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security feel better

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Comment abuser les conducteurs consommateurs d'alcool et leur faisant croire qu'un produit peut réduire leur alcoolémie dans des proportions très importantes.

L'être humain a du mal à choisir entre consommer de l'alcool et conduire. Il voudrait pouvoir faire les deux, notamment lors de sorties de fin de semaines caractérisées par l'association d'une forte consommation de boissons alcooliques hors du domicile et la nécessité de rentrer chez soi sans avoir toujours eu la prudence de prévoir qui ne boirait pas d'alcool et ramènerait les autres à la maison.

Parfois la cupidité s'associe à l'irresponsabilité pour commercialiser et promouvoir un produit qui aurait la propriété de limiter les dégâts provoqués par l'alcool au volant, qu'il s'agisse de ceux liés au risque d'accident, mais aussi de la perte de points sur le permis de conduire, voire d'annulation de ce dernier. La présentation fin février 2006 du produit "security feel better" commercialisé par la société PPN a été un modèle de désinformation fondée non sur des études scientifiques mais sur un procès verbal d'huissiers manifestement incompétents dans le domaine qu'ils abordaient (étude H.Ridou, Y Kerbriand et Ph Doucet de Nantes). Ce constat était communiqué à des journalistes sans expérience dans le domaine de l'expérimentation et de l'alcoologie qui se méprenaient complètement sur la signification et la qualité de ce constat d'huissier. Ils écrivaient des articles élogieux sur les effets du produit, notamment son aptitude à réduire rapidement le niveau d'alcoolémie, qui étaient ensuite reproduits sur le site internet de la société qui commercialisait le produit. Cette manière d'utiliser les autres pour assurer la promotion de ce produit sans aucune efficacité démontrée sur l'alcoolémie est une méthode particulièrement sournoise de publicité indirecte fondée sur l'incompétence qui va permettre de propager une rumeur particulièrement dangereuse puisqu'elle va inciter des usagers à consommer de l'alcool avant de conduire avec l'illusion de faire baisser leur taux d'alcoolémie en absorbant ce produit. Ils vont alors mettre en danger leur vie et celles des autres usagers de la route.

La notice qui accompagnait le produit avant son interdiction de vente par la DGCCRF était très anodine et particulièrement habile puisqu'elle faisait allusion à des effets subjectifs, le produit facilitait la digestion, notamment de l'alcool, prévenait "la gueule de bois", toutes affirmations non quantifiables par des mesures biologiques et donc incontrôlables. Il était cependant facile de dépister la volonté de promouvoir l'effet sur l'alcoolémie avec plusieurs indications incontestables :

Dans le cadre de cette pratique habile et perverse de recrutement de journalistes qui assureront la promotion du produit avec des affirmations quantifiées, une bulle médiatique va se développer pendant la semaine du 20 au 25 février 2006 à partir d'un article du 20 février 2006 dans le  "Le Figaro"  qui titre : "Une potion "anti-Alcootest" chez Auchan. Le produit fait chuter trois à six fois plus vite le taux d'alcool dans le sang"

L'article qui suit, signé de Jean-François Arnaud doit être reproduit intégralement pour faire comprendre le mécanisme de l'erreur et la nature de la publicité mensongère qui peut ensuite être construite sur un tel article. "Sa recette est entourée d'un secret absolu. Cet élixir en vente chez Auchan, Intermarché, Cora et Super U, résout enfin un problème vieux comme l'humanité : boire sans perdre le contrôle de soi même. Security Feel Better, commercialisé par la PME normande PPN, a le pouvoir de faire chuter trois à six fois plus vite le taux d'alcool dans le sang. Selon un test mené sous contrôle d'huissier, un personne qui après un repas bien arrosé, affichait un taux d'alcool de 1,16 gramme dans le sang n'accusait plus que 0,48 gramme quarante cinq minutes après voir pris sa dose de Security. Elle pouvait sans crainte reprendre le volant de sa voiture. Le produit ne masque pas l'alcool mais accélère sa destruction par l'organisme en agissant directement sur le foie. Chacun devrait se réjouir d'une telle invention, en premier lieu les viticulteurs français constamment accusés de causer des morts sur la route. Pourtant, la Direction de la répression des fraudes n'a pas ménagé ses efforts pour faire interdire ce produit, avant d'être débouté par le tribunal d'Evreux en 2000. Il n'y a ni tromperie ni publicité mensongère selon les juges. En attendant le produit miracle a fait un malheur en Corée du Sud ou PPN expédie des bidons de concentré embouteillés sur place. Il devrait s'en vendre un million de bouteilles cette année".

A la suite de cette publication, l'information est reprise dans de nombreux médias parlés, écrits ou à la télévision, cette médiatisation se développe rapidement, le plus souvent sans le moindre esprit critique, sans vérification des sources, notamment sans analyse du "contrôle d'huissier" qui aurait du attirer l'attention. Les progrès scientifiques sont habituellement confirmés par des articles dans des revues avec comité de lecture et non par des huissiers. Les auteurs faisaient notamment référence à des publications antérieures, parfois anciennes, amplifiant le mécanisme auto-alimenté de la publicité indirecte.

Après l'article du Figaro, nous sommes un certain nombre à réagir sur des radios qui nous ont sollicité et à indiquer qu'il s'agissait d'une escroquerie, aucune étude scientifique n'ayant prouvé une capacité de faire diminuer de trois à six fois plus vite le taux d'alcoolémie. Le 21 février, Le Figaro indique que la direction d'Auchan a décidé de retirer le produit de ses rayons. Il était également dit que "la Direction de la répression des fraudes a décidé hier de relancer une enquête sur ce produit. Le TGI d'Evreux a déjà débouté la DGCCRF pour une telle demande"

Le jeudi 23 je suis invité à l'émission de Valérie Expert sur LCI avec Jean-François Arnaud le journaliste du Figaro. Le producteur de "Security feel better" est au téléphone et sa défense sera très pauvre. Aucune preuve scientifique de l'efficacité du produit, seulement des manifestations de satisfaction de consommateurs et des reprises d'avis de journalistes qui n'apportent aucune preuve de leurs affirmations.

Le mécanisme de l'imposture est simple. Les huissiers (voir le constat) ont constaté un taux d'alcoolémie mesuré par un laboratoire de biologie plusieurs heures après le début d'un repas très alcoolisé, le poids des personnes et la quantité d'alcool ingérée étant mesurés. Une formule de calcul établie par Widmark en 1930, exacte dans son principe, mais totalement inappropriée dans ce contexte puisqu'elle permet d'estimer l'alcoolémie maximale provoquée par l'absorption d'alcool en une seule fois et à jeun, a été utilisée pour indiquer quel aurait du être le taux  d'alcoolémie de ces personnes. La comparaison des deux valeurs fait apparaître une "réduction" très importante du taux mesuré par rapport au taux calculé. La différence s'explique facilement par le fait que l'alcool a été absorbé au cours d'un repas, ce qui produit des valeurs toujours plus faibles que si l'alcool est ingéré à jeun et par le choix de pratiquer la prise de sang plus de 3 heures après le début de l'absorption, ce qui permet d'attendre la diminution normale de l'alcoolémie (0,15 gramme par litre et par heure en moyenne) en phase d'élimination de l'alcool. Le taux d'alcoolémie mesuré par le laboratoire sous contrôle d'huissiers était celui qui aurait été observé dans de telles conditions, sans avoir besoin de consommer ce produit.

Je reproduis ci-dessous un graphique publié à la suite d'essais expérimentaux d'alcoolisation avec l'estomac vide et avec un repas (AW Jones - Journal of forensic sciences - janv 1993 pages 104-118). Les deux courbes mettent bien en évidence les différences des niveaux d'alcoolémie en fonction de l'alimentation associée. A jeun l'alcoolémie monte plus rapidement et à un niveau plus élevé. Avec une alimentation le maximum est moins élevé et plus tardif. J'ai ajouté trois indications sur cette reproduction, le point rouge sur la courbe de l'alcoolémie à jeun est le résultat du calcul de l'alcoolémie maximale pour le poids et la quantité d'alcool absorbée par l'un des sujets observés dans la pseudo-expérimentation des huissiers de justice. L'indication en bleu est le moment de la prise du produit "Security feel better" et le second point rouge sur la courbe descendante de l'alcoolémie après un repas est au niveau de l'alcoolémie mesurée par les huissiers plus de trois heures après le début du repas. Dans le procès-verbal les valeurs étaient de 1,16 g/l pour le taux calculé et 0,48 g/l pour le taux mesuré. La quantité d'alcool absorbé par le sujet était proche de 0,8 gramme d'alcool par kilo de poids.

graphique security feel

 La vente de ce produit a été interdite par la Direction de la répression des fraudes le 25 février 2006. Par la suite deux décisions judiciaires sont intervenues, l'une relaxant le journaliste du Figaro Jean François Arnaud qui avait été "désinformé" par des commerciaux de la firme et qui avait relaté ce qu'on lui avait dit, l'autre autorisant la remise en vente du produit, ce qui n'est pas surprenant, l'anomalie n'était pas de vendre un jus de légumes dépourvu de danger mais de prétendre qu'il réduisait l'alcoolémie en s'appuyant sur un constat d'huissier qui est un modèle de désinformation.