améliorations à apporter à la voirie en concertation entre les DDE, et les différents maîtres d’œuvre des voies concernées (notamment les aménagements ou les signalisations non-conformes),

11 Evaluation des pratiques départementales dans le champ de la sécurité routière,

11.1 Evaluation des plans départementaux de sécurité routière et des plans départementaux de contrôles et de sanctions

11.1.1 Collecte de l’ensemble de ce documents au niveau de l’ONIRS et réalisation d’un premier codage en fonction d’une grille établie par l’ONISR,

11.1.2 Evaluation dans le cadre d’un projet de recherche établi avec l’INRETS des liens entre les caractéristiques des PDSR, des plans départementaux de contrôle et de sanctions et l’évolution de l’accidentalité dans les départements

12 Evaluation des pratiques judicaires dans le domaine de la sécurité routière (certaines d’entre elles ont été intégrées à des évaluations précitées dans ce document),

12.1 Comparaisons entre les différentes décisions prises pour des infractions identiques dans différentes juridictions (analyses statistiques à établir dans le cadre d’une étude associant le ministère de la justice et des organismes de recherche, notamment de l’INRETS),

12.2 Evaluation des délais écoulés entre l’accident et la décision.

13 Evaluation de la qualité des données statistiques produites par les BAAC et utilisées pour produire les bilans de l’insécurité routière

13.1 Evaluation des « oublis » de production des BAAC. La méthode de contrôle est connue, elle passe par la comparaison entre les procédures reçues par transpv et les baac,

13.2 Evaluation de la qualité des identifiants les plus fondamentaux, tant dans les en-tête de PV que dans les BAAC. Les identifiants les plus importants sont la date, le code de l’unité qui a établi le BAAC et le PV, le numéro des PV, la date des faits et la commune de l’accident identifiée par son code INSEE.

13.3 Evaluation de la qualité des décisions de ne pas inclure dans les bilans certains accidents. Les erreurs voire les dérives sont nombreuses et elles concernent l’abus d’interprétation de morts dites médicales ou considérées comme des suicides sans preuves suffisantes, des accidents survenus dans des lieux considérés comme des voies non ouvertes à la circulation publique. La seule façon d’éviter ces erreurs consiste à les documenter (ils doivent être codés dans les BAAC) et à les étudier pour produire des documents précis à l’usage des gendarmes et des policiers.

 

II - Pourquoi faut-il développer une politique d’évaluation dans le domaine de la sécurité routière ?

Cette seconde partie détaille certaines propositions déjà formulées en les intégrant sous la forme d’exemples dans le cadre d’une politique d’évaluation qui a deux justifications, l’une d’opportunité, l’autre de fond.

L’opportunité

L’insécurité routière s’est réduite dans des proportions exceptionnelles depuis le dernier trimestre de l’année 2002. Pour améliorer encore les résultats obtenus, il faut non seulement envisager de nouvelles mesures, mais d’abord améliorer la qualité de l’application des décisions déjà prises. Cette démarche est impossible sans indicateurs quantifiés et pertinents des facteurs de qualité et de non qualité.

Les raisons de fond

L’évaluation des décisions, notamment la qualité des résultats qu’elles produisent, est une condition du progrès, et l’on comprend que sous des dénominations diverses elle se soit imposée dans des entreprises produisant des objets ou des services. Elle a également pris une place majeure dans le monde médical par nature très évolutif, exigeant une adaptation constante des pratiques. Il est impossible d’assurer la qualité des soins, et éventuellement d’échapper à des poursuites devant les juridictions civiles ou pénales sans développer un accord des professionnels sur les bonnes pratiques et une évaluation des résultats obtenus.

L’évaluation des politiques publiques, une séquence de velléités et d’échecs

Le monde politique, au sens le plus large, et l’administration, sont restés en grande partie en dehors du mouvement visant à développer l’évaluation et le contrôle de qualité des pratiques, malgré plusieurs tentatives prenant leur source dans le rapport Deleau (1986) et dans le rapport Viveret (1989). La faible mobilisation des acteurs politiques s’explique principalement par le fait qu’ils sont avant tout des producteurs de décisions s’appliquant à des acteurs extérieurs, notamment des textes législatifs et réglementaires, et non les gestionnaires de ces décisions. L’évaluation se limite alors à la sanction des erreurs dans le cadre de procédures judiciaires, pénales ou administratives, et à l’analyse comptable de la gestion effectuée par la Cour des comptes (qui étend progressivement son regard vers des problèmes de fond, ce qui témoigne de la perception d’un manque). Plus accessoirement, une forme d’évaluation est assurée par les procédures disciplinaires internes, chaque ministère disposant de capacités d’inspection de ses services. Ces procédures n’ont rien à voir avec les méthodes actuelles de l’évaluation qui supposent une adhésion des acteurs à la procédure, et donc une participation active à son élaboration. Il ne faut pas confondre la sanction de l’erreur ou de la faute avec l’amélioration de la qualité des résultats. Je passe sur les évaluations prévues dans la LOLF, elles n’auront à mon avis aucune influence à court terme sur la qualité du service rendu pour des raisons d’organisation et de finalité.

Il faut distinguer une gestion de type pyramidal, fondée sur des décisions venant du haut de la hiérarchie et diffusant vers les acteurs de terrain, d’un système interactif dans lequel les objectifs sont fixés par les décideurs et les méthodes établies en accord avec l’ensemble des acteurs. Un système d’observation pertinent doit être capable de faire remonter périodiquement vers les responsables un ensemble d’indicateurs leur permettant de comprendre comment le système fonctionne. L’évaluation devient alors un processus continu facilitant l’adaptation des actions pour améliorer la qualité des résultats obtenus. La gestion de projets destinés à atteindre des objectifs ne peut être confondue avec la gestion des hommes et de leur carrière. Il y a des interactions entre ces deux procédures complémentaires mais elles ne doivent pas être confondues.

Comment passer de la première phase de la politique de sécurité routière à la seconde ?

Il faut que les actions de terrain soient en accord avec les annonces des décideurs, les lois et les règlements adoptés, et que les gestionnaires disposent d’une information précise sur les pratiques. Le développement d’une évaluation adaptée est la seule méthode qui permettra de supprimer des dysfonctionnements et d’amplifier les bons résultats actuels.

Les bases de l’évaluation

La première étape du processus consiste à identifier les principaux objectifs intermédiaires et à préciser les « bonnes pratiques » à mettre en œuvre pour les atteindre. Des documents doivent circuler et être débattus pour affiner l’accord sur ces comportements optimisés et tenir compte des remarques qui peuvent être faites à tous les niveaux de la hiérarchie afin de les améliorer.

La seconde étape définit les indicateurs qui seront utilisés pour évaluer la qualité de la mise en œuvre. Ils peuvent être très diversifiés, mais doivent répondre à des exigences de simplicité, d’absence d’ambiguïté et de reconnaissance de leur pertinence par tous les acteurs de terrain. Les indicateurs doivent être l’objet d’un contrôle de qualité qui les rend indiscutables. La pire des situations dans le domaine de l’évaluation consiste à retenir des indicateurs complexes et dépourvus de pertinence, qui sont perçus comme un inventaire bureaucratique consommateur de temps et d’énergie. Il ne suffit pas de documenter une donnée quantitative pour avoir un indicateur utile.

Il faut enfin conserver constamment à l’esprit que la responsabilité s’exerce à un niveau géographique donné et que les indicateurs de qualité doivent être collectés au niveau où cette responsabilité s’exerce. Il peut s’agir d’une unité de gendarmerie ou de police (brigade, commissariat), d’un ensemble de ces unités prises en compte au niveau départemental sous l’autorité du préfet, ou de surensembles, par exemple le niveau national pour les activités de la police ou de la gendarmerie.

IL CONVIENT DONC DE MOBILISER LES ACTEURS LOCAUX POUR OBTENIR LA MISE EN PLACE D’INDICATEURS EXPRIMANT A LEUR NIVEAU LA QUALITE DE LA MISE EN ŒUVRE DES MESURES QUI INFLUENCENT LES FACTEURS LES PLUS IMPORTANTS DE L’INSECURITE ROUTIERE

Commentaires sur les principaux domaines dans lesquels l’évaluation quantifiée doit être développée

Les contrôles de l’alcoolémie

L’objectif général de diminuer la proportion d’usagers conduisant sous l’influence d’une alcoolémie supérieure au taux légal est reconnu comme un objectif majeur de sécurité routière, la mortalité liée à l’alcoolisation excessive demeurait supérieure à 2200 tués avant la période d’amélioration récente. Les objectifs intermédiaires consistent à réaliser des contrôles préventifs de qualité, suffisamment adaptés à la réalité du terrain pour être dissuasifs aux bons moments et aux bons endroits, à prévenir les récidives de conduite sous l’influence de l’alcool, particulièrement fréquentes, et à suivre l’application des sanctions, notamment pour dépister la conduite sans permis après une suspension ou une suppression pour conduite sous l’influence de l’alcool.

De nombreuses analyses des pratiques de contrôles préventifs fondés sur les lois de 1978 et de 1990 ont été réalisées. L’une d’entre elles a été publiée dans le livre blanc sur les drogues licites et illicites et la sécurité routière de 1993. Une autre a été réalisée dans le cadre de la commission d’évaluation du système de contrôle et de sanction. Les points importants sont :

les différences dans la pertinence des pratiques. Les accidents avec alcoolémie illicite sont principalement observés la nuit et en fin de semaine (voir l’étude de l’ONISR publiée dans le bilan de l’année 2001 pages 78-86). Il conviendrait de réaliser les contrôles préférentiellement pendant les périodes correspondantes, ce qui n’est pas le cas dans un grand nombre de départements. Cette pratique inadaptée se traduit par une faible proportion de résultats positifs,

la valeur discutable de certaines statistiques d’activité dans le cadre des contrôles préventifs, deux méthodes différentes ont conclu à leur inexactitude dans un proche passé.

Pour évaluer la pertinence des contrôles il convient d’avoir un suivi régulier et fiable des pratiques. L’argument du travail supplémentaire n’est pas justifié, une activité moindre, mais pertinente et bien évaluée, est préférable à une activité visant la quantité et faite dans des conditions qui ne correspondent pas à l’efficacité recherchée. Contrairement à ce qui est souvent avancé, la documentation des pratiques est facile si elle fait appel à des méthodes simples, pertinentes et statistiquement « robustes ». Il ne s’agit pas d’un travail de recherche, mais d’une activité indispensable qui doit faire partie des routines de contrôle.

La « bonne pratique » dans ce domaine peut être exprimée de la façon suivante :

les contrôles doivent être pratiqués de préférence aux jours et aux heures de fortes consommations d’alcool (soirée, nuit et jours de fin de semaine),

les appareils utilisés doivent être les plus précis et sensibles existants (éthylotests électroniques, si des tests chimiques sont encore utilisés cela doit être indiqué dans les dénombrements à usage statistique),

les documents décrivant une procédure de contrôle doivent être précis (jour, heure, endroit, nombre d’usagers contrôlés, types d’infractions en distinguant les contraventions et les délits).

L’évaluation minimale doit donc documenter à chaque niveau de commandement  :

le nombre de tests effectués avec des éthylotests chimiques et avec des éthylotests électroniques,

dans quelles tranches horaires et quels jours de la semaine les contrôles ont été réalisés. Les tranches horaires pourraient être 0h-6h, 6h-12h, 12h-18h et 18h-24h.

les numéros d’immatriculation des véhicules contrôlés et les résultats du test de dépistage, ainsi que le résultat de la mesure par éthylomètre en cas de test positif. Ces précisions sont indispensables, compte tenu des dérives observées dans le nombre de contrôles déclarés, elles ont en outre un intérêt considérable si ces données sont exploitées pour mieux adapter les conditions du contrôle.

La documentation des valeurs d’alcoolémie mesurées avec les éthylomètres, en aval des tests de dépistage positif, est un élément essentiel du contrôle de la qualité des pratiques, la répartition des valeurs caractérisant la qualité du dépistage (la proportion de valeurs entre 0,25 mg/l et 0,39 mg/l rapportée au nombre total de valeurs supérieures à 0,25 mg/l, c’est à dire la proportion de contraventions par rapport à la somme des contraventions et des délits est un bon abord de la notion de sensibilité du dépistage, c’est à dire la proportion de dépistages faussement négatifs).

D’autres évaluations peuvent être développées, par exemple :

quelles suites ont été données aux infractions constatées, notamment en évaluant les mesures de retraits de permis et les conditions de leur restitution.

la fréquence des récidives de conduite sous l’influence de l’alcool pour évaluer le fonctionnement des commissions médicales travaillant dans ce domaine. Quand un usager retrouve la possibilité de conduire après une suspension prolongée ou une suppression de son permis et qu’il est impliqué dans un accident avec alcoolémie élevée peu de temps après, c’est que le bilan de son alcoolisme n’a pas été très exigeant.

la vérification aléatoire du respect d’une suspension ou d’une annulation de permis pour conduite sous l’influence de l’alcool (enquête de voisinage,).

Des comparaisons entre les indicateurs de pathologies alcoolique du département (taux de cirrhoses alcooliques du foie et de cancers des voies aéro-digestives supérieures disponibles sur le site internet de l’inserm ou sur celui des observatoires régionaux de la santé) et les tests de dépistage effectués sur la route. Un département fortement alcoolisé d’après les statistiques de mortalité et qui est bien classé sur le bilan des tests de dépistage est un département où les dépistages ne sont pas effectués lors des périodes de conduite sous l’influence de l’alcool.

Les contrôles de la vitesse

Il est inutile de continuer à documenter un total d’heures de surveillance de la vitesse, elles sont comptabilisées de façons trop différentes, et toute vérification est impossible. Il faut abandonner un indicateur qui n’est pas fiable. Le bilan de l’année 2001 de la sécurité routière en France indique que 746 184 infractions à la vitesse ont été relevées par la Gendarmerie nécessitant 1 295 056 heures de contrôle, alors que les contrôles effectués par la Sécurité publique ont relevé 327 420 infractions avec 294 759 heures de contrôle. Même en intégrant les temps de déplacement, d’installation des appareils de mesure, et de traitement des infractions relevées, ces données sont trop différentes pour avoir un sens.

Il faut se limiter aux infractions relevées, et les classer pour contrôler les tolérances. Les données seraient établies au niveau des unités, avec un premier niveau d’agrégation au niveau des centres de responsabilité dans l’organisation du travail (chaque zone d’agglomération dotée d’une police, et la zone gendarmerie d’un département). Les infractions relevées seraient classées à ces niveaux géographiques. Les contrôles effectués de jour ou de nuit seraient distingués, il est notoire que les contrôles effectués la nuit sont sans commune mesure avec la proportion des accidents observés pendant cette période. 46% des tués le sont dans des accidents de nuit, les renseignements sur la proportion de contrôle des vitesses la nuit sont absents des statistiques, des renseignements officieux font état d’une proportion inférieure à 5% (en dehors du CSA bien entendu). Comme pour l’alcool au volant, le fondement de l’évaluation consiste à privilégier la documentation d’indicateurs pertinents au lieu de se contenter d’indicateurs globaux qui incitent à « faire du chiffre » et sont en outre facilement biaisés s’ils ne sont pas contrôlés.

Cette réforme des pratiques est indispensable pour pouvoir assurer la cohérence avec le contrôle automatisé. Il serait en effet incompréhensible pour l’usager d’être contrôlé avec des tolérances différentes pour le contrôle automatisé et le contrôle traditionnel. Il est également nécessaire pour atteindre un objectif de ralentissement de la vitesse moyenne des véhicules, en redonnant une signification aux limites légales de vitesse par la répression des faibles excès de vitesse. Il faudra prévoir une double pédagogie en accompagnement d’une telle réforme des pratiques ; l’une destinée aux usagers, les avertissant des barèmes retenus et de la date de mise en œuvre de cette application uniforme et normalisée des tolérances sur les vitesses (toujours en dehors du CSA) ; l’autre destinée aux personnels responsables des contrôles. Il est toujours difficile de réformer brutalement des pratiques qui représentent une adaptation progressive à une situation de fait. Il convient en particulier de faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’accroître dans des proportions très importantes le nombre d’infractions qu’ils constateront, mais de rétablir les sanctions pour les excès de vitesse de moins de 20 km/h, notamment lors des contrôles sur le réseau secondaire avec des jumelles eurolaser.

L’évaluation du taux de port de la ceinture et du contrôle de son usage,

Comme toutes les évaluations, elle doit se faire au niveau géographique d’une responsabilité territoriale (circonscription urbaine sous la surveillance de la sécurité publique, ou partie d’un département sous la surveillance de la gendarmerie). Deux types d’évaluation doivent être réalisés :

une évaluation du taux de port (avant, arrière et systèmes de retenue des enfants) avec des méthodes simples mais normalisées. Il est inutile de compter plusieurs milliers de véhicules, les intervalles de confiance utiles sont de quelques %. Quand une ville a un taux de port de la ceinture entre 50 et 70%, ce qui était encore fréquent avant l’augmentation du nombre de points retirés du permis en cas d’infraction, trois heures de travail d’un fonctionnaire en civil permettent de documenter le taux de port avec une précision suffisante. Les tranches horaires et le type de voie doivent être précisés. Le centre ville à la mi-journée, sur des voies perpendiculaires aux axes principaux, permet habituellement d’observer les taux les plus bas. Une fréquence mensuelle peut être envisagée pour les ceintures, et trimestrielle pour l’usage des systèmes de retenue des enfants, documenté par l’observation de zones de récupération des enfants à la sortie des écoles, ou le samedi après midi sur les aires de stationnement de grandes surfaces ou à l’arrivée dans de grandes stations services. Ces valeurs seraient publiées dans la presse locale, et les responsables des forces de police et de gendarmerie fixeraient des objectifs de contrôle pour faire évoluer les résultats observés. Une telle pratique marque la différence entre un dispositif contemplatif formel et une pratique interactive permettant à la hiérarchie de jouer son rôle de commandement en fonction des résultats.

une documentation des infractions relevées distinguant les places avant, arrière et les systèmes de retenue des enfants. Ces données doivent être disponibles en valeur absolue, et sous la forme d’un taux rapporté à la population de la zone concernée.

 

L’évaluation locale permanente du système de contrôle (évaluation de l’application de la circulaire du 18 décembre 2002 du ministre de l’Intérieur visant à supprimer les indulgences abusives )

Cette circulaire d’une qualité et d’une détermination évidente a été accueillie avec un certain scepticisme, probablement lié au fait qu’une telle annonce de la fin de la suppression arbitraire d’infractions constatées, notamment dans le domaine des excès de vitesse, mais également des infractions aux limites d’alcoolémie contraventionnelles (ce qui est moins connu !) a déjà été faite dans le passé, sans modifier ces pratiques. Il convient donc de rendre cette circulaire très précise effective en instituant une forme simplifiée d’évaluation de son application au niveau départemental.

La méthode la plus opérationnelle consisterait à mettre en œuvre une double évaluation des pratiques dans chaque département. Elle serait réalisée par :

un responsable désigné par le préfet ayant en charge l’évaluation des pratiques de contrôle. Son fonctionnement reposerait sur le tirage au sort d’unités effectuant des contrôles, puis le tirage au sort d’un ou de plusieurs jours dans les mois précédents. Le devenir des infractions constatées ces jours là serait précisé. Chaque unité serait tenue de conserver les documents renseignés au moment des contrôles dans des conditions précisées par des instructions.

une évaluation de la partie judiciaire, incluant bien entendu la tâche des policiers qui exercent une activité judiciaire, vérifiant dans quelles conditions des procédures transmises à la structure assurant le traitement judiciaire des infractions constatées ont été classées sans suite. Cette pratique impose que toutes ces décisions soient clairement identifiées, (vérification de la justification argumentée de ce classement et du pouvoir de classement de celui qui a pris la décision, documentation de la proportion d’infractions classées sans suite).

Les résultats de ces deux types de procédures seraient diffusés chaque mois aux services du ministère de l’intérieur ayant en charge le système de contrôle et de sanctions.

L’évaluation des données locales permettant de faire fonctionner correctement le CSA

Le CSA a fait apparaître l’importance de la notion d’équité dans l’acceptation des contrôles. La machine ne pratique pas l’indulgence sélective et l’outil est donc perçu comme efficace et juste. Il faut cependant avoir à l’esprit que de multiples infractions constatées ne peuvent aboutir à l’exécution de la sanction du fait d’une « rupture » de la chaîne pénale. Les automatismes sont particulièrement sensibles à ces ruptures car le passage d’une procédure peu exigeante en temps de travail, du fait de son automatisation, à une procédure manuelle se révèle difficile, voire impossible. Après deux ans de pratique du CSA, les points critiques du système sont bien identifiés. Ils imposent des évaluations suivies au niveau départemental, notamment :

 

Conclusions

En l’absence de toute évolution de la structure du système (limitation de la vitesse des véhicules à la construction, dispositifs de contrôle intégré de la vitesse de type LAVIA, évaluation des risques liés aux infrastructures par un organisme distinct des maîtres d’œuvre et des maîtres d’ouvrage), nous ne pouvons accentuer l’évolution très favorable observée depuis décembre 2002 qu’en agissant sur les comportements. Les responsables de la sécurité routière doivent mettre en place des dispositifs assurant la qualité de l’application des décisions prises.

L’administration n’a pas une culture de l’évaluation et cette dernière est indissociable d’une démarche de recherche de la qualité. Un système fondé sur des instructions venant du haut de la hiérarchie et ne disposant pas d’indicateurs pertinents documentant la réalité du terrain ne peut développer une « démarche qualité ». Cette évidence est à la fois constamment reconnue par ceux qui souhaitent que l’administration développe la qualité du service rendu avec des moyens adaptés, et constamment mise en échec lors des tentatives de passage à l’acte. Il convient de combler cette lacune en mettant en place des méthodes simples mais robustes, assurant l’évaluation des pratiques de terrain destinées à assurer la sécurité routière. L’évaluation est une pratique bien différente de la simple description des résultats, c’est une démarche interactive et vivante mobilisant tous les acteurs sur des objectifs précis. Il est impossible d’évaluer les actions locales concernant le respect des limitations de vitesse, ou du port obligatoire de la ceinture sans avoir des indicateurs locaux du taux de port, en agglomération et hors agglomération. Un tiers des accidents mortels demeurent attribuables à la consommation d’alcool, personne ne peut produire un tableau départemental des contrôles préventifs, distinguant les actions de la gendarmerie de celles de la police, les jours de la semaine et les tranches horaires pendant lesquelles ils sont pratiqués. La démarche d’évaluation est utilisable et indispensable dans tous les domaines du risque routier.