conduite et alcool

Accueil | Table des matières | Remonter

Parmi les innombrables textes consacrés à la conduite sous l'influence de l'alcool, certains ont un intérêt historique et permettent de comprendre la progressivité du passage de la connaissance scientifique à la gestion administrative et politique d'un problème de sécurité routière.

Les recherches effectuées par l'auteur de ce site dans le domaine de l'alcool sont accessibles dans les documents suivants :

Une vision actualisée du problème est donnée par les textes suivants :

Alcool et accidents de la circulation
Claude Got

Texte publié dans la revue Alcoologie et Addiction en 2006

Résumé :

Malgré l’ancienneté des recherches qui ont établi le risque d’être impliqué dans un accident de la circulation du fait de l’alcool, le problème demeure d’actualité car la proportion d’accidents mortels impliquant ce mécanisme demeure très stable en France, entre 30 et 32%. Cette mise au point reprend les éléments de la connaissance des risques relatifs d’accidents en fonction de l’alcoolémie, en utilisant les données de l’étude sur les stupéfiants et l’alcool dans les accidents mortels, conduite de 2001 à 2003 et les résultats de l’exploitation des bulletins d’analyse d’accidents corporels par l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), le Service d’exploitation des routes et autoroutes (SETRA) et l’institut national de recherche et d’études sur les transports et leur sécurité (INRETS). Les données épidémiologiques les plus intéressantes pour la conduite de la politique publique concernent l’effet des faibles niveaux d’alcoolisation et l’importance des facteurs associés aux accidents avec alcoolisation illicite. Si la proportion d’accidents graves liés à l’alcool demeure stable, leur nombre diminue comme la mortalité globale par accident, posant la question de l’interaction entre l’alcool et la vitesse de circulation, la réduction de cette dernière étant le fait majeur observé au cours des quatre dernières années.

Mots clés :

alcool, accidents, accidents de la circulation, odds ratio, fraction attribuable 

L’actualité du problème

Le rôle de l’alcool comme facteur causal d’accidents de la route est si bien documenté et admis qu’il semble inutile de résumer l’ensemble des connaissances acquises depuis le travail réalisé aux Etats-Unis par Borkenstein en 1962. La qualité méthodologique de cette recherche, la netteté de la relation entre le niveau d’alcoolisation et le niveau de risque semblaient avoir satisfait pour longtemps le besoin des décideurs et des gestionnaires dans ce domaine particulier de l’insécurité routière. Il est cependant indispensable de poursuivre les recherches épidémiologiques concernant l’alcoolisation des usagers de la route et ses conséquences pour au moins trois raisons :

- connaître le niveau de risque d’être impliqué dans un accident en fonction de l’imprégnation alcoolique permet de fonder une politique publique, mais il faut ensuite documenter périodiquement la situation réelle sur le terrain pour connaître l’évolution de la mortalité attribuable à l’alcool sur les routes dans un pays donné, dans le temps et dans l’espace. Le niveau régional ou départemental est particulièrement intéressant pour la France qui a toujours présenté des variations géographiques importantes de la conduite sous l’influence de l’alcool.

- la connaissance du niveau de risque doit faire la part des facteurs associés qui peuvent le modifier dans des proportions considérables. Les évaluations globales doivent être complétées par l’analyse du risque en fonction non seulement des différences qui peuvent exister entre les conducteurs suivant leur sexe, leur âge ou leur expérience, mais également en fonction de l’infrastructure et des caractéristiques du véhicule utilisé, nos lacunes sont encore considérables dans ces derniers domaines. Un accident est toujours le produit d’interactions entre des usagers, des véhicules et des infrastructures, même quand le facteur initial ne concerne en apparence que l’une des trois composantes du système.

- une politique doit être évaluée et l’action dissuasive des réglementations en fonction de leur application sur le terrain peut varier dans des proportions importantes. Nous avons là encore des lacunes majeures à combler. La suppression du Conseil National de l’évaluation en 2002 a été une erreur grave, décidée sans le moindre débat public. La dernière procédure réalisée dans le cadre du décret du 18 novembre 1998 qui avait amélioré les dispositions du décret de 1990 sur l’évaluation des politiques publiques a porté sur le système de contrôle et de sanctions des délits routiers. Elle avait mis en évidence les lacunes et l’absence d’équité du dispositif et ouvert la voie aux contrôles automatisés. Une nouvelle politique de sécurité routière a été mise en œuvre depuis 2002 avec des résultats exceptionnels (36% de réduction de la mortalité entre mai 2002 et mai 2006). La diminution constatée du nombre d’accidents avec l’un des usagers sous l’influence de l’alcool est proche de la réduction de la mortalité accidentelle globale, mais nous sommes actuellement dans l’incapacité d’interpréter ce résultat avec certitude. Il semble que la réduction des vitesses de circulation a modifié le risque d’avoir un accident pour un niveau d’alcoolisation donné et que ce facteur a été plus important que la réduction de l’exposition au risque de la conduite sous l’influence de l’alcool.

L’évolution des connaissances au niveau international.

Comme pour tous les facteurs de risque routier, les études de prévalence indiquant le nombre ou la proportion d’accidents, avec l’un des impliqués sous l’influence de l’alcool, ne permettent pas d’affirmer que ce facteur a joué un rôle causal dans l’accident. Il est indispensable de réaliser des études comparant la population accidentée à une population représentative de l’exposition au risque d’accident. J’ai rappelé que le point de départ indiscutable de la connaissance du risque lié à la conduite sous l’influence de l’alcool est l’étude de Borkenstein réalisée à Grand Rapids dans le Michigan (1). Elle a porté sur 9353 conducteurs accidentés, le protocole comportait la recherche du niveau d’alcoolisation d’une population témoin de 8008 conducteurs passant aux endroits où les accidents avaient été observés, à la même heure et aux mêmes jours de la semaine. Le niveau d’alcoolisation a été mesuré chez les accidentés et chez les témoins. Pour les accidents avec blessures graves ou mortelles, 16,3% des conducteurs avaient 0,50 g/l d’alcool dans le sang ou plus, 78% avaient une alcoolémie nulle, alors que seulement 3,4% avaient une alcoolémie dépassant 0,50 g/l dans le groupe témoin et 88.9% une alcoolémie nulle. Le calcul du risque relatif approché (odds ratio) indiquait que le risque d’être impliqué dans un accident grave ou mortel quand on a une alcoolémie égale ou supérieure à 0,50 g/l était multiplié par 5,46 par rapport à un conducteur dont l’alcoolémie est inférieure à 0,10 g/l.

Ce calcul avait également été fait en distinguant des classes d’alcoolémie, ce qui permettait de mettre en évidence une croissance rapide du risque avec le niveau d’alcoolisation. La relation « dose effet » est un des arguments importants pour affirmer que le lien unissant les deux variables est de nature causale. Plusieurs études analogues à celle de Borkenstein ont produit des résultats confirmant cette relation, mais avec des valeurs différentes suivant les lieux et le type d’accident retenu. Si l’on veut évaluer le risque pour les seuls accidents mortels, il est possible d’utiliser l’ensemble des accidents observés au niveau national et de comparer les résultats une étude de cas témoins représentatifs de la circulation (types de voies, heures et jours de la semaine). J’avais utilisé cette méthode pour les accidents mortels observés en 1977, le groupe témoin provenant des études hors accident de l’ONSER (organisme national de sécurité routière, qui a été le prédécesseur de l’INRETS). Pour les responsables présumés d’accidents mortels qui n’avaient pu avoir un éthylotest mais pour lesquels nous disposions d’un résultat d’alcoolémie, le risque relatif approché était de 2,5 pour la classe 0,4/0,79 g/l par rapport aux accidentés dont l’alcoolémie était inférieure à 0,4 g/l, de 8,6 si l’alcoolémie était entre 0,8 g/l et 1,19, puis de 46 entre 1,20 g/l et 1,99, et enfin de 141 au-delà de 2 g/l. La précision de cette dernière valeur est faible étant donnée la rareté de telles alcoolémies dans l’étude de l’ONSER (environ 5 pour 1000 automobilistes témoins non accidentés) mais l’ordre de grandeur peut être retenu.

Les variations du risque relatif entre les différentes études mettaient en évidence l’importance du contexte, concernant non seulement le type d’accident et d’usager concerné, mais également les modalités de recherche de l’alcoolisation. Un accident mortel avec prise de sang du fait de l’impossibilité de tester le conducteur par éthylotest est fréquement un accident avec un seul impliqué ayant perdu le contrôle de son véhicule. L’alcool est souvent l’agent causal de ce type d’accident. Les typologies des accidents liés à l’alcool ne sont pas identiques à celles observées dans les accidents « sans alcool ».

Depuis cette étude fondatrice, d’innombrables publications ont développé la connaissance des modifications du comportement et de l’accidentalité routière liée à l’alcool. Marie Berthe Biecheler les a résumées dans un rapport demandé par le Conseil National de Sécurité Routière et accessible sur le site gouvernemental www.securite-routiere.gouv.fr. (2) - Parmi les publications américaines les plus récentes concernant l’étude expérimentale des modifications du comportement, elle retenait l’analyse de la littérature réalisée en avril 2000 par Moskowitz et Fiorentino (3), concernant l’effet sur la conduite des faibles niveaux d’alcoolémie. Les catégories de réponses comportementales étaient légèrement différentes et paraissaient plus pertinentes que celles disponibles lors de la précédente revue de Moskowitz et Robinson faite en 1988. Cent douze articles publiés entre 1981 et 1997 ont été classés selon l’alcoolémie et le type de comportement modifié (attention partagée, somnolence, vigilance, tâches de poursuite, perception, fonctions visuelles, tâches cognitives, performances psychomotrices et temps de réaction).

Deux analyses ont été menées :

Les conclusions étaient que :

Parmi les nouvelles études épidémiologiques qui sont venues actualiser les courbes de risque, notamment pour les faibles niveaux d’alcoolémies, le rapport au CNSR a retenu celle réalisée en 2000 par Zador et al (4). Elle assure une vision assez complète de la relation entre niveaux d’alcoolémie et risque d’accident mortel, y compris aux plus bas niveaux d’alcoolémie. Les auteurs réexaminent en les affinant les estimations du risque relatif d’implication dans un accident mortel comme une fonction de l’alcoolémie en utilisant très systématiquement des données récentes (fin 90) ; les courbes de risque sont établies en fonction de l’âge et du sexe.

Le risque relatif d’implication dans un accident mortel est estimé (à l’aide d’une régression logistique) comme une fonction de l’alcoolémie des conducteurs mortellement blessés ou survivants. Les données d’accidents 1995-1996 du FARS (Fatality Analysis Reporting System) sont comparées aux données de l’enquête nationale sur route NRS (National Roadside Survey) de 1996. Les données se rapportent aux nuits de vendredi et samedi de 10 heures du soir à 3 heures du matin.

Le groupe témoin des conducteurs sur route (enquête 1996) comprend 5820 conducteurs interviewés les nuits de week-end ; le groupe des accidentés (fichier national années 1995-1996) est constitué des conducteurs accidentés les nuits de week-end : soit 2 552 tués dans les accidents à un véhicule (la taille de la sous-population n’est pas précisée pour les conducteurs impliqués dans d’autres types d’accidents).

Le risque relatif est estimé pour :

Les résultats confirment en les actualisant certains résultats antérieurs, mais apportent aussi des résultats complémentaires intéressants. On y constate tout d’abord que même parmi les conducteurs sobres (alcoolémie = 0) les risques sont différenciés : le surrisque des jeunes hommes de 16 à 20 ans existe bien indépendamment de l’alcool (1,75 pour le conducteur tué dans un accident à un seul impliqué, 1,18 pour la conductrice) et contraste avec le sous risque des plus de 35 ans (0,71 pour le conducteur, 0,28 pour la conductrice) ; pour la classe d’âge intermédiaire allant de 21 à 34 ans le risque est de 1 pour les conducteurs et de 0,43 pour les conductrices. Il faut avoir constamment à l’esprit l’ampleur de ces différences, nous sommes en présence d’un système dans lequel le risque est multifactoriel et les comparaisons globales résultent de la combinaison de l’ensemble des facteurs.

Globalement, le risque relatif d’implication dans un accident mortel augmente régulièrement avec l’alcoolémie du conducteur dans chaque groupe (âge/sexe) à la fois pour les conducteurs tués ou survivants. En moyenne et pour tous les groupes, toute augmentation de 0,2 g/l de l’alcoolémie d’un conducteur double le risque d’être mortellement blessé dans un accident à un seul véhicule (pour les jeunes hommes de 16 à 20 ans le risque fait plus que doubler).

Les deux apports les plus intéressants de cette étude pour la conduite d’une politique publique concernent le risque lié aux très faibles (0 à 0,20 g/l) et aux faibles niveaux d’alcoolisation. Seule la classe des hommes de 16 à 20 ans permet d’observer un surrisque avec les niveaux inférieurs à 0,20 g/l. Avec une alcoolémie comprise entre 0,20 g/l et 0,49 g/l le risque d’être tué dans un accident à un véhicule (relativement à un risque 1 pour une alcoolémie nulle dans chaque groupe d’âge et de sexe comparable) est plus élevé pour les jeunes hommes de 16 à 20 ans (4,64) que pour les jeunes femmes de 16 à 20 ans (2,86). Au-delà de 20 ans la différence disparaît entre les deux sexes, le risque relatif est de 2,75 pour les 21-34 ans et de 2,57 pour les 35 ans et plus.

L’apport de l’étude SAM

La loi de sécurité routière de juin 1999, dite loi Gayssot, a institué la recherche de stupéfiants chez les conducteurs impliqués dans un accident mortel. Les membres de la commission chargée de la rédaction d’un livre blanc sur les drogues et la conduite en 1993 avaient recommandé cette mesure et nous avions indiqué qu’il était nécessaire d’utiliser les résultats de ces tests et des dosages pour produire une étude épidémiologique. Les incertitudes sur le risque lié à l’usage des stupéfiants imposaient d’améliorer nos connaissances avant de définir les éventuelles sanctions. Les textes d’application de la loi ont été établis au cours des deux années suivantes et la recherche est devenue effective le 1er octobre 2001. L’observatoire français des drogues et toxicomanies a géré la récupération des procédures des accidents mortels auprès des unités de gendarmerie et de police jusqu’au 30 septembre 2003 et un groupe multidisciplinaire a étudié ces accidents sous la responsabilité de Bernard Laumon (INRETS).

Les résultats ont été publiés dans le British Medical Journal en 2005 (5) . L’étude intègre l’analyse du rôle de l’alcool dans les accidents car il était nécessaire de documenter parallèlement l’alcoolisation et la présence de stupéfiants pour définir les fractions d’accidents qui étaient respectivement attribuables à ces deux types de produits et l’éventuelle interaction entre les deux influences. Le recueil d’échantillons témoins représentatifs de la circulation étant particulièrement difficile à obtenir pour la recherche de stupéfiants, du fait de la nécessité d’avoir des tests urinaires si l’on souhaite avoir des résultats fiables, l’étude SAM a utilisé une méthode fondée sur la responsabilité dans l’accident. Elle repose sur l’analyse accidentologique distinguant 5 classes d’usagers suivant leur niveau d’implication causale dans l’accident. Quand un conducteur perd le contrôle de son véhicule, se déporte sur la voie de gauche et heurte frontalement un véhicule qui vient en face, le conducteur de ce dernier n’a eu aucun rôle actif dans la production de l’accident et c’est un bon témoin pour calculer un risque relatif, l’heure, le jour de la semaine, le lieu, étant identiques pour les deux conducteurs. L’étude accidentologique a permis de documenter de multiples faits qui ne sont pas habituellement croisés avec l’imprégnation alcoolique et donc d’évaluer les liens qui relient ces variables en utilisant des méthodes d’analyse fondées sur des régressions logistiques.

L’enquête a porté sur 6766 conducteurs responsables et 3982 non responsables. Elle a mis en évidence la très forte surmortalité des conducteurs non responsables sous l’influence tant de l’alcool que du cannabis. Il s’agit d’un facteur de confusion qui influence la valeur d’une fraction attribuable qui ne tiendrait compte que des résultats du dosage de produits psycho-actifs. Les raisons de cette surmortalité sont multiples, les différences concernent en particulier les véhicules des usagers sous l’influence de l’alcool qui sont dans l’ensemble plus anciens, avec des dispositifs de protection actifs ou passifs différents, le port de la ceinture n’est pas identique. Il était nécessaire d’améliorer le groupe témoin pour éviter la surreprésentation des accidents dans lesquels le seul conducteur non responsable sous l’influence de psychotropes était décédé. La meilleure méthode était de ne retenir que les témoins non responsables qui n’étaient pas seuls tués dans l’accident. L’odds ratio brut associé à une alcoolémie supérieure à 0,50 g/l était de 15,05 (12,4-19,5). L’odds ratio ajusté en utilisant un modèle multivarié était de 8,51 pour toutes les alcoolémies non nulles et il est important de noter que la valeur de 2,7 (2,1-3,48) a été observée pour les alcoolémies non nulles mais inférieures au seuil légal de 0,50 g/l. Il s’élevait à 6,29 (3,74-10.6) entre 0,5 et 0,8 g/l, à 7,56 (4,75-12) entre 0,8 et 1,2 g/l, à 13,2 (9,11-19,1) entre 1,2 et 2 g/l et enfin 39,5 (22,7-68,9) au-delà de 2g/l. Dans cette étude l’odds ratio ajusté pour l’ensemble des concentrations sanguines non nulles de THC (produit actif du cannabis) était de 1,78 (1,4-2,25). Quand les deux produits étaient associés, l’odds ratio était très proche du résultat de la multiplication des valeurs respectives observées pour le cannabis et l’alcool. Cela signifie qu’il n’y a pas de potentialisation.

A partir de ces valeurs d’odds ratio, la fraction ajustée de risque attribuable d’accidents mortels était de 28,6 % pour les alcoolémies non nulles et de 25,5 % pour les alcoolémies égales ou supérieures à 0,5 g/l. La valeur correspondante pour le cannabis était de 2,5 % (1,5-3,5).

Une telle étude pose à nouveau le problème des seuils légaux d’alcoolémie. La différence entre 28,6 % et 25,5 % représente un enjeu d’environ 150 tués avec une accidentalité routière maintenant proche de 5000. C’est ce groupe qui est concerné par un nouvel abaissement du taux légal maximal de l’alcoolémie. La valeur retenue en France a été modifiée à plusieurs reprises depuis la première fixation d’un seuil en 1970. Le niveau du délit est passé de 1,2 g/l à 0,8 g/l et le seuil de la contravention de 0,8 à 0,5. Récemment la France a adopté la recommandation de l’Union Européenne d’abaisser à 0,2 g/l le seuil légal pour les conducteurs de transports en commun. Il faut remarquer que les valeurs définies par la législation de chaque pays varient dans des proportions importantes entre la tolérance nulle (Slovaquie, Tchéquie, Slovénie) et la valeur de 0,8 g/l qui est encore en vigueur dans des pays comme la Grande Bretagne et l’Irlande. Il est probable que la valeur de 0,20 g/l finira par s’imposer, mais dans des délais relativement longs.

 

Les données françaises produites par l’exploitation des Bulletins d’analyse des accidents corporels (BAAC).

Les principales analyses de ces résultats sont produites dans les bulletins annuels de l’Observatoire National Interministériel de Sécurité Routière (ONISR) ou dans des études spécifiques produites principalement par l’INRETS, notamment par Marie Berthe Biecheler et Jean-Paul Peytavin et par le Service d’Etudes Techniques des Routes et Autoroutes (SETRA) à l’initiative de Patrick Le Breton et Françoise Vervialle.

Les BAAC ont des limites connues. La principale concerne l’absence d’obtention des résultats de l’alcoolémie quand les gendarmes ou les policiers qui établissent le bulletin n’ont pas été les destinataires du résultat d’un dosage d’alcoolémie après une prise de sang (le résultat peut être adressé directement au Parquet). Dans un certain nombre d’accidents, la prise de sang n’a pas été possible, rarement pour des raisons techniques (incendie du véhicule), plus souvent par manque de savoir faire ou mauvaise volonté du médecin qui déclare la prise de sang impossible sur un cadavre ou qui ne la fait pas au prétexte de perfusions importantes entre le moment de l’accident et le moment où la prise de sang peut être faite. L’alcool diffusant dans l’eau totale de l’organisme, l’alcool contenu dans le secteur extra-vasculaire va s’équilibrer rapidement avec le secteur vasculaire et le risque d’erreur est à la fois minime et sans risque puisqu’il s’agira toujours d’erreurs produisant des alcoolémies légèrement plus faibles que la valeur avant perfusion et jamais des valeurs plus élevées. Il faut ajouter à ces erreurs l’absence de prise de sang très fréquente chez les enfants qui peuvent être impliqués en tant que piétons ou cyclistes.

Dans le bilan 2004 (6) et dans une publication complémentaire consacrée aux grands thèmes de la sécurité routière (7) l’ONISR indique que dans les accidents avec deux conducteurs impliqués le déficit de connaissance de l’état d’alcoolisation chez un conducteur au moins représente 23,4% des accidents corporels et 43,5% des accidents mortels. Les dénombrements effectués retiennent seulement les accidents avec alcoolémie connue. 9,5% des accidents corporels et 30,2 % des accidents mortels impliquaient au moins un usager avec une alcoolémie dépassant le taux légal dans le bilan de cette année 2004 (les données concernant l’alcool pour l’année 2005 ne sont toujours pas disponibles au moment où cette mise au point est rédigée, une erreur de logiciel dans la saisie des BAAC de la police a produit des résultats erronés qui sont en cours de vérification). Les 2/3 des accidents corporels avec alcool surviennent la nuit, dont 39% les nuits de week-end, ce dernier taux s’élevant à 45% pour les accidents mortels. La typologie la plus souvent observée est la perte de contrôle d’un véhicule seul en cause. Parmi les 1853 accidents mortels avec un seul véhicule impliqué, le conducteur de ce dernier était sous l’influence de l’alcool dans 46,3% des cas. L’ONISR a effectué un cumul au niveau départemental des données disponibles de 2000 à 2004 pour les seuls accidents mortels. Elle montre des correspondances partielles avec la mortalité par alcoolisme. Les départements de la région Nord- Pas de Calais, de la Bretagne, des Pays de Loire ont des proportions d’accidents mortels avec alcoolémie élevée dépassant 30%, mais également ceux de la région Poitou-Charente, du Limousin et du Languedoc-Roussillon. La Haute Garonne, les Hautes Pyrénées, la Gironde ont des taux dépassant 35%, ce qui indique une dissociation importante avec la mortalité par cirrhose alcoolique du foie ou par cancer des voies aéro-digestives supérieures.

C’est entre 18 et 45 ans que la proportion d’impliqués dans des accidents mortels sous l’influence de l’alcool est la plus élevée (19,5%), elle est près de deux fois plus faible de 45 à 64 ans (11,8%) et 5 fois plus faible au-delà de 65 ans (4,4%). Les conducteurs de voitures légères sous l’influence de l’alcool sont moins souvent ceinturés (85% au lieu de 98% pour les usagers non alcoolisés), ce qui constitue un des facteurs de la surmortalité des victimes d’accidents alcoolisées déjà signalée. La stabilité de la relation entre le sexe et l’implication dans un accident mortel sous l’influence de l’alcool est remarquable, le rapport des proportions est de 3,8 (18,6% chez les hommes et 5% chez les femmes). Il faut remarquer que cette stabilité est également observée dans les statistiques de mortalité par alcoolisme ou par des pathologies liées à l’alcool. Ces deux notions vont à l’encontre de l’idée reçue d’un développement de l’alcoolisation excessive ou inadaptée des femmes. Leurs difficultés avec l’alcool sont moins souvent cachées et provoquent plus de consultations, mais elles ne sont pas plus fréquentes.

Il faut enfin noter dans ce bilan descriptif produit par l’ONISR l’importance des variations suivant les véhicules utilisés. Ce sont les conducteurs de voitures légères, de motocyclettes et de cyclomoteurs qui présentent les taux les plus élevés, puis dans une situation intermédiaire les conducteurs de camionnettes et finalement les conducteurs de poids lourds qui sont exceptionnellement sous l’influence de l’alcool (moins de 1%).

Parmi les études complémentaires disponibles, celles de l’INRETS ont souvent utilisé conjointement les procédures d’accidents et les BAAC. Ces comparaisons sont précieuses pour améliorer la connaissance des biais statistiques introduits par les données manquantes des BAAC. Dans une étude récente (8) Marie-Berthe Biecheler-Fretel, Jean-François Peytavin et Yves Gourlet font des estimations fondées sur l’état des personnes impliquées et des taux d’indétermination de l’alcoolémie dans les BAAC qui est corrélée avec la gravité. Ils estiment que les proportions de conducteurs et de piétons avec une alcoolémie illégale passent de 5,5% à 6,7% pour les accidents corporels et de 16,8% à 21,7% pour les accidents mortels. Si l’on tient compte de la notion de responsabilité dans l’accident, le taux s’élève de 25,4% à 31,7% pour les accidents mortels.

Patrick Le Breton et Françoise Viervalle du SETRA (9) ont réalisé une étude particulièrement approfondie des BAAC de la période 1995-1999 (500 961 accidents corporels dont 28 506 accidents mortels). Un des objectifs visés était également de mieux comprendre les liens entre la gravité des conséquences de l’accident et la sous déclaration dans les BAAC, l’autre étant l’approfondissement des liens entre les caractéristiques associées à la présence d’alcool à un taux illicite chez un des impliqués. Ils confirment la notion bien établie que les taux d’alcoolémie sont beaucoup plus souvent positifs pour les accidents mortels (19,1%) que pour les accidents corporels (7%). Leur analyse des accidents de nuit indique que la proportion d’alcoolémies élevées est doublée par rapport aux accidents de jour et que ce fait est vrai pour toutes les classes d’âge, la particularité des accidents de jeunes conducteurs est le doublement de leur pourcentage dans les accidents de nuit le week-end. Autrement dit ces jeunes conducteurs ne sont pas plus alcoolisés que les autres la nuit, mais ils circulent proportionnellement beaucoup plus que les conducteurs des autres classes d’âge les nuits de fin de semaine. Un autre apport intéressant de l’étude est le constat que si les femmes sont dans l’ensemble beaucoup moins alcoolisées que les hommes, elles le sont fréquemment (33,1%) dans les accidents à un seul véhicule des nuits de week-end.

Dans la seconde partie de leur étude, les auteurs utilisent une régression logistique pour préciser les facteurs expliquant la probabilité qu’un accident corporel soit mortel. L’alcoolémie positive a un odds ratio de 4,2 par rapport à l’alcoolémie négative, alors que l’alcoolémie indéterminée a un odds ratio de 6,1 par rapport à l’alcoolémie négative prise comme référence. Ce constat montre l’importance de la non recherche de l’imprégnation alcoolique dans des accidents à un seul impliqué, pour des raisons multiples identifiées depuis de nombreuses années, allant de l’échec de la tentative de prise de sang sur un cadavre à l’absence de motivation à faire cette prise de sang dans un accident sans tiers et sans enjeu judiciaire si le conducteur seul en cause est tué.

Le nombre de variables explicatives présentes dans les BAAC a permis aux auteurs d’utiliser des techniques de classification mettant en évidence les associations fréquentes (analyse des composantes multiples, classifications ascendantes hiérarchiques). Elles mettent par exemple en évidence le fait que les jeunes conducteurs alcoolisés les nuits de week-end se tuent fréquemment dans des accidents impliquant un seul véhicule qui heurte un obstacle fixe. A partir de tels développements il serait utile de rechercher d’autres facteurs associés qui ne sont pas inclus dans le BAAC mais que la lecture des procédures fait apparaître (manque de sommeil, conduite sur des routes mal connues). Une étude néo-zélandaise récente (10) a mis en évidence une multiplication par plus de 2 du risque relatif quand deux personnes ou plus sont présentes dans le véhicule. Ce type de constatation appelle des études complémentaires car les jeunes conducteurs circulant les nuits de week end sont plus souvent en groupes que l’ensemble des autres conducteurs et cette situation peut être avant tout un marqueur d’un contexte particulier majorant le risque et non un facteur causal direct de l’accident par distraction du conducteur ou modification de la conduite du fait de la présence de tiers transportés.

Conclusions

L’incompatibilité entre la consommation d’alcool et la conduite est une notion bien installée dans l’opinion publique, ce qui n’empêche pas une fraction importante des usagers d’imaginer qu’ils ont des capacités particulières dans ce domaine qui les autorisent à transgresser le « boire ou conduire il faut choisir ». Au cours des trente dernières années la fraction des accidents mortels avec une alcoolémie à un niveau dépassant le seuil légal demeure proche du tiers. Il faut bien entendu tenir compte de l’abaissement des taux légaux de 0,8 g/l à 0,5 g/l pendant cette période, mais son effet demeure réduit, les alcoolémies en cause étant habituellement élevées (1,7 g/l en moyenne et plus de 30% au-delà de 2 g/l). Il faut poursuivre la politique de dissuasion par la pratique fréquente de contrôles hors accidents et surtout par l’adaptation des heures et des jours de contrôle aux périodes pendant lesquelles s’observent la majorité des accidents liés à l’alcool. Il faut également améliorer le suivi des personnes impliquées dans des accidents avec alcoolémie élevée. La récidive est fréquente et même si des initiatives locales très intéressantes ont été développées, liant la suspension des poursuites à un suivi médical en cas de contrôle préventif positif, nous sommes loin d’avoir un dispositif coordonnant les actions médicales, administratives et judiciaires, chacun étant dans son rôle et respectant l’indépendance de ses partenaires et la spécificité de leur action.

Contrairement à une idée reçue, nous avons encore des progrès à faire dans ce domaine particulier de l’accidentologie. L’intrication des facteurs associés nous expose en permanence à la confusion entre le rôle causal de certains facteurs et leur rôle d’indicateur d’un contexte fréquemment lié à l’alcool. Nous connaissons insuffisamment les interactions entre des facteurs d’accidents, notamment entre la vitesse et l’alcool. Il ne suffit pas de dire qu’ils se renforcent mutuellement pour être capable d’exprimer quantitativement cette relation. Les méthodes d’analyse des épidémiologistes permettraient de mieux comprendre ces faits, mais les crédits consacrés à ces recherches sont sans commune mesure avec les besoins et le nombre d’équipes compétentes dans ce domaine réduit, les deux situations étant liées.

L’autre besoin non satisfait concerne l’évaluation des politiques publiques dans ce champ d’action. Nous ne disposons toujours pas d’indication des jours et des heures pendant lesquels sont effectués les contrôles préventifs. Il serait cependant facile de distinguer quatre tranches horaires et d’isoler les dimanches et jours fériés ainsi que les jours qui les précèdent. Malgré tous les engagements gouvernementaux il y a encore des dépistages réalisés avec des éthylotests chimiques, alors que le comité interministériel de décembre 2002 avait indiqué qu’ils ne seraient plus utilisés après 2005. Les modes de dépistage n’étant pas indiqués dans les statistiques de la gendarmerie et de la police, nous constatons une croissance régulière de la proportion d’éthylotests positifs alors que l’accidentalité liée à l’alcool diminue et que la proportion d’accidents avec alcoolémie illicite est stable. Ce sont à la fois la meilleure sensibilité des éthylotests électroniques et le choix des périodes de dépistage qui expliquent cette évolution mais nous sommes incapables de distinguer ces deux causes.

Bibliographie

1 - Borkenstein R.F. et al (1964). The Role of the Drinking Driver in Traffic Accidents. Indiana University, Department of Police Administration, ed Allen dale 1964, 245 p

2 - Rapport du comité des experts du Conseil National de Sécurité Routière. Site www.securite-routiere.gouv.fr. : liens vers la partie du site consacrée au « Conseil national de sécurité routière », puis vers « les travaux du CNSR » - « Réunion du 1er avril 2004 » – « abaissement du taux d’alcool».

3 - Moskowitz H. et Fiorentino D.(2000). A review of the literature on the effects of low doses of alcohol on driving-related skills. Washington DC :

4 - Zador P.L., Krawchuck S.A., Voas R..B..(2000). Relative risk of fatal crash involvement by BAC, age and gender. US Department of Transportation. National Highway Safety Administration. Report DOT HS 809 050 April 2000.

5 - Cannabis intoxication and fatal road crashes in France: population based case-control study. Bernard Laumon, Blandine Gadegbeku, Jean-Louis Martin, Marie-Berthe Biecheler, and the SAM Group. BMJ 2005 331: 1371.

6 - La sécurité routière en France : bilan de l’année 2005 - Observatoire national interministériel de la sécurité routière : la Documentation Française 1 vol. 270p. (p.151-160)

7 - Grands thèmes de la sécurité routière en France (édition 2006) – L’alcool - Observatoire national interministériel de la sécurité routière : la Documentation Française 1 vol. 308p. (p.189-196) 

8 - Biecheler-Fretel M.B Peytavin J.F. Gourlet Y. - Recherche de l’alcoolémie dans les accidents corporels de la route et indicateurs d’alcoolisation (année 2000) - Rapport INRETS n° 252. (INRETS/OFDT)

9 - Patrick Le Breton et Françoise Vervialle – rôle de l’alcool dans la gravité des accidents de la route – Rapport SETRA 2006.

10 - Keall M.D., Frith W.J.. and Patterson T.L. (2004). The influence of alcohol, age and number of passengers on night-time risk of driver fatal injury in New Zeland. Accident Analysis and Prevention n°36, 2004, pp49-61.