propositions d'emmanuel macron

version finale du 17 octobre 2017

La méthode et son contexte

Poser des questions précises aux candidats à l'élection présidentielle est devenu une forme de rituel préélectoral au cours des mois précédant le scrutin. Le succès de cette démarche a affaibli sa qualité. Un groupe de proches du candidat se partage le travail. Ils ont habituellement des compétences dans le domaine qui leur est attribué, mais la multiplication des questions posées et la nécessité de produire des réponses dans des délais courts, réduit la qualité de l'exercice. Les réponses proposées sont ensuite relues (parcourues ?) par des candidats engagés dans de multiples activités de communication directe dans des meetings, des émissions de radio ou de télévision, ou de questionnements de journalistes qui n'ont pas les mêmes objectifs que les associatifs ou les experts. Il faut avoir à l'esprit ces notions en lisant mes commentaires sur les réponses faites par Emmanuel Macron.

Depuis 1988, un groupe d'acteurs de la santé publique a développé cette pratique. Les questions, les réponses et nos commentaires sont accessibles sur le site www.securite-sanitaire.org et je ne les reprendrai pas dans cette page de commentaires. Mon objectif est d'ajouter des analyses spécifiques plus détaillées d'un nombre limité de problèmes abordés.

Dans l'ensemble, les 4 réponses d'Emmanuel Macron étaient précises, bien rédigées, mais elles ne répondaient pas à toutes nos questions. A l'exception d'une, elles étaient incomplètes ou défavorables à nos propositions et elles utilisaient des arguments exprimant un déficit de connaissances grave dans le domaine traité. Nous avons produit une notation des réponses, facilitée par le caractère volontairement binaire des propositions, permettant d'éviter l'incertitude et l'ambiguïté. Dans le domaine de la sécurité routière, sa note a été de 1 sur 4 (Fillon : 0, Le Pen : 1, Hamon : 3, Mélenchon : 4).

1/ La question clé était : abaisserez-vous de 90 km/h à 80 km/h la vitesse maximale autorisée sur les voies sans séparation des sens de circulation ?

Elle a produit une réponse en quatre paragraphes qui comportent des erreurs. Finalement la proposition est refusée. Il ne faut pas envisager les arguments concernant cette mesure dans l'ordre où ils nous sont présentés, mais commencer par la notion importante qui est le refus du passage à 80 de la vitesse maximale autorisée sur le réseau hors agglomération non autoroutier, sur lequel sont observés 88% des tués hors agglomération et 56% de l'ensemble de la mortalité routière.

"Je suis naturellement favorable, dès lors que les conditions de danger l’imposent, à abaisser la vitesse à 70. Mais abaisser en section courante la vitesse à 80 interrogerait l'ensemble de l'édifice. Il faudra donc conduire une réflexion cohérente incluant les effets sur le reste du réseau dans ce genre de décisions". Cette phrase est trop imprécise pour fonder une argumentation concernant les vitesses hors agglomération.

"Concilier la répression, la prévention, le travail sur les infrastructures et les véhicules" est un propos qui distingue la prévention de la répression. Il est très utilisé par les adversaires de la répression. Il serait tellement plus valorisant d'obtenir des résultats par une prévention verbale, sans recours au dispositif de contrôle et de sanctions. Ce dispositif faisant respecter la vitesse maximale autorisée est le mode de prévention de l'accidentalité le plus efficace que l'on connaisse. Valoriser une prévention limitée à des campagnes de télévision, ou à des stages de récupération de points ne tient pas compte du fait que ces méthodes n'ont jamais prouvé leur efficacité. Les meilleures productions audio-visuelles dans ce domaine, émouvantes, bien conçues, ne réduisent pas l'accidentalité. Questionner ceux qui les voient et les entendent pour vérifier leur perception des messages n'est pas une évaluation de leur efficacité pour modifier leurs comportements. 

Il ne faut pas considérer les usagers qui ne respectent pas les limites de vitesse comme des chauffards asociaux qui ne respectent pas la vie humaine. Les profils sont beaucoup plus variés que ce profil réducteur. Bruno Lemaire n'est pas un analphabète privé de cours d'éducation civique dans sa jeunesse, il a cependant indiqué le 2 novembre 2015 : "Je perds quatre ou cinq points par an sur mon permis de conduire, du coup je suis très régulièrement un stage de sensibilisation à la sécurité routière pour récupérer mes points". Difficile d’être plus explicite sur son mépris du respect de la loi et sa conscience de l’inefficacité des stages. L'apprentissage du respect du code de la route se fait sur la banquette arrière des parents, pendant l'enfance et l'adolescence. C'est pendant cette période que se construit une attitude favorable au respect des règles ou aux méthodes permettant d'éviter les sanctions. Les pouvoirs publics n'ont jamais tenté de tester l'efficacité des stages de récupération de points par des méthodes valides. Elles sont simples, il faut tirer au sort des candidats et des structures organisant les stages. Renvoyer le "gagnant" chez lui en lui rendant ses quatre points (en lui faisant payer le stage et en lui disant de mieux respecter le code de la route). Comptabiliser les pertes de points des « dispensés de stage » et des participants au cours des années suivantes est une procédure facile à mettre en oeuvre avec le fichier du permis de conduire. Elle permettrait de savoir s'il y a une différence significative de pertes de points au cours des années suivantes entre le groupe qui a bénéficié du stage et celui qui ne l'a pas suivi. Un des vices fonctionnels de l'Etat est le refus d'utiliser des méthodes fiables d'évaluation de l'efficacité de ses décisions.

c/ Le choix des vitesses maximales sur différents types de voies

Emmanuel Macron nous a indiqué : "En France, les vitesses sont "impaires" : 30, 50, 70, 90, 110, 130. Cela participe de leur lisibilité. Je souhaite d'ailleurs que l'on revisite certains réseaux, je pense aux autoroutes urbaines par exemple, pour faciliter la lisibilité par les usagers, car parfois on ne sait plus à quelle vitesse rouler, entre les tunnels, les virages, etc."

Les problèmes posés par les autoroutes urbaines sont très différents de ceux produits par les autres voies. Elles sont structurellement homogènes, les sorties sont multiples, la densité de circulation très élevée avec des bouchons fréquents. Les deux roues sont nombreux et circulent entre les files, ce qui est dangereux. La vitesse de 70 km/h du périphérique parisien, associé à des contrôles de plus en plus nombreux de la vitesse, notamment par des radars automatiques, a diminué l'accidentalité dans des proportions très importantes. Les accidents mortels actuels concernent principalement des motocyclistes circulant entre les files.

mortalité périphérique parisien

Vouloir maintenir des intervalles identiques de 20 km/h entre les valeurs maximales autorisées sur les différents réseaux est une conception qui a peu d'intérêt en matière de risque produit par la vitesse, c'est la réduction de la vitesse qui est importante. Sur un réseau donné, la croissance du risque n'est pas une fonction linéaire de la vitesse moyenne, mais une fonction puissance (quatre). L'argument utilisé par Emmanuel Macron d'une plus grande lisibilité produit par l'échelonnement actuel des VMA par tranches de 20 km/h est peut être maintenu en réduisant de 10 km/h toutes les vitesses maximales autorisées (120, 100 et 80 km/h). La modélisation la plus robuste dont nous disposons est celle produite par Nilsson qui a été confirmée par de nombreuses études faites dans des pays différents. Par exemple, si sur 10 milliards de kilomètres parcourus 100 accidents mortels ont été observés à la vitesse moyenne de 80 km/h, le nombre de tués pour des vitesses moyennes plus basses ou plus élevées est représenté par le graphique ci-dessous.

modèle de Nilsson

Nous savons également que le risque est très différent sur les autoroutes et sur les voies dont les sens de circulation ne sont pas séparés. Cela revient à modifier la « condition initiale » indiquée sur le graphique ci-dessus.

La vitesse de 70 km/h produit la consommation de carburant la plus faible sur le rapport le plus élevé de la majorité des voitures actuelles. C'est le choix qui a été fait par le gouvernement Flamand. L'abaissement de la VMA à 70 km/h sur un nombre croissant de voies a été mise en œuvre progressivement, certaines voies conservant la VMA de 90 km/h. La baisse très forte de la mortalité sur les voies à 70 a convaincu ce gouvernement de faire du 70 km/h la règle quand il n'y a pas de panneau de limitation, les voies à 90 km/h étant signalées. Une telle mesure pourrait être mise en œuvre en France avec le même succès. Elle supposerait un courage politique encore plus important que celui qui n'a pas été exprimé en France lors de la recommandation du comité des experts auprès du Conseil national de la sécurité routière d'abaisser la VMA à 80 km/h. Sur les différences minimes de VMA actuelles observées dans de nombreuses communes, il faut remarquer les très nombreuses limitations à 45 km/h en agglomération. Il s'agit de VMA qui existaient avant la généralisation à 50 km/h de la VMA en agglomération en 1990. Les maires avaient choisi cette limite parce qu'ils estimaient le 60 km/h trop élevé et ils n'ont pas modifié les panneaux 45.

 
J’engagerai donc des actions ciblées en faveur des usagers les plus vulnérables, notamment les 2 roues et les piétons."
Cet engagement semble oublier que les piétons, la quasi-totalité des cyclistes et la majorité des deux roues motorisés sont tués dans des collisions avec des véhicules à quatre roues. A la suite des réformes de 2002/2003 qui ont divisé par deux la mortalité sur les routes, la réduction obtenue a été équivalente en agglomération et hors agglomération : 32 % de réduction de la mortalité entre les bilans de 2001 et de 2004 (passage de 5939 tués à 4042 hors agglomération et de 2303 à 1551 en agglomération). C’est la réduction des vitesses des voitures, des utilitaires et des poids lourds sur tous les réseaux qui a réduit la mortalité des usagers vulnérables. Ce ne sont pas les piétons qui ont modifié leur comportement, ils n'étaient pas concernés par les décisions de décembre 2002. Il est encore possible de faire des investissements efficaces au niveau des infrastructures (opération ville plus sure, quartiers sans accidents de 1994). Leur coût ne semble pas compatible avec la situation financière actuelle des communes et les gains possibles concernant les piétons et les cyclistes reposeront prioritairement sur la réduction des vitesses, notamment par la création de zones 30 ou de villes 30.
 

2/ Sur le développement des méthodes permettant d'assurer le respect des limitations de vitesse en augmentant le nombre et l’usage des radars mobiles, en interdisant le signalement de tous les contrôles de vitesse par une loi ?

L'augmentation du nombre et de l'usage des radars mobiles a été rendue possible par le projet d'organisation d'une sous-traitance de l'usage des véhicules équipés. Le Ministre de l'intérieur vient de confirmer le maintien de ce projet du précédent gouvernement et c'est une bonne décision. Elle ne règle pas le problème majeur qui demeure celui du signalement des contrôles effectués par des véhicules à l'arrêt équipés de radars automatiques.  La mesure 4 du CISR de 2015 indiquait : "augmenter, au sein du parc, la proportion des radars autonomes déplaçables, en portant leur nombre à 250 fin 2016". Les radars fixes étant signalés par un panneau spécifique, l'amélioration de la dissuasion des excès de vitesse devait être assuré par des radars embarqués dans des véhicules banalisés qui opèrent à l'arrêt.

L'obstacle à leur efficience est l'usage des avertisseurs de radars. Il était indispensable de créer un dispositif assurant réellement l'interdiction de signaler comme un "danger" la présence d'un contrôle par des gendarmes ou des policiers dans un véhicule arrêté en bord de route équipé d'un radar automatique. Deux dispositifs complémentaires permettraient d'éviter de tels signalements.

Pour bloquer l'usage déviant des avertisseurs de danger développés par des entreprises (Coyote, Waze ...) il fallait instaurer un blocage des avertissements transmis par un usager à l'endroit où il a constaté un contrôle. La procédure a été décrite il y plus de 4 ans par un informaticien qui avait participé à la production de logiciels assurant la transmission d'un "danger". Les usagers transmettant leur signal vers le prestataire gérant l'avertisseur, il est possible d'instaurer un filtrage de ces transmissions par un serveur du ministère de l'intérieur, bloquant celles qui sont dans la zone du contrôle. La méthode a un double avantage, les unités locales de police ou de gendarmerie sont averties d'un danger dans leur territoire d'intervention (les indications transmises par les avertisseurs de danger sont géolocalisées) et ils peuvent bloquer l'information si elle concerne un endroit où un contrôle est en cours (le serveur du ministère gérant les indications par les unités qui interviennent des heures de contrôle et de leur localisation). Une autorisation de transmission d'information de ce type peut se faire en quelques secondes. Nous sommes dans une société submergée par l'usage extensif de l'informatique et les pouvoirs publics ne savent pas l'utiliser.

Pour interdire complètement la signalisation d'une intervention des policiers et des gendarmes, il est indispensable de passer par la loi pour bloquer des signalements qui utilisent les réseaux sociaux. Le 6 septembre 2016 la Cour de Cassation a cassé un jugement sanctionnant des usagers qui transmettaient des informations sur les contrôles avec l'argumentaire suivant : "Attendu qu’en l’état de ces énonciations, et dès lors que les dispositions de l’article R. 413-15 I du code de la route ne prohibent pas le fait d’avertir ou d’informer de la localisation d’appareils, instruments ou systèmes servant à la constatation des infractions à la législation ou à la réglementation de la circulation routière, mais uniquement la détention, le transport et l’usage des dispositifs ou produits de nature ou présentés comme étant de nature à déceler la présence ou perturber le fonctionnement d'appareils, instruments ou systèmes servant à la constatation des infractions à la législation ou à la réglementation de la circulation routière ou à permettre de se soustraire à la constatation desdites infractions, la cour d’appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions invoquées".

Nous sommes confrontés à de multiples comportements dangereux qui exigent la mise en œuvre de dispositifs qui développent les possibilités d'action des policiers et des gendarmes et qui bloquent ceux qui entravent leur activité. Le recueil d'informations exige le bon fonctionnement de moyens très divers. Si ceux qui limitent la qualité de ces moyens sont protégés par des textes législatifs ou réglementaires incomplets ou inadaptés, c'est l'ensemble du dispositif qui est affaibli.

3/ Sur le retour à la qualité des retraits de points.

Emmanuel Macron a répondu à cette question : "Naturellement. C’est la crédibilité de la sanction qui est en jeu". Il s'agit de la seule de nos 4 questions qui a recueilli son accord complet et dépourvu d'ambiguïté. Le risque d'un tel engagement est évident. J'ai décrit dans la page : Le mécanisme du désastre actuel l'étendue du dysfonctionnement du dispositif : environ 50% des points qui devraient être retirés ne le sont pas. Cette situation est connue depuis le rapport Colin-Le Gallou rédigé par l'inspection du ministère de l'intérieur en 2012 et rien n'a changé. Les auteurs du rapport ont proposé à la suite de leur analyse de prendre 29 mesures permettant d'obtenir un retour à l'équité et d'effectuer un suivi de leur mise en œuvre. Aucune suite n'a été donnée à leur proposition, alors qu'une telle situation impose une évaluation mois après mois des dispositions créant un retour au fonctionnement normal.

La tâche sera difficile, car la situation décrite dans le rapport Colin-Le Gallou, ou dans les études que j'ai pu faire concernant les retraits de points à la suite d'une conduite sous l'influence de l'alcool ("infractions "alcool") met en évidence l'absence de qualité dans l'usage de dispositifs informatisés quand des services différents de l'Etat doivent se coordonner entre eux en assurant le transfert des données. Quand un ressort judiciaire ne dispose pas de suffisamment d'huissiers pour rédiger des bordereaux qui seront transmis au service du ministère de l'intérieur qui gère le permis à points, la justice devient virtuelle et l'équité disparait. Les sociétés de logistique savent assurer la traçabilité d'un colis depuis son expéditeur jusqu'au destinataire, au moment de la crise de la vache folle l'administration a su développer dans un délai relativement court la traçabilité de la viande de bœuf. Il faut tracer une infraction constatée, depuis son origine jusqu'au retrait de point effectif, et pouvoir identifier tous les blocages qui sont intervenus en cas d'absence de retrait de points. Il faut que l'Etat réunisse en urgence un groupe de travail réunissant les différents partenaires contribuant à la gestion et comprenne que les constats automatisés sont efficaces, mais qu'ils imposent la construction de chaînes de transmission automatisée des données au fur et à mesure de leurs différents traitements. Il faut également cesser de rafistoler le fichier des permis à points et faire une vérification exhaustive, par des méthodes informatiques, de la correspondance entre les permis de conduire et le fichier des permis. France Connect est un dispositif qui fonctionne, comme la gestion informatisée des déclarations de revenus. Il faut demander aux usagers titulaires de permis de conduire une transmission scannée de leur permis et valider la correspondance avec le fichier des permis. Il y a des faux permis, des permis avec des différences minimes de rédaction des noms et prénoms qui détériorent l’équité du dispositif de retrait de points.

4/ Sur l'expertise des infrastructures visant notamment à réduire le risque lié aux obstacles verticaux

Les décisions à prendre dans ce domaine sont très importantes. Le traitement des obstacles verticaux n'est qu'un exemple parmi une étendue d'absence de coordination entre les départements, associée à une absence de productions de conseils de bonnes pratiques émanant d'une recherche opérationnelle en voie de destruction et qui tente de survivre.

 Emmanuel Macron nous a indiqué : " je souhaite que la sécurité routière et les gestionnaires routiers travaillent étroitement ensemble, en lien avec les centres scientifiques de l'Etat, comme l'IFSTTAR notamment, particulièrement en pointe sur les questions de sécurité routière. Différents projets de recherche et développement sont d'ailleurs en cours, je m'assurerai de leur financement". La gravité du problème ne concerne pas seulement les budgets de recherche, mais avant tout la destruction progressive de structures professionnelles indispensables à la bonne gestion des décisions concernant les infrastructures routières et urbaines. Deux structures développent la recherche publique dans le domaine de la sécurité routière : le CEREMA et l''IFSTTAR.

Le premier est un Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, son domaine d'action dépasse largement celui de la sécurité routière. Il se définit ainsi : "Répondant au besoin de disposer d’un appui scientifique et technique renforcé, pour élaborer, mettre en œuvre et évaluer les politiques publiques de l’aménagement et du développement durables, le Cerema, créé le 1° janvier 2014 et dont le siège est à Bron, a permis de réunir les compétences de onze services :

les huit Centres d’études techniques de l’équipement (Cete)
le Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (Certu)
le Centre d’études techniques, maritimes et fluviales (Cetmef)
le Service d’études sur les transports, les routes et leurs aménagements (Setra)"

 Le second est plus orienté vers ce qu'il qualifie lui-même de "recherche finalisée" indiquant sa volonté de développer des connaissances : "il est essentiel pour l’Institut de fédérer autour de lui les acteurs euro­péens de la recherche dans ses domaines de compétences, de contribuer à l’achèvement de l’Espace européen de la recherche, et d’être reconnu comme un acteur majeur de la recherche à l’international. La « Stratégie Europe et International » de l’Ifsttar définira les orientations et les coopéra­tions prioritaires ainsi que la politique de soutien à ses unités et chercheurs pour y parvenir". Le domaine couvert est défini comme suit : "L’Institut a un rôle clé dans la réflexion concernant l’accessibilité, le partage équitable et l’usage sûr de l’espace public dans un contexte d’urbanisation croissante, de ressources naturelles en matières premières limitées et dans une perspective de développement durable. Il se voit donc conférer un rôle politique et social important visant à améliorer les conditions de vie de tous, en contribuant à garantir la protection de droits fondamentaux comme, par exemple, la mobilité, la sécurité (et la sûreté) ainsi qu’un cadre de vie respectueux de l’environnement et de l’individu."

Sans simplifier excessivement, on peut les distinguer en disant que le CEREMA est orienté vers la recherche opérationnelle, avec une présence locale forte et un rôle dominant concernant tout ce qui permet d'améliorer la sécurité des infrastructures routières et de documenter les situations existantes, alors que l'IFSSTAR développe des connaissances plus générales et fondamentales. A la différence des structures de recherche publiques très stables dédiées à un domaine, telles que l'INSERM et l'INRA, celles qui ont en charge la sécurité routière font partie de structures traitant des sujets très divers. Elles ont subi des restructurations et des modifications de dénomination destructrices de leur reconnaissance et donc de leurs recrutements, alors que la sécurité routière impose des capacités de transfert des connaissances vers les médias et le public. Demandez à un journaliste pourquoi l'ONSER s'est transformé en INRETS puis en IFSTTAR, ou quelles sont les différences dans la nature des recherches conduites par le SETRA, le CERTU et les CETE, incorporés dans le CEREMA ? Il sera incapable de vous répondre.

La dévolution de la quasi-totalité du réseau routier national non autoroutier aux départements et le transfert des actions de sécurité routière vers le ministère de l'intérieur se sont associés à une mutation produite par le Grenelle de l'environnement. Le ministère de l'écologie a décidé de réorienter ses services techniques constitués des CETE et CERTU/SETRA de l'infrastructure vers la mobilité et l'environnement. Les directeurs pour sauver leurs effectifs dans les laboratoires qui rapportaient de l'argent (prestation pour tiers à travers les essais divers) ont donc fusionné les départements exploitation sécurité (50 personnes à Lyon, Dijon et Clermont par exemple) avec d'autres départements, détruisant des postes sécurité routière et repeignant en agent de sécurité tout agent travaillant sur les chaussées. Le SETRA (Service d'Etudes sur les Transports, les Routes et leurs Aménagements) est un bon exemple de la destruction d'un savoir-faire reconnu. Alors que le transfert des routes nationales vers les départements imposait de développer le rôle de coordination et d'évaluation de la qualité des routes, le SETRA a été transféré d'Arcueil à Sourdun pour faire plaisir à un élu local qui pleurait la fermeture d'une caserne (10 km de Provins -  pratiquement inaccessible en transport en commun). Ce genre de délocalisation est une très bonne méthode pour réduire les emplois et détruire une structure. Le changement de tutelle a aggravé les conséquences des plans de réduction d'effectif avec comme principe pervers : quitte à supprimer des effectifs autant taper dans ceux qui dépendent de l'intérieur, qui n'est pas tutelle des CETE CERTU SETRA puis CEREMA, ainsi il n'y a plus que 16 agents en exploitation sécurité (en fait moins) sur l'ensemble Lyon, Clermont, Autun... A partir de la création récente du CEREMA l'érosion des effectifs sécurité routière a été plus rapide que dans les autres domaines puisque de 220 personnes (rêvées !) par la DSR (189 identifiées par le CEREMA) les effectifs seront de 150 en 2016 que 150 et devrons atteindre 130. Les équipes s'écroulent et un savoir-faire disparaît.

Toutes les décisions en matière de vitesse de circulation en fonction du trafic et du type de voie reposent sur une connaissance exhaustive des situations au niveau départemental. Il faut développer les observatoires de vitesse à leur niveau, avoir des documents regroupant plusieurs années d'accidents graves ou mortels pour produire des données fiables concernant le risque par km parcouru et par km de voie. La qualité actuelle des données produites au niveau départemental est très irrégulière. Il faut identifier les carences les plus évidentes et les corriger. Si la sécurité routière devient la principale variable d'ajustement pour réaliser la baisse des effectifs (cas de Normandie centre), l'Etat ne disposera au niveau central d'aucune perspective de développement des méthodes permettant de fonder des décisions rationnelles. Accepter cette démission et en joindre les effets destructeurs aux dysfonctionnements déjà décrits dans cet ensemble de textes va achever de détruire le dispositif d'Etat en charge de la première cause de mort des jeunes adultes et de mort au travail, alors que les résultats se dégradent depuis plus de trois ans.

Il faut évaluer avec précision le bilan de l'existant par un audit de l'état des moyens et définir ensuite une procédure d'expertise de l'infrastructure (caractéristiques structurelles de la route et de son environnement immédiat, caractéristiques de son usage, caractéristiques de son accidentalité).