le mécanisme du désastre 2014/2017

version du 1er octobre

 Résumé : l'accroissement de la mortalité sur les routes pendant trois années consécutives, alors que le gouvernement s'était fixé en novembre 2012 l'objectif de 2000 tués en 2020 a été produit par un ensemble de causes précises et bien identifiées. Il est indispensable de les détailler pour que les nouveaux responsables puissent faire des choix informés. Les chercheurs spécialisés dans un domaine ne sont pas des décideurs, mais ils ont un devoir d'information et d'analyse permettant de comprendre les succès et les échecs. La période de dégradation de la sécurité routière observée à partir de la fin 2013 se caractérise par :

 

1/ L'absence de mobilisation de l'ensemble de l'Etat

L'analyse des succès et des échecs de la sécurité routière observés depuis le début des années soixante-dix met en évidence l'importance des convictions du président de la République et du Premier ministre. Elles ne sont pas toujours identiques, mais une certitude est évidente : en l'absence d'activisme de l'un ou de l'autre il n'y a pas de progrès possible de la sécurité routière. La machine administrative doit être activée par de nouvelles instructions, précises et pertinentes pour changer les habitudes et améliorer les résultats.

Le constat concernant l'attitude des responsables du désastre des dernières années est sans ambiguïté. La passivité du président de la République et du Premier ministre sont les principaux responsables de la dégradation de la sécurité routière. Je résume l'histoire politique de la gestion de la sécurité routière au niveau du président de la République et du Premier ministre dans un texte consacré spécifiquement à ce problème. Il est fondamental. Quand les deux responsables principaux ne prennent pas personnellement en main le problème de la sécurité routière et n'imposent pas une feuille de route volontariste à leurs ministres, les progrès s'affaiblissent ou s'interrompent.

Se fixer comme objectif de réduire la mortalité sur les routes à 2000 tués en 2020 et laisser se dégrader les résultats année après année, avec 3493 tués fin mai 2017 exprime l'absence d'intérêt pour ce problème au niveau le plus élevé de l'Etat.

 

2/ La solitude de Bernard Cazeneuve et son incompétence

La décision en mai 2012 de transférer l'activité de sécurité routière du ministère ayant en charge le "développement durable", incluant les transports, vers le ministère de l'intérieur pouvait se comprendre. Les caractéristiques des véhicules sont maintenant totalement définies par les directives de l'Union Européenne et la gestion des routes étant assurées par les départements (une fraction réduite demeurant dans le cadre administratif national), la politique de contrôle et de sanction devenait la fonction gouvernementale résiduelle de gestion de la sécurité routière.

Il y avait une logique en faveur de ce changement d'attributions, mais ce type de bouleversement est souvent mal vécu par les administrations car il est porteur de deux types de dégradation :

Un autre facteur de dégradation de la qualité des pratiques était déjà en action depuis de nombreuses années :  la perte progressive du fonctionnement interministériel, qui avait été un des fondements de la création du comité interministériel de la sécurité routière en 1972. Ce comité a été intégré dans le ministère ayant en charge les transports en 1983. Les inconvénients étaient minimes quand l'activisme du président de la République et du Premier ministre maintenait le caractère prioritaire de la politique de sécurité routière, nous avons pu le constater dans la période 2002/2007. Ils sont devenus destructeurs quand la gestion a été attribué à un ministre qui a voulu être le gestionnaire unique et a abandonné le fonctionnement interministériel qui est indispensable pour que chaque ministère puisse développer une contribution de qualité à des programmes associant des mesures qui mettront en oeuvre des compétences différentes et complémentaires.

L'alerte donnée par le rapport Bondaz

Une évaluation de la politique de sécurité routière a été pilotée en 2013 par une inspectrice générale de l'administration du ministère de l'intérieur. Elle réunissait 6 autres personnes aux compétences complémentaires et ne relevant pas tous du ministère de l'intérieur, deux d'entre eux appartenaient au Conseil général de l'environnement et du développement durable. Ce rapport n'a été rendu publique qu'en 2015, il est accessible sur le site : http://www.modernisation.gouv.fr/sites/default/files/epp/epp_securite-routiere_rapport.pdf

Il est utile de présenter la synthèse produite par les auteurs de ce rapport :
"La gouvernance de cette politique s’est affaiblie ces dernières années : éclatement des responsabilités relevant du véhicule, des infrastructures et du comportement auparavant réunies dans une même direction, éloignement du ministère de l’écologie du développement durable et de l’énergie, suivi insuffisant des politiques locales déconcentrées ou décentralisées.
En l’absence de comité interministériel de la sécurité routière depuis trois ans, l’interministérialité semble reculer alors que la délégation de la sécurité et de la circulation routières (DSCR) doit renforcer un partenariat national avec les collectivités territoriales comme avec les réseaux d’assurances et de mutuelles.
Le recueil des données de l’accidentologie est lourd et pourtant insuffisant pour rendre cette politique encore plus pertinente : l’observatoire national interministériel de sécurité routière (ONISR) doit être renforcé et bénéficier du soutien de l’ensemble des ministères concernés par cette politique.","L’interministérialité de la politique de sécurité routière doit s’appuyer sur la tenue périodique de comités interministériels de la sécurité routière (CISR) et une collaboration interministérielle forte, notamment entre ministère de l’intérieur et ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE)."
"La vision nationale de la sécurité routière doit mettre fin à une opposition réductrice entre prévention et sanction ou entre actions visant les comportements et actions relatives aux infrastructures ou aux véhicules".

Cette alerte n'était pas isolée, j'avais publié  en juin 2014 une analyse décrivant la perte de toute rationalité dans la gestion de la sécurité routière.

 

3/ la crainte de contrarier une fraction des usagers en agissant sur les vitesses de circulation

La sécurité routière intéresse la quasi-totalité des usagers, qui conduisent ou qui sont conduits, qu'ils aiment rouler vite ou qu'ils redoutent les accidents. La familiarité de tous envers le problème ne garantit pas la qualité des connaissances. Les politiques, les administratifs, les journalistes spécialisés ou non, ont une perception du problème et de ses solutions qui est comparable à celle des usagers. Quant au cours du débat parlementaire de 2010 qui produira l'affaiblissement du permis à points, le député Jacques Myard reprend l'expression de Georges Pompidou "Il faut cesser d'emmerder les Français", il indique quelle est sa hiérarchie des valeurs, mais elle demeure implicite. Il ne dira jamais que la facilitation des récupérations de points produira un moindre respect des limites de vitesse et que cela provoquera la mort d'un nombre important d'usagers de la route. Il est important de remarquer que la phrase de Georges Pompidou " Mais arrêtez donc d’emmerder les Français. Il y a beaucoup trop de lois, trop de règlements dans ce pays" était une remarque générale qui ne s'appliquait pas spécifiquement aux textes du code de la route, mais il avait pris la même année 1966 une position sur la sécurité routière qui exprimait bien sa conception libérale. La droite populaire de Jacques Myard est la forme dégradée de la position exprimée par Georges Pompidou. Le libéral ne souhaite pas privilégier la prévention en créant de multiples interdits qui réduiront la mortalité en modifiant les comportements. Il estime que chaque individu est responsable et doit être sanctionné quand il blesse ou tue, mais qu'il est excessif de multiplier les contraintes destinées à éviter que l'accident se produise. Cette opposition est présente dans tous les domaines de la santé publique, elle n'est pas spécifique de la sécurité routière. Les personnes qui ont des conceptions sociales privilégiant le respect de la vie des autres acceptent la multiplication des contraintes comportementales, les individualistes libéraux souhaitent les réduire à un niveau minimal.

Ces positions personnelles expliquent les différences profondes entre les actions entreprises par les pouvoirs publics. Toutes les gradations existent entre l'indifférence complète ou l'activisme le plus intense, et les conflits peuvent exister entre le président de la République et le Premier ministre. Ils sont facilités par la confusion des responsabilités créée par les concepteurs de la Cinquième République.

Quand le président du CNSR (Conseil National de la Sécurité Routière) a demandé à son comité des experts de travailler "sur la stratégie à mettre en place pour atteindre l’objectif fixé par le ministre de l’intérieur de moins de 2000 tués d’ici à 2020 ». Le rapport a été achevé le 30 septembre 2013 et une synthèse a été présentée à la réunion plénière du CNSR du 29 novembre 2013. Quatre mesures ont été proposées, la première était l'abaissement à 80 km/h de la vitesse maximale autorisée sur les voies limitées à 90 km/h dépourvues de séparation des circulations. Deux modalités étaient envisagées : l'application sur toutes les voies de ce type ou "à la plus grande partie de ce réseau, les itinéraires y faisant exception, donc restant à 90 km/h, étant identifiés par arrêtés spécifiques selon l’accidentalité au kilomètre de voie et les caractéristiques de ces infrastructures. La première option présente l’avantage d’une plus grande simplicité, la seconde d’une acceptabilité attendue plus large.". Les trois autres mesures concernaient la gestion de l'alcoolisation au volant, des obstacles latéraux et une amélioration de la gestion de la sécurité routière. Ces propositions étaient proches de celles du rapport Bondaz, qui recommandait l'abaissement à 80 km/h de la VMA des routes limitées à 90 (ce rapport n'avait pas été transmis au CNSR). En avril 2014 le Comité des experts a présenté une version distinguant l'application sur l'ensemble du réseau et deux modalités d'expérimentation "sérieuse". Le texte analysait avec précision les avantages et les inconvénients des trois propositions. Il indiquait clairement que d'un point de vue éthique la mise en oeuvre de la mesure sur l'ensemble du réseau était la "Seule approche acceptable en cas de certitude complète sur l’efficacité de la mesure de réduction des vitesses, car elle permet de faire bénéficier toute la population de l’effet attendu." (Note du comité des experts du 23 mai 2014).

Le ministre a choisi une expérimentation ridicule portant sur moins de 100 km de voies. La vice-présidente du comité des experts, Claudine Perez Diaz et moi avons démissionné de ce comité, en justifiant notre décision dans une tribune publiée par Le Monde le 17 mars 2015 (http://www.lemonde.fr/securite-routiere/article/2015/03/17/deux-experts-demissionnent-du-conseil-national-de-la-securite-routiere-qu-ils-jugent-en-perdition_4594947_1655513.html). Nous indiquions que : "Le Conseil National de la Sécurité Routière (CNSR) devait se prononcer le 16 juin 2014 sur l’abaissement de 90 à 80 km/h de la vitesse maximale sur le réseau non autoroutier. Bernard Cazeneuve est intervenu avant la présentation du rapport de la commission spécialisée du CNSR qui devait précéder le débat et le vote. Il a annoncé qu’il n’adopterait pas cette mesure et qu’il ferait une expérimentation sur quelques tronçons de routes accidentogènes. Or, une application aussi restreinte ne pouvait ni améliorer significativement la sécurité routière, ni contribuer à améliorer des connaissances établies depuis des décennies avec des méthodes plus adaptées. En refusant d’écouter avant de décider, le Ministre a ridiculisé le CNSR, il a écarté la mesure qui permettait de renouer avec de bons résultats et atteindre l’objectif fixé par le gouvernement. La démagogie a prévalu sur l’efficacité".

 

4/ la multiplication des annonces

Après une longue période sans Comité Interministériel de Sécurité Routière et les remarques qui venaient de tous les bords pour commenter l'absence de cet outil destiné à gérer la diversité, un CISR s'est tenu le 2 octobre 2015. Le précédent avait eu lieu le 11 mai 2011 ! Les annonces faites à la suite de ce CISR sont accessibles sur le site (CISR 2 octobre 2015) avec mes commentaires. Elles associaient 22 mesures principales et 33 complémentaires. Ce flot inhabituel suivait un premier lot de mesures annoncées en janvier 2015 au nombre de 26, soit un total de 81 mesures. Cet effet d'annonce n'a eu aucune influence sur l'accidentalité.

Imaginer que le nombre de mesures annoncées va modifier les comportements après 4 ans de passivité était une erreur de gestion et de communication évidente, car aucune mesure n'était capable de faire craindre dans un délai court un afflux de contraventions et de perte de points de permis. Le caractère hétérogène de cette énumération noyait la perception des mesures les plus importantes. Au lieu de se centrer sur un nombre réduit de mesures capables de provoquer un retour à l'efficacité, le choix effectué de remplacer la qualité par la quantité était un choix destructeur

L'effet d'annonce le plus désastreux est celui qui n'est pas suivi à court terme du passage à l'acte. Le meilleur exemple concerne la mesure suivante : "Mesure 2 : augmenter, dans les meilleurs délais, l’utilisation des radars embarqués dans des véhicules banalisés, en confiant leur mise en oeuvre à des prestataires agréés, sous étroit contrôle de l’Etat." L'usage de ce type de radars était indispensable pour limiter la nocivité des avertisseurs de radars, travestis en avertisseurs de dangers à la suite des erreurs de l'année 2011 concernant l'interdiction de ces produits. Les premiers radars placés dans des véhicules en déplacement ont été mis en service en mars 2013 et leur présentation a été bien faite, associant des images télévisées à des démonstrations de terrain avec des journalistes qui mettaient en évidence la crédibilité du dispositif. 2013 a été la dernière "bonne année" du bilan de l'accidentalité, il a fallu 10 mois pour que les usagers qui dépassaient souvent les limites de vitesse avec des équipements tels que Coyote ou  Waze, qui ne permettent pas d'éviter la signalisation des contrôles, constatent que le risque d'être contrôlé était très faible. L'explication a été vite connue, la gendarmerie et la police n'avaient pas d'effectifs suffisants pour permettre d'utiliser ces radars mobiles 12 heures par jour. Les véhicules étaient peu nombreux et le temps de fonctionnement quotidien d'environ une heure. La nécessité d'avoir recours à des conducteurs agréés a été proposée dans les mois qui ont suivi la mise en oeuvre de ces radars et elle apparait dans les mesures du CISR d'octobre 2015. L'annonce d'une expérimentation en Normandie vient d'être faite et l'on nous dit qu'un appel d'offre est en cours. Ces délais inacceptables permettent aux adversaires du respect strict des limitations de vitesse de développer leurs arguments dépourvus de fondements et les usagers perçoivent rapidement l'absence de pouvoir dissuasif de la mesure.

La lenteur du passage à l'acte est une caractéristique administrative d'une grande banalité, il est cependant rare de la voir atteindre ce niveau. Les succès des réformes de 2002 ont été en grande partie assurés par la rapidité de leur effectivité. L'annonce de l'usage de radars automatiques a été faite début décembre 2002, le cahier des charges a été établi par un groupe réduit de personnes compétentes, les premiers radars ont été installés fin octobre 2003 et ils ont bien fonctionnés, avec une sous-traitance de leur installation et de la surveillance de leur bon fonctionnement. Un "bon CISR" annonce un nombre limité de mesures efficaces concernant tous les usagers et il est suivi d'une communication précise et quantifiée décrivant leur mise en oeuvre et leurs résultats.

L'annonce prématurée de la sous-traitance des radars embarqués, sans passage à l'acte rapide n'est pas la seule expression dans ce CISR de l'absence de compréhension de l'urgence décisionnelle quand une situation de dégrade. La mesure 4 indiquait : "augmenter, au sein du parc, la proportion des radars autonomes déplaçables, en portant leur nombre à 250 fin 2016". Les radars fixes étant signalés par un panneau spécifique, l'extension de la dissuasion des excès de vitesse devait être assuré par des radars embarqués dans des véhicules banalisés, mais aussi par des radars automatiques déplaçables. L'obstacle à leur efficience est l'usage des avertisseurs de radars. Il fallait donc annoncer la mise en oeuvre d'un dispositif assurant réellement l'interdiction de signaler comme un "danger" la présence d'un contrôle par des gendarmes ou des policiers dans un véhicule arrêté en bord de route équipé d'un radar automatique. Le dispositif qui permettait d'éviter de tels signalements a été décrit avec précision il y a plus de 4 ans. Il fallait instaurer un filtrage des avertissements d'un danger. Les usagers le constatant transmettent leur signal vers le prestataire gérant l'avertisseur de danger qui le transmet à un serveur du ministère de l'intérieur autorisant le signalement aux usagers. La méthode a un double avantage, les unités locales de police ou de gendarmerie son averties d'un danger dans leur territoire d'intervention (les indications transmises par les avertisseurs de danger son géolocalisées) et ils peuvent bloquer l'information si elle concerne un endroit où un contrôle st en cours (le serveur du ministère gérant les indications par les unités qui interviennent des heures de contrôle et de leur localisation). Une autorisation de transmission d'information de ce type peut se faire en quelques secondes. Nous sommes dans une société submergée par l'usage extensif de l'informatique et les pouvoirs publics ne savent pas l'utiliser.

La mesure 5 consiste à : "expérimenter l’utilisation des systèmes de lecture automatisée des plaques d’immatriculation pour lutter contre le défaut d’assurance des véhicules". Ce dispositif LAPI est opérationnel depuis de nombreuses années. Son usage a été curieusement limité à des contrôles précis, tel que l'identification d'un véhicule volé. Il est évident que son usage doit être étendu à des objectifs de sécurité routière par l'identification des usagers "à problème". Quand une adresse de certificat d'immatriculation est périmée, l'usager n'ayant pas fait les démarches obligatoires lors d'un changement de domicile, les courriers concernant un excès de vitesse constatée par un radar automatique seront retournés au centre de Rennes. La préfecture qui a délivré le certificat d'immatriculation sera prévenue et une vente du véhicule sera impossible, mais ce blocage n'interviendra pas en l'absence d'une transaction. Il est facile d'établir une base de données réunissant des situations anormales et consultée en permanence par un véhicule équipé d'un dispositif LAPI.

La mesure 7 est importante : "élargir les possibilités de recours à l’éthylotest anti-démarrage (EAD) :
· dans le cadre pénal, étendre le recours à l’EAD au contrôle judiciaire et aux mesures de probation consécutives à la condamnation ;
· dans le cadre médico-administratif, déployer l’EAD pour les contrevenants d’habitude (après une phase de préfiguration dans trois départements
). Mon commentaire du CISR de 2015 indiquait : "Développer l'usage de l'EAD est une très bonne mesure qui a fait ses preuves, mais nous sommes confrontés actuellement à un sous-emploi de ces dispositifs. L'expérimentation a été faite dans le département de la Haute-Savoie à partir de 2007, la loi LOPPSI2 a inscrit dans notre législation les modalités d'usage du dispositif. C'était au début 2011, son application est encore ridiculement faible. Là encore la gestion du dispositif n'a pas été assurée à un niveau de qualité suffisant. La formation des magistrats a été insuffisante. Nous devrions avoir une présentation régulière du nombre de personnes bénéficiant du dispositif dans un département. Tant que de telles méthodes d'évaluation ne seront pas utilisées, nous demeurerons dans le domaine de la parole". La situation n'a pratiquement pas évolué

Mesure 17 : bâtir à échéance de 2 ans une base de données nationale des vitesses maximales autorisées, en libre accès, enrichie progressivement par l’ensemble des autorités ayant la compétence pour fixer ces vitesses." L'échéance est dans deux mois et la base n'est pas encore consultable. Elle doit être accompagnée par un dispositif permettant de contribuer à la qualité de la signalisation. Dans ce but, une Commission consultative d'usagers pour la sécurité routière (CCUSR) avait déjà été définie et devait être mise en place dans chaque département. J'ai tenté de vérifier la possibilité d'accès à ces données. Le CEREMA ouest fait référence à cette commission sur son site interne, avec une carte des départements de la Bretagne et des Pays de Loire. En cliquant sur les 9 départements j'ai obtenu une fois le site de la préfecture sans référence au CCUSR (Sarthe), 3 "erreurs 404", 2 "module non trouvé", 2 "adresse introuvable". Miracle, les Côtes d'Armor me dirigent vers une liste de pages concernant la sécurité routière avec une ligne "signaler un défaut de signalisation", je clique et j'obtiens : "adresse introuvable". La recherche directe CCUSR Morbihan, sans passer par le CEREMA, donne accès au formulaire, comme pour le questionnement CCUSR Gironde, ou Rhône. Souvent les mises à jour sont anciennes et il n'y a pas de bilan quantifié des remarques sur les signalisations inadaptées et ni de publication des suites données à ces remarques. Cet exemple met en évidence la faiblesse du contrôle de qualité dans l'application de décisions administratives.

La mesure 20 était très importante : " assurer l’égalité pour tous en matière de respect des règles :
- en créant la contravention de non-révélation de l’identité du conducteur par le représentant d’une personne morale propriétaire du véhicule en infraction (contravention forfaitaire de 4e classe de 650 €)
". La mesure a été introduite dans la législation le 1er janvier 2017. Il était très important de la rendre crédible en évaluant mois après mois son respect et en publiant les résultats. Cela n'a pas été fait. La publicité concernant la réalité de la mise en application du dispositif de contrôle et de sanction est très importante pour convaincre les usagers du risque qu'ils prennent en ne respectant pas les règles.

 

5/ l'incapacité de prendre des mesures assurant la bonne qualité du dispositif de contrôle et de sanction

Le déficit de qualité dans le fonctionnement du dispositif de contrôle et de sanction est un constat ancien. Claudine Perez Diaz a effectué des recherches approfondies qui ont mis en évidence l'importance de l'absence d'aboutissement des sanctions. Ce déficit a notamment été analysé dans son livre "jeu avec des règles pénales" publié en 1998 (éditions L'Harmattan). Le gouvernement a souhaité procéder à une évaluation interministérielle de la mise en œuvre de la politique nationale de sécurité routière par les systèmes locaux de contrôle-sanction. Le Commissaire au Plan a installé l’instance le 18 avril 2001. Elle a été présidée par Michel Ternier et a produit des résultats quantitatifs obtenus par le suivi de cohortes d’affaires tout au long de la chaîne de traitement. 4 889 affaires ont été analysées (dans 6 juridictions) correspondant à des infractions « alcool » et « vitesse » (contraventions de classes 4 et 5 et délits). Les infractions constatées l’ont été entre début novembre 2000-fin octobre 2001 et l’étude quantitative a été conduite de mi-mai à mi-septembre 2002.Les résultats ont mis en évidence la persistance de multiples anomalies aux différentes étapes du traitement des infractions, notamment les infractions vitesse. Elles variaient dans des proportions considérables d'une juridiction à l'autre. Par exemple, la proportion d'infractions constatées non transmises à l'OMP pouvait varier de varier de 4,6% à 42,2% pour les contraventions vitesse de classe 4, la moyenne étant de 18,6%. Les variations étaient très proches pour les contravention vitesse de classe 5 non transmises au parquet variant de 5,5% à 42,9%, la moyenne étant de 19,6%.

Une des mesures importante de la réforme de 2002 était l'interdiction des indulgences abusives (Circulaire du 18 décembre 2002). La mise en place des radars automatiques pouvait également améliorer l'équité dans le constat des infractions, les seuils de vitesses constatées produisant ce constat étant fixés à l'identique pour tous les radars. 

Le rapport Colin-Le Gallou, rédigé par des inspecteurs généraux du ministère de l'intérieur a mis à bas cette forme d'optimisme concernant la qualité de la gestion d'une chaîne complexe qui suppose une bonne coordination entre des acteurs appartenant a des structures différentes et disposant de moyens très variables. Ce rapport a été commandé par le ministre de l'intérieur le 12 octobre 2011. Il a été achevé le 13 mai 2012, donc après l'alternance politique du printemps. En tête du rapport l'inscription dans un encadré "CONFIDENTIEL " et le titre : SUR L'ÉCART ENTRE LE NOMBRE D'INFRACTIONS CONSTATÉES ET LE NOMBRE D'INFRACTIONS GENERANT UN RETRAIT DE POINTS DE PERMIS DE CONDUIRE. Ce rapport n'a pas été rendu public, il a été dévoilé par le journal du dimanche en août 2015.

29 mesures destinées à corriger ces dérives étaient proposées. Elles n'ont pas été appliquées et ce texte n'a pas été publié. Cacher sous le tapis un amas de fautes lourdes n'est pas une bonne méthode. La réalité finit toujours par émerger et ceux qui ont tenté de masquer leur incapacité à corriger des erreurs perdent leur crédibilité.

Ce rapport a une importance considérable. Il met en évidence des dysfonctionnements majeurs à la fois de notre fonctionnement politique et de notre fonctionnement administratif. Son intérêt dépasse le domaine de la sécurité routière. La mauvaise qualité de la coordination entre des pratiques complémentaires (le constat d'une infraction, sa gestion par les OMP ou les tribunaux, la transmission vers le fichier des permis de conduire) ne permet pas d'assurer une traçabilité complète qui est à la base du contrôle de qualité. Toutes les sociétés de logistique savent le faire, un colis peut être tracé depuis son expédition jusqu'à sa réception et quand il est perdu on sait qui l'a perdu. L'administration française ne veut pas faire de contrôle de qualité, elle ne veut pas être confronté à la masse de modifications des méthodes voire des procédures disciplinaires qu'il faudrait entreprendre si une traçabilité rigoureuse était établie. Quand un greffe n'a pas assez de personnel pour transmettre les décisions judiciaires vers le fichier du permis à points, la procédure est incomplète. Quand le fichier du permis à points ne peut pas retirer les points parce que les données transmises ne permettent pas de réaliser la jointure avec le fichier, il y a un blocage de la phase finale de la procédure qui pourrait être corrigée si la traçabilité était assurée du stade initial du constat de l'infraction au retrait effectif des points.

J'ai réalisé une analyse des retraits de points pour des infractions concernant la conduite sous l'influence de l'alcool en utilisant les données disponibles sur les bilans publiés par le ministère de l'intérieur, notamment le bilan annuel de l'accidentalité et le bilan des infractions, incluant les retraits de points. Ces documents sont précis et de qualité, mais ils ne sont pas suivis d'analyses vérifiant la cohérence de ces données. Le résultat de cette étude, achevée au moment où le rapport Colin-Le Gallou a été rendu public, a été publié sur mon site internet ("infractions "alcool"), il est toujours accessible. L'introduction est la suivante :

" Un des défauts majeurs du « bilan de l’accidentalité de l’année 2013 » publié en juin dernier par l’ONISR (accessible sur le site internet du ministère de l’intérieur) est de ne pas mettre suffisamment en relations les différentes valeurs citées dans ce bilan. Ce sont ces comparaisons qui mettent en évidence d’éventuelles anomalies qu’il conviendrait d’évaluer avec précision pour être en capacité de les corriger. Il est évident qu’une expertise « externe » pourrait jouer ce rôle et permettre des corrections avant l’établissement de la version définitive. Le Comité des experts auprès du CNSR devait assurer cette fonction d’évaluation. Le décret du 28 août 2001 prévoit que « le conseil national de la sécurité routière est assisté par un comité d’experts (cf. annexe : article 4 et 7 du décret)». «Le comité d’experts du conseil national de la sécurité routière oriente la méthodologie des recueils et analyses statistiques ainsi que des études de l’observatoire. Il peut également être consulté sur la qualité scientifique des publications mises à la disposition du public en matière de sécurité routière». Il est évident que le Comité des experts n’a pas joué ce rôle et, comme souvent en pareil cas, les responsabilités sont partagées, le manque de disponibilités des uns se conjuguant avec le peu d’appétence pour les critiques de l’autre."

Le constat semble dépourvu de crédibilité : 48,8% des retraits de points n'ont pas été réalisés.

J'ai écrit en 2005 un livre publié par Bayard éditions : "Comment tuer l'Etat, précis de malfaçons et de malfaisance" pour décrire avec des exemples le déficit de qualité produit par une organisation déficiente et par la volonté de tromper. Les deux mécanismes peuvent s'associer, mais dans mon expérience d'une quarantaine d'années de collaboration avec des politiques et des administrations la malfaçon est plus fréquente que la malfaisance. Ces identifications sont des mots valise. La malfaçon réunit la paresse, l'incompétence et l'inadaptation des moyens. La malfaisance peut qualifier la volonté de tromper, mais également la volonté de ne pas savoir pour ne pas avoir à sanctionner et à réformer. Un des chapitres du livre décrit les tentatives visant à développer les procédures d'évaluation des politiques publiques en France. Je viens de le rendre accessible sur le site (cécité - la fin de l'évaluation des politiques publiques) et j'ajoute un texte traitant spécialement de la nécessité de développer une évaluation de la politique de sécurité routière écrit en janvier 2003 (nécessité de développer l'évaluation dans le domaine de la sécurité routière).

L'analyse que vient de faire la Cour des comptes du bilan financier des radars automatiques confirme ce que je dis depuis la création de la LOLF en 2001 : il est impossible de fonder l'évaluation des politiques publiques par une vérification financière des budgets et de leur gestion. La note d’analyse de l’exécution du compte d'affectation spéciale (CAS - 2017) concernant la circulation et le stationnement routier est un document dont il faut bien comprendre les limites. Il vise à décrire et commenter une procédure, mais ses insuffisances sont évidentes quand le document se limite à des descriptions sans présenter de conclusions argumentées mettant en évidence les dysfonctionnements dans l’application de la LOLF créée en 2001. Elle devait assurer « la gestion par la performance dans l’administration », notamment par la création des comptes d’affectation spéciale. Il était nécessaire de définir avec précision le défaut de performance. Le texte indique la mauvaise qualité des résultats : " En 2016, les résultats de la mortalité routière ont été confirmés à la hausse pour la troisième année consécutive avec près de 3 500 tués sur les routes françaises en métropole (+ 2,3 %) et une estimation de 8 victimes hospitalisées pour une tuée." Associer 70 pages de descriptions financières à ces 4 lignes exprime l’échec de la LOLF dans le domaine de l’évaluation des politiques publiques. Combien de chercheurs spécialisés dans le domaine de l’insécurité routière ont-ils été consultés pour comprendre le mécanisme de l’échec qui n’a rien à voir avec la description du financement du dispositif ? Aucun lien n'existe entre le bilan comptable et procédural d'une part et ces mauvais résultats d'autre part. L'impression est celle d'un fonctionnement en circuit fermé, sans la moindre recherche auprès de spécialistes d'une explication de la discordance entre l'augmentation du montant des amendes et les mauvais résultats. Le rapport de la Cour des comptes ne dit pas un mot du rapport Colin-Le Gallou, ni du mauvais usage des radars mobiles, ni de la nécessité de supprimer par la loi l'usage des avertisseurs de danger comme des avertisseurs de contrôles par les gendarmes et les policiers.

 Une société qui produit un flux de procédures automatisées, dont la complexité s'accroit d'année en année, sans les relier et les analyser dans un objectif de contrôle de qualité est condamnée à l'inefficacité et à la perte de la notion d'équité qui est un des fondements de la démocratie.

Ce problème a une importance telle que je le développerai comme une des deux priorités dans le domaine de la gestion de la sécurité routière. Assurer l'équité du dispositif a été reconnu comme une nécessité par le candidat Emmanuel Macron. Il est donc non seulement utile, mais opportun, de le considérer comme un objectif prioritaire.