novembre 2000
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Liste des éditoriaux
Commentaires à propos de la réunion du comité interministériel de sécurité
routière du 25/10/2000
Le troisième comité interministériel du gouvernement de Lionel Jospin s'est
tenu le 25 octobre 2000. Le communiqué
publié
à la suite de ce comité est accessible sur ce site. Les communiqués publiés lors
des deux précédents comités (novembre 1997
et
avril 1999) sont également accessibles
dans leur intégralité. Les liens qui ont été établis dans ce commentaire
permettent d'avoir accès à la partie du communiqué gouvernemental traitant du
point particulier abordé.
L'impression générale
Elle est à la fois sérieuse et décevante. Sérieuse parce que le texte ne
contient pas d'engagement dépourvu de fondement comme en 1997 (objectif de
réduction de 50% de la mortalité avant la fin de 2002), décevante parce que les
mesures sont souvent timides, ébauchées, comme si le gouvernement était encore
en retard sur l'opinion publique et n'osait pas développer complètement une
politique cohérente. A l'évidence c'est un projet qui ne va pas faire beaucoup
de vagues, il est tout à fait incapable de faire évoluer significativement à
court terme la mortalité sur les routes.
Ce qu'il y a de meilleur (avec quelques remarques critiques)
- l'annonce d'une politique de
réduction des risques provoqués par les obstacles latéraux. Il est connu
que les obstacles latéraux situés à une faible distance de la chaussée sont
un facteur majeur d'aggravation des conséquences des sorties de route, qu'il
s'agisse d'arbres, de poteaux ou d'autres obstacles verticaux mal ou non
protégés. Certains ont voulu faire de ce problème un facteur de conflit
entre les protecteurs de l'environnement qui veulent conserver les arbres,
et ceux qui privilégient la sécurité et souhaitent les supprimer, c'est une
erreur. Il est possible de replanter des arbres au delà d'un fossé
protecteur, et la dévastation de certains alignements par la tempête en
décembre 1999 a créé une opportunité pour procéder à ces replantations tout
à la fois sécuritaires et esthétiques.
- la création d'un
conseil national de la sécurité routière conseil national de la sécurité
routière doté d'un conseil scientifique. Il était anormal que l'insécurité
routière, première cause de mortalité des jeunes adultes, ne soit pas doté
d'un organisme indépendant capable à la fois de bénéficier de compétences
réunies dans un conseil scientifique et de donner des avis fondés sur les
réalités observées. Doter une telle structure de moyens financiers était une
nécessité, sans cela elle n'aurait aucun pouvoir d'investigation et
limiterait son rôle à des réunions périodiques sans suite. On peut regretter
l'annonce de son installation courant 2001, si cette structure tarde à se
mettre en place, ses effets seront retardés d'autant. Si les fonds prévus
sont disponibles en 2001, c'est au début de l'année qu'il faut la mettre en
place. Il est important d'avoir dissocié le conseil national et son conseil
scientifique, leurs rôles sont distincts, même si des réunions communes
fréquentes seront indispensables. La composition des deux organismes
permettra immédiatement de connaître les intentions du gouvernement, il peut
en faire une structure qui aura un réel pouvoir par sa capacité de mobiliser
l'opinion publique et d'exercer des pressions fortes sur les décideur, ou
lui donner le profil d'un organisme complaisant, où les "sécuritaires"
seront minoritaires. Il faudra être attentif à la coordination entre
l'Observatoire National Interministériel de Sécurité Routière et cette
nouvelle structure.
- le renforcement du
système de contrôle et de sanctions. Des effectifs supplémentaires
seront consacrés aux tâches de sécurité routière, ainsi que des moyens
matériels. Il faut cependant réaliser que les capacités de formation de ces
nouveaux personnels sont actuellement insuffisantes, notamment pour les
personnels dépendant de la police nationale. recruter des adjoints de
sécurité est une chose, les affecter à des tâches de sécurité routière
implique une formation initiale de qualité. Un des points qui fait l'objet
de critiques unanimes parmi les observateurs du système de contrôle et de
sanctions est son hétérogénéité. Entre les policiers et les gendarmes
locaux, renforcés par des adjoints de sécurité dans ce projet, les polices
urbaines dont on nous dit qu'elles vont être plus associées que dans le
passé à ces fonctions, les pelotons spécialisés de police et de gendarmerie,
les compagnies de CRS, on ne voit pas se réaliser une police de la route
dont le commandement serait unifié au niveau départemental, capable de
concentrer les moyens matériels et d'atteindre un niveau de dissuasion à la
mesure de son expérience et de ses capacités d'action. Certaines indications
témoignent de la lenteur de l'adaptation des méthodes et des moyens.
Quand on lit que la gendarmerie va acquérir 340 véhicules automobiles et
1930 motocyclettes, on se rend compte qu'il y a encore une révolution des
esprits à accomplir. L'évolution doit se faire vers l'équipement en voitures
travaillant dans le flux de circulation, avec des moyens de mesure embarqués
et une électronique moderne capable de faciliter les collectes de données et
leur transmission. C'est le confort des opérateurs qui les rend
opérationnels et attirés par une spécialisation insuffisamment valorisée à
l'heure actuelle. La tradition de la moto à tout faire n'est plus adaptée à
la situation. Elle complique les recrutements et peut même avoir des effets
non désirés, l'intérêt pour la moto introduisant souvent dans le système de
contrôle et de sanctions des personnels peu motivés pour lutter contre les
vitesses illicites.
Le plus discutable ou insupportable
- la possibilité de retrait immédiat du permis en cas d'excès
de vitesse dépassant 40 km/h. Il y a là un curieux attrait pour les
sanctions spectaculaires concernant des infractions qui sont graves mais
relativement rares. Il faut savoir que les infractions à la vitesse sont
déjà réduites de 6 à 10 km/h suivant un barème tout à fait officiel et
cependant abusif car il produit un cumul de tolérances qui supprime la
valeur de la règle. En ville cela signifie que 50+40+6 = 96 km/h ! En
épidémiologie on sait que les gros bataillons de personnes qui courent un
risque modéré font finalement plus de morts que la faible proportion de ceux
qui courent un risque très élevé. Le problème de la France en matière
d'excès de vitesse est que les règles ont perdu toute crédibilité, au point
que les policiers et les gendarmes fixent leur seuil d'intervention à des
niveaux qui défient le bon sens. Une telle mesure contribue à accréditer
l'idée que c'est le 100 km/h en ville qui est le comportement répréhensible
et que rouler à 75 km/h ne pose pas de problème puisque l'on n'est pas
sanctionné.
- l'annonce que "la France s'engage pour le limiteur de vitesse" est une
forme de provocation quand on sait que ce limiteur sera utilisé seulement si
le conducteur le souhaite, et que la France a renoncé à son projet
d'équipement des véhicules avec un limiteur de vitesse interdisant de
dépasser 140 km/h, couplé à un enregistreur. (ce dossier des
limiteurs de vitesse est sur le site). Nous voulons limiter les
émissions de dioxyde de carbone pour respecter nos engagements (accords de
Kyoto), nous souhaitons également améliorer la sécurité routière, mais nous
laissons dériver la vitesse maximale des véhicules (dossier
d'octobre 2000 sur l'offre des véhicules français et allemands au mondial de
l'automobile). L'incohérence est totale, ce dossier provoquera un jour
le procès des responsables qui ont laissé ce risque bien caractérisé se
développer, "par négligence et imprudence" pour reprendre les termes du code
pénal sur les délits non intentionnels. Il n'est pas sérieux d'avoir
l'attitude sécuritaire extrême dans la gestion du dossier des vaches folles
et de conserver une passivité aussi coupable sur le dossier des voitures
inutilement rapides et dangereuses (voir le dossier sur le
dommage corporel chez des tiers en fonction de la puissance des véhicules).
- compter sur l'éducation pour réduire les accidents de cyclomoteurs alors
que le premier facteur de risque contre lequel il faudrait lutter est le
débridage des moteurs, pratiqué avec une impunité totale par les vendeurs.
Un des moyens de lutte contre ce contournement de la loi était
l'immatriculation qui permet l'identification de ces cyclomoteurs roulant
entre 60 et 80 km/h. Les deux précédents comités interministériels avaient
indiqué l'adoption de cette mesure, celui d'octobre 2000 n'en parle plus et
elle n'est toujours pas appliquée.
Le plus hypothétique
C'est l'espoir que le programme d'éducation
et de formation longuement développé dans ce communiqué va construire une
nouvelle génération qui n'aura pas le comportement de ses parents. On peut
rêver, mais il n'y a pas d'éducation sans exemplarité. Si les comportements
déviants actuels continuent d'être tolérés, les enfants les reproduiront.
Les vélléités d'action
Dans deux départements, les procureurs vont
"inciter"
les conducteurs ayant commis des infractions dans le domaine du respect des
vitesses limites et de l'alcoolémie à s'équiper respectivement d'enregistreurs
de vitesse (boîtes noires) et de dispositifs empêchant de démarrer si
l'alcoolémie est élevée (il faut souffler dans un éthylotest relié au
démarreur). Si l'on voulait agir sérieusement on ne se contenterait pas
d'inciter, on permettrait au juge de faire de ces mesures des peines
complémentaires et elles seraient rapidement généralisées. C'est une solution de
facilité de prendre des mesures non réglementées dans deux départements, ce qui
permettra de dire dans deux ans que l'on est incapable d'évaluer les résultats
du programme, les personnes concernées étant en nombre insuffisant et le
dispositif d'évaluation impossible à mettre en oeuvre compte tenu des biais de
recrutement liés à "l'incitation". Il faut par ailleurs indiquer que
l'efficacité de ces dispositifs a déjà été évaluée dans d'autres pays.
Ce qui fait défaut
- Pas d'action pour supprimer la pratique des "indulgences" qui achève de
rendre inefficace un système de contrôles et de sanctions déjà rendu peu
performant par les "tolérances" sur le respect des règles concernant la
vitesse.
- pas d'action sérieuse pour assurer l'adéquation entre l'outil et la
réglementation. Il est illusoire d'espérer faire respecter les règles
concernant la vitesse dans un pays qui autorise la mise en circulation de
véhicules conçus pour transgresser ces règles et qui ne dispose pas d'un
système de contrôle et de sanction crédible.
- des nouvelles de la mise en oeuvre de la loi de juin 1999 qui instituait
la recherche de stupéfiants chez les conducteurs impliqués dans un accident
mortel. Le CISR de 1999 indiquait :"Les procédures de
dépistage et d’analyse et de restitution des résultats seront fixées avant
la fin du mois de juin 1999". Encore faudrait-il que le décret d'application
sorte un jour !
Conclusions
Le début de l'année 2000 confirmait la stagnation de l'insécurité routière en
France à un niveau élevé, anéantissant tout espoir de voir le gouvernement tenir
ses engagements d'une réduction de la mortalité de 50% avant la fin de 2002.
Plusieurs week ends successifs de trois jours ont provoqué, par un mécanisme
artificiel, (le décompte des tués sur une période plus longue) de mauvais bilans
apparents alors que la situation était désespérément stationnaire. Un mouvement
de réaction s'est développé dans les médias et dans l'opinion, provoquant un
renforcement des contrôles. Cet ensemble de faits a amélioré le bilan des mois
suivants. Nous sommes trop habitués à ces fluctuations transitoires pour qu'il
soit possible d'anticiper la poursuite de cette légère amélioration, il faudra
probablement un semestre pour savoir si cette tendance se confirme. Le comité
interministériel qui vient de se tenir ne me semble pas avoir produit des
décisions à la hauteur des enjeux, un exemple, les constructeurs consacrent à la
seule publicité de leurs modèles des sommes très supérieures (environ cinq
milliards) à celles qui vont être débloquées pour améliorer le système de
contrôle et de sanctions. Nous prenons des décisions, nous établissons des
règles mais nous ne savons pas encore placer leur crédibilité au niveau atteint
dans des pays proches de nous ou aux Etats-Unis. La France demeurera dans les
années à venir un pays d'insécurité routière.
Claude Got le 27 octobre 2000.