libération - 13 janvier 1999

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Texte paru dans « Libération » le 13 Janvier 1999

La sécurité routière commence l’année avec la gueule de bois. C’était prévisible. Le livre blanc de sécurité routière date de 1988, ce fut la dernière approche globale de la maîtrise du risque routier, contribuant à la limitation à 50 km/h de la vitesse en ville et à l’instauration du permis à points. Depuis rien de consistant. Le Président de la république nous a rappelé dans ses vœux que « la sécurité était la première des libertés », mais il avait refusé en 1995 de renoncer à l’amnistie qui fait traditionnellement quelques centaines de morts sur les routes de notre pays, les conducteurs anticipant cette pratique par un moindre respect des règles. Le Parlement vote plus vite la réintroduction législative de la vente d’alcool dans les stades que la loi pourtant très édulcorée sur le délit de grand excès de vitesse et le contrôle de la conduite sous l’influence de drogues illicites, en chantier depuis trois ans ! Le Premier ministre a présidé en 1997 le dernier comité interministériel pour la sécurité routière qui a indiqué un objectif «ambitieux » de réduction de 50% en 5 ans de la mortalité sur les routes, un an plus tard l’augmentation est de quatre pour cent et l’on voit mal comment un objectif de ce type pourrait être atteint sans que l’on s’en donne les moyens.

Les explications sont connues et multiples. La lutte contre le terrorisme et la violence dans les zones d’exclusion mobilisent policiers et gendarmes. La première cause de mort des adolescents et des jeunes adultes apparaît comme une urgence de second plan, alors qu’il est beaucoup plus facile de prévenir la violence routière que les autres formes de violence. Pour entrer dans le club des pays qui respectent les droits de l’homme sur les routes avec des taux de mortalité sur les routes deux fois inférieurs aux nôtres (Suède, Grande Bretagne et Pays-Bas, et nous donner les moyens de l’annonce gouvernementale de 1997, il faudrait :

des outils en accord avec la réglementation, cesser de produire des véhicules qui peuvent rouler à 200 à l’heure alors que la vitesse maximale sur autoroute est de 130, équiper les voitures d’enregistreurs de vitesse qui sont au point et dont le coût s’est réduit et utiliser les méthodes incontournables de contrôle de la vitesse, par exemple l’usage des tickets de péage sur autoroute pour contrôler les vitesses moyennes, comme le proposait le rapport de 1988. Si une population respecte les règles, par civisme ou du fait de la qualité du système de sanctions, on peut avoir des voitures dont les performances sont en contradiction avec les vitesses imposées, dans le sud de l’Europe cela ne marche pas,

améliorer le système de contrôle/sanction fonctionne. Le contrôle de la conduite sous l’influence de l’alcool est une caricature de ce qu’il faudrait faire. Les éthylomètres qui donnent la preuve légale de l'imprégnation alcoolique ont été progressivement mis en place dans les unités de police et de gendarmerie, mais les éthylotests électroniques mobiles qui permettent de faire le dépistage au bord des routes n’ont pas été l’objet d’une politique d’équipement permettant à tous les policiers et les gendarmes de les utiliser. Les ballons sont toujours majoritairement utilisés et ils laissent passer plus d’un résultat faussement négatif sur deux. Plus grave, l’étude des contrôles préventifs faits au hasard) a montré l’incohérence de leur réalisation. De rares régions (la Bretagne par exemple) ont planifié ces contrôles dans le cadre d’une politique pénale, mais, dans la plupart des départements, les heures et les jours de contrôle sont inadaptés et la faible proportion de résultats positifs témoigne de cette mise en œuvre symbolique de la loi. Le contrôle de la vitesse est à un niveau de qualité identique, la pratique de marges de tolérance qui transforme en fiction les limites de 50, 90 et 130 associée à un niveau « d’indulgence » parfaitement documenté par les études du CESDIP instituant une situation de non droit à géométrie variable. Là encore, les propositions du rapport de 1988 demandant la généralisation de l’implantation au niveau départemental d’une police routière autonome, dotée de moyens suffisants, et insensible aux bonnes relations qui s’installent inévitablement au niveau local n’ont pas été retenues. Les insuffisances de moyens sont identiques du côté de la justice, malgré une dépénalisation progressive de multiples infractions. La délinquance de masse ne peut être traitée que par des méthodes très automatisées et c’était bien le but du permis à points. C’est la répétition des infractions qui doit provoquer automatiquement les sanctions et c’est l’exigence de cette répétition qui est la meilleure garantie pour le justiciable. Un système purement administratif et automatisé, sans tolérance et sans indulgence, avec des sanctions initialement faibles mais progressives avec le niveau de récidive, serait beaucoup plus équitable et efficace que le système actuel,

l’infrastructure doit imposer par sa conception la vitesse acceptable localement. Le rapport de 1988 avait proposé une normalisation des infrastructures et leur expertise par un organisme extérieur aux multiples décideurs locaux qui contribuent à rendre la voirie confuse, illisible par son hétérogénéité. Il a fallu 20 ans pour faire comprendre que les ronds points divisaient par plus de deux le risque d’accident en carrefour et nous voyons encore des aménagements d’intersection d’un autre âge. Ce n’est pas une mise en question des ingénieurs des ponts que de leur demander de définir leurs « références routières», c’est au contraire leur faire exprimer le meilleur de leurs connaissances. La définition des bonnes pratiques et l’évaluation de leur mise en œuvre sont les clés de la qualité, en médecine comme sur la route,

nous devons enfin développer les indicateurs de gestion de la sécurité routière qui nous font défaut. Chaque facteur de sécurité ou d’insécurité soit évalué au niveau géographique pertinent comme un indicateur d’efficacité. Chaque communauté urbaine, chaque département dans sa partie gérée par la gendarmerie, doit pouvoir indiquer le taux de port de la ceinture de sécurité et du casque, les proportions de vitesses illicites, les résultats des contrôles d’alcoolémie. La proportion d’infractions constatées n’aboutissant à aucune sanction doit être précisée dans chaque juridiction par une commission associant un juge, un représentant du préfet, un gendarme et un policier.

Je reviens aux vœux du Président : « Aux responsables publics vous demandez d’abord du courage, le courage de dire, le courage de faire, le courage de changer et d’assumer. Nous avons tout à gagner à poser franchement les problèmes ». Certes, certes … mais la difficulté est d’avoir le courage de ne pas dire ce que l’on ne fera pas !